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Pilleurs d'Etat : le "tour extérieur", ce graal financier qui permet aux élus d'avoir un autre boulot... sans bosser
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Bonnes feuilles

Philippe Pascot a côtoyé les élus de tout bord pendant près de 25 ans. Il recense dans cet ouvrage les abus légaux dans lesquels tombe la classe politique française : salaire exorbitant, exonération d’impôts, retraite douillette, cumuls, emplois fictifs, déclarations d’intérêts et d’activités bidons et tant d’autres petits arrangements entre amis... Extrait de "Pilleurs d'Etat", publié aux éditions Max Milo (1/2).

Philippe Pascot

Philippe Pascot

Adjoint au maire d’Évry Manuel Valls, ancien conseiller régional, chevalier des Arts et des Lettres, Philippe Pascot milite pour une réelle transparence de l’exercice politique.
Il est l’auteur avec Graziella Riou Harchaoui de Délits d’élus, tome 1 : 400 politiques aux prises avec la justice (Max Milo, 2014) et de Pilleurs d'Etat (Max Milo, 2015).

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L’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) est un corps placé sous l’autorité directe du ministre de l’Éducation nationale. Composée de 14 groupes disciplinaires et de spécialités, elle assure une mission permanente de contrôle, d’étude, d’information, de conseil et d’évaluation.

Les inspecteurs généraux de l’Éducation nationale sont recrutés parmi les fonctionnaires de catégorie A. Les candidats doivent justifier de dix années de service dans l’Éducation nationale, dont cinq d’enseignement, être titulaires d’un doctorat, d’une habilitation à diriger des recherches, d’une agrégation et avoir atteint au moins l’indice brut 901 dans l’échelonnement de leur corps d’origine.

On le voit, être membre de l’IGEN est réservé à des fonctionnaires méritants et hautement qualifiés. Ils participent au contrôle des personnels d’inspection, de direction, d’enseignement, d’éducation et d’orientation. ils prennent part à leur recrutement et à l’évaluation de leur activité. Ils jouent aussi un rôle important dans la réflexion sur les programmes scolaires, dans l’observation, l’évaluation et la diffusion des pratiques pédagogiques. Un organisme reconnu dans lequel viennent se glisser régulièrement quelques élus.

La loi n° 84-834 du 13 septembre 198471 a institué un recrutement dit « au tour extérieur ». Cette loi donne la possibilité au gouvernement, et à sa discrétion, de nommer des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale sur proposition d’un ministre entérinée par un décret signé du président de la République, dans une proportion de un poste sur cinq mis en concours, sans autre condition que celle de l’âge des candidats, 45 ans au minimum.

On compte ainsi parmi eux : Jean-François Raynal, viceprésident du conseil général des Yvelines, Jean-Luc Miraux, ancien sénateur de l’Eure, Juliana Rimane, ex-députée de Guyane, Léon Bertrand, ancien ministre, Emmanuel Hamelin, ex-député du Rhône, Arnaud Teullé, ancien candidat à la mairie de Neuilly-sur-Seine, Christian Demuynck, sénateur de la Seine- Saint-Denis, Jean Germain, sénateur d’Indre-et-Loire, ex-maire de Tours, décédé le 7 avril 2015 (voir supra), entre autres, ont tous été nommés IGEN (inspecteur général de l’Éducation nationale) au tour extérieur.

Le salaire moyen net d’un IGEN au tour extérieur est de 3 800 euros par mois ; il grimpe à 6 000 euros en fin de carrière. Les contraintes pour ces heureux « nommés » par le fait du prince sont très élastiques, aussi bien sur le temps passé que sur la masse de travail à fournir.

À tel point qu’en 2011, un courrier de trois pages émanant du Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, est envoyé au Premier ministre François Fillon afin de dénoncer les dérives constatées au sein des nominations et de pointer quelques exemples : Jean Germain et Léon Bertrand, le premier nommé par François Mitterrand et le second par Jacques Chirac. De l’ensemble des éléments réunis au cours de l’instruction, il ressort que l’on ne trouve pas beaucoup de traces du travail effectué par ces deux élus. Jean Germain n’a ainsi fourni que quelques feuillets en dix-huit ans de « travail » tandis que Léon Bertrand ne comptabilise que quelques réunions… et toutes à partir du moment où il a eu vent d’une enquête sur le sujet. Bizarrement d’ailleurs, ces deux élus ont fait valoir leur droit à la retraite dès que la Cour des comptes a envoyé son rapport.

On relève aussi, noir sur blanc, dans ces trois pages alarmistes, que sur 12 IGEN nommés au tour extérieur entre 2002 et 2008, cinq d’entre eux font preuve « d’insuffisances professionnelles telles qu’ils ne sont pas en mesure d’acquérir les compétences nécessaires au bon accomplissement des taches techniques confiées aux inspecteurs généraux de l’Éducation nationale ».

Manière élégante pour ajouter l’incompétence à des emplois (presque) fictifs et très bien payés.

Pour habiller ces « nominations » on a pourtant pris la précaution de demander l’avis d’une commission qui doit apprécier et statuer sur leur pertinence. Mais l’avis n’est que consultatif et le rapport de la Cour des comptes remarque que lorsqu’elle émet des réserves justifiées sur l’aptitude de deux candidats à exercer les fonctions d’inspecteur général (Juliana Rimane et Abderrahmane Dahmane), la commission n’est pas suivie et les candidats sont tout de même nommés…

D’autres placards dorés

Il n’y a pas que l’IGEN pour améliorer l’ordinaire d’élus déjà bien lotis ; on nomme ainsi à tout-va et à vie par le même procédé des inspecteurs des finances, des inspecteurs aux affaires sociales (IGAS), des inspecteurs de l’Administration (IGA), des conseillers à la Cour des comptes, des conseillers au Conseil d’État, etc. Un tas d’endroits de renom où des élus et des « bien en cour » peuvent finir une carrière tranquillement ou attendre des jours électoraux meilleurs, ou simplement pantoufler tel Arno Klarsfeld nommé au Conseil d’État grâce à Nicolas Sarkozy. À la Cour des comptes74 on peut aussi rencontrer Jean-Louis Bourlanges (ancien député européen) ou Alain Lambert qui cumule avec la fonction de président du conseil général de l’Orne.

Notons cependant que certains sont recalés : Dominique Tibéri, fils de l’ancien maire de Paris, s’est ainsi vu refuser sa nomination au contrôle général économique et financier par le Conseil d’État pour « compétence insuffisante ».

Extrait de  "Pilleurs d'Etat", de Philippe Pascot, publié aux éditions Max Milo, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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