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Séduire les électeurs ET 
les marchés : le discours politique 
se fait dans un champ de mines !
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Le poids des mots

"Confiance" oui, "rigueur" non. Comment ne pas affoler les marchés sans désespérer les Français.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Valérie Pécresse a déclaré ce mardi matin sur RTL : "Nous aurons le courage dedemanderdes efforts supplémentaires aux Français s'ils sont nécessaires". Vous qui avez écrit des discours politiques, comment interprétez vous le grand soin pris par la ministre du Budget, par ailleurs Porte-parole du gouvernement, à éviter d'employer des termes tels que « rigueur » ou « austérité » ?

Christophe de Voogd : Plaçons-nous au niveau non de la politique, mais de la rhétorique, c’est-à-dire de l’art de l’argumentation et de la formulation. Il ne faut pas croire que les mots « rigueur » et « austérité » ne sont pas employés parce qu’ils sont tabous. Si Valérie Pécresse ne les utilise pas c’est parce qu’ils sont tout simplement déjà « pris ».

La rigueur est très liée à la période de rigueur de gauche de 1983 et reprendre quelque chose qui appartient à l’adversaire est délicat. En outre, qui dit rigueur dit laxisme antérieur ; c’est donc à éviter.

Le terme austérité est lui davantage ancré dans la « langue de droite ». Mais il évoque inévitablement l’austérité de Raymond Barre qui a débouché sur l’échec de Valéry Giscard d’Estaing. Si vous ajoutez à cela le fait que Raymond Barre soit resté, tout comme François Fillon, cinq ans Premier ministre, de 1976 à 1981, vous obtenez un mauvais présage.

Le terme « efforts » employé par Valérie Pécresse – qui est une bonne oratrice – me semble donc pertinent. Ce mot est connoté positivement, notamment à droite : qui dit « effort » dit « mérite » et qui dit « mérite » dit travail. Nous nous trouvons ainsi dans le même champ sémantique et au cœur des valeurs sarkoziennes. Toutefois, il aurait peut-être fallu l’employer au singulier : souvenons que « L’effort » est le titre du deuxième tome des mémoires du Général de Gaulle. Positionnement donc parfait dans la tradition gaulliste de l’UMP !

Et lorsque Christine Lagarde a déclaré qu’il fallait recapitaliser les banques : s’agissait-il d’un propos maladroit car susceptible d’effrayer le marché ou était-elle dans son rôle de Directrice du FMI ?

D’un point de vue rhétorique il n’y a pas de bon discours en soi. Il y a un bon discours en fonction du contexte et de la nature de son interlocuteur. Autrement dit tout bon discours est de circonstance ! Quand Christine Lagarde déclare qu’il faut recapitaliser les banques, elle parle aux Etats et aux marchés en tant que Directrice du FMI. Dans ce cadre, elle se situe dans la raison, dans le « logos », et non dans une situation électorale. C’est son travail de dire la vérité, puisqu’elle s’adresse à des acteurs supposés rationnels (le marché, les Etats). Si elle était ministre des Finances elle n’aurait pas tenu ce même discours. La preuve elle ne l’avait pas fait lorsqu’elle était en fonction à Bercy.

Le souci, pour elle comme pour l’ensemble de la classe politique actuelle, tient au fait qu'il n’existe pas désormais d’interlocuteurs réservés puisque tout est public. Que ce soit pour le gouvernement ou l’opposition, le défi qui se pose avec la crise consiste donc à parler à la fois aux marchés et aux électeurs. C’est un exercice profondément schizophrène : les marchés veulent de l’effort, comme nous l’avons souligné, et les électeurs veulent la "promesse" comme on dit en rhétorique, c’est-à-dire une part de rêve.

Comment faire pour s’adresser à ces deux publics ? Les vieilles techniques de discours n’ont guère changé depuis Thucydide, Aristote ou Cicéron. Dans une période de guerre ou de crise, le positionnement vérité/réalité est en fait un bon choix. Reprenons les trois registres qui forment le discours selon Aristote : le logos (la raison), le pathos (l’émotion) et l’ethos (les valeurs). En période de crise, quand vous êtes dans le logos, vous disposez du bon registre car le peuple est confronté au principe de réalité. Reste qu’il faut combiner dans une telle période un « logos » de réalité avec un « ethos » de l’effort, sans oublier de toucher l’âme humaine par le « pathos », en évoquant par exemple les plus défavorisés ou les souffrances du peuple grec...

Vous avez collaboré à des discours de François Mitterrand, notamment lors de la campagne référendaire pour l’adoption du traité européen de Maastricht. A titre personnel, qu’est-ce qui fut pour vous le plus difficile dans le cadre de cette campagne de 1992 ?

François Mitterrand, quoique très malade et politiquement affaibli, a su trouver la bonne argumentation : il a beaucoup axé sa campagne sur la « promesse », sur l’avenir de la jeunesse, notamment. Il a beaucoup insisté sur le programme Erasmus, en disant « pensez à vos enfants »… C’est un argument qui est toujours efficace ! Et il avait pris soin de commencer l’émission par un dialogue avec les jeunes.

Dans tous les cas où j’ai coopéré à l’écriture de discours pour François Mitterrand, j’ai été frappé par la richesse de son propre arsenal rhétorique - car il rédigeait lui-même ou reprenait à fond les passages importants - notamment l’art qu’il avait de jouer sur tous les registres (pathos, ethos et logos) sans se limiter à ce dernier, trop souvent exclusif dans les « éléments de langage » fournis par les technocrates…

Souvenons-nous que Maastricht correspond à une fin de cycle politique. Les élections furent catastrophiques pour la gauche six mois plus tard. Mais Mitterrand a emporté ce référendum malgré le contexte très défavorable, grâce à la rhétorique. Je pense ainsi au débat Mitterrand/Seguin : Philippe Seguin s’est adressé à lui dès le départ par un « Monsieur le Président » respectueux… c’était gagné : il donnait d’emblée une crédibilité à la parole du Président plus forte que la sienne propre. C’est donc une victoire rhétorique ! De toute façon, en période de crise, c’est le meilleur orateur qui l’emporte, que ce soit De Gaulle, Churchill, Mitterrand, Obama ou Nicolas Sarkozy, en 2007.

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