Vote de la loi renseignement : voilà pourquoi (et comment) VOUS pourrez aussi tomber dans les mailles du filet de la surveillance de l’État<!-- --> | Atlantico.fr
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La loi sur le renseignement s'apprête à être votée.
La loi sur le renseignement s'apprête à être votée.
©Pixabay

Tous fichés

Alors que la loi sur le renseignement s'apprête à être votée à l'Assemblée nationale, les questions qu'elle soulève quant au respect des libertés individuelles se posent plus que jamais. Une spirale infernale qui fera de nos recherches, des vidéos que l'on regarde ou des contacts noués avec des personnes jugées suspectes des preuves de notre culpabilité.

Michel Nesterenko

Michel Nesterenko

Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.

 

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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  • De l'historique de recherches aux vidéos regardées, tous nos déplacements virtuels seront enregistrés et potentiellement réutilisés
  • Les données de géolocalisation, recuillies notamment grâce aux smartphones, permettront de passer du virtuel au réel en retraçant les itinéraires empruntés par n'importe quel citoyen lambda
  • Des données privées qui incrimineront secrètement même les innocents, qui n'auront en plus aucun recours, à l'image de ces Américains qui ne peuvent plus prendre l'avion car une information suspecte à leur sujet a été récoltée
  • Un contact avec quelqu'un de suspect ou l'accès à un contenu interdit feront de nous des criminels potentiels aux yeux des autorités
  • Pris dans une spirale infernale de supicion, il sera encore plus difficile de différencier les vrais dangers des fausses alertes
  • Une surveillance généralisée qui se fera au prix des libertés individuelles avec pour gain une efficacité discutable

Lire aussi : 102 morts : le nombre total de victimes françaises du terrorisme depuis le 11 septembre 2001

Toutes nos recherches seront passées au crible

Les "boîtes noires", des dispositifs installés chez les fournisseurs d'accès à Internet par les services du renseignement pour collecter toutes les données qui transitent et repérer automatiquement celles qui sont suspectes, feront de nous un danger potentiel selon les mots que nous tapons. Gare à celui qui rentrera sur un moteur de recherche l'expression "se tirer une balle dans le pied" et tombera par hasard sur un site de vente d'armes : il sera systématiquement repéré comme un criminel potentiel. Par association de mots, le Web peut nous emmener n'importe où et faire de nous des suspects.

Pire encore pour les recherches intentionnelles, souvent d'ordre professionnel ou informatif : un pompier qui ira faire des recherches sur les méthodes pour lancer un incendie criminel et sur les produits incendiaires disponibles aura la police à sa porte le lendemain, par exemple. Les algorithmes voient les professionnels qui font des recherches sur des sujets sensibles comme des potentiels criminels.

Il y a donc de réels risques de "faux positifs", c'est-à-dire la détection de personnes dangereuses selon un algorithme mécanique alors qu'elles sont tout à fait innocentes. Un principe d'autant plus inefficace qu'il est possible par une manipulation simple déjà utilisée en marketing, le "pixel espion", de nous faire télécharger à notre insu une image, comme par exemple un drapeau de l'Etat islamique, et ainsi brouiller les pistes en incriminant à tort de nombreux internautes.

Tous nos contacts seront potentiellement compromettants

Le psychologue américain Stanley Milgram expliquait en son temps qu'il n'y aurait pas plus de cinq liens entre tous les individus du monde. Par un principe de contamination, n'importe lequel de nos contacts pourrait paraitre compromettant aux yeux des services du renseignement et donc pourrait faire de nous des suspects potentiels.

Aux Etats-Unis, un logiciel créé des corrélations automatiques et attire des suspicions susceptibles de lancer une surveillance particulière encore plus poussée alors qu'il n'y a aucune raison réelle de s'inquiéter. Ce sera aussi bientôt le cas en France.

Toutes nos conversations seront plus facilement écoutables

La tricherie dans les demandes d'écoute, déjà possible aujourd'hui, sera encore plus facilitée avec les dispositions de la loi sur le renseignement. Comme l'expliquait déjà en 2008 l'ancien gendarme Patrick Baptendier dans Allez-y, on vous couvre !, les forces de l'ordre ont la possibilité d'ajouter un nom qui les intéresse personnellement dans la liste des cinq noms à mettre sous écoute qu'ils soumettent au juge dans le cadre d'une affaire. Par exemple, si l'officier suspecte quelqu'un d'être l'amant de sa femme, il pourra ainsi le faire placer sous écoute tout à fait légalement sous couvert d'une enquête bien réelle. Et il aura avec cette loi encore plus d'occasions de le faire.

Les systèmes d' IMSI-Catchers, de fausses antennes qui permettent d'intercepter toutes les conversations téléphoniques environnantes, même s'ils sont très coûteux, pourront être disposés beaucoup plus facilement.

Tous nos déplacements seront scrupuleusement enregistrés

La principale atteinte aux libertés individuelles de la loi renseignement est le stockage des données de géolocalisation. On peut se rendre compte, par exemple, que quelqu'un s'est déplacé dans un magasin, et qu'un achat a sans doute été effectué, alors que dans le même temps aucune trace de paiement par carte ni de retrait à un distributeur n'ont été retrouvées. On a ainsi la preuve que cette personne utilise peut-être de l'argent non déclaré. C'est le cas aussi pour tous les individus qui entreront dans le périmètre connu d'un dealer de drogue. Cela permet aussi de croiser les données pour déterminer qui l'on fréquente physiquement.

Les vidéos que nous regardons trahiront nos penchants

En 2013, dans l'affaire dite du "pornoleaks", l'informaticien américain Edward Snowden a révélé que la NSA surveillait les habitudes des Américains en matière de pornographie en ligne, officiellement pour détecter des personnalités suspectes, notamment en matière de terrorisme. Il sera également bientôt possible pour le gouvernement français de savoir que nous sommes homosexuels par le simple visionnage de notre historique des vidéos visionnées. Là aussi, l'historique des recherches, s'il intègre des requêtes concernant des bars gays, par exemple, pourra permettre des déductions sur notre orientation sexuelle. Le croisement des données affine alors de plus en plus votre personnalité.

Nos achats en ligne nous définiront   

Nos préférences en matière de vêtements, de livres ou même de voyages peuvent définir votre appartenance politique, car certaines marques de vêtements sont par exemple très connotées à l'extrême-droite et à l'extrême-gauche, ou votre orientation sexuelle. Mieux que les sondages, le gouvernement en place aura ainsi les moyens de prédire les comportements électoraux.

Toutes nos données collectées seront susceptibles d'entraver secrètement nos déplacements

Les informations collectées pourront être secrètement réutilisées contre nous dans les tribunaux, sans même que ni nous ni notre avocat ne le sache. Il n'y a plus de présomption d'innocence. Aux Etats-Unis, par exemple, des citoyens ne peuvent plus prendre l'avion car des informations secrètement collectées sur eux les incriminent, à tort ou à raison. Ils n'ont aucun recours. On revient à l'ère soviétique, quand les condamnations se faisaient sur des informations secrètes.

Si l'on s'intéresse aux 1 500 Français qui sont en en Syrie, ils sont susceptibles de revenir sur le territoire et c'est ainsi 10 000 personnes qui sont suspectes car leur entourage sera considéré comme tout aussi potentiellement dangereux. Et si nous allons discuter avec ces personnes, nous deviendrons nous aussi suspects. Il suffit qu'un agent des services du renseignement nous prenne en photo et nous devenons nous-mêmes terroristes. C'est un cercle vicieux.

La loi sur le renseignement est l'opportunité de clarifier des actions d'espionnage déjà mises en place par les services secrets. Mais cela n'était jusqu'à présent que très ciblé et donc très rare. Aujourd'hui, les libertés individuelles sont clairement en danger face à un texte qui va généraliser la surveillance des métadonnées par le système de "boîtes noires" et la "pêche au gros" de toutes les informations échangées sur le Web sans distinction. Le tout trié par des algorithmes automatiques qui les trient et les envoient dans de grandes bases de données.

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