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La France est contrainte par les agences de notation, l'Allemagne par son Parlement
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L'Allemagne et la France l'ont annoncé, le Conseil Européen de dimanche ne débouchera pas sur des prises de positions communes pour la résolution de la crise économique de la zone Euro. Décryptage des raisons de l'absence d'accord franco-allemand.

René Lasserre

René Lasserre

René Lasserre est Professeur des Universités et Directeur du CIRAC (centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine).

Il a récemment publié Relations sociales dans les services d'intérêt général : Une comparaison France-Allemagne (co-dir. avec Solène Hazouard et Henrik Uterwedde), Éd. CIRAC, 2011.

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Atlantico : A l'heure du Conseil Européen tant attendu, l'Allemagne et la France n'ont pas caché qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre sur la résolution de la crise de l'Euro. Pourquoi Angela Merkel et Nicolas Sarkozy n'arrivent-ils pas à s'entendre ? 

René Lasserre : Ce blocage est d’autant plus inquiétant que le couple franco-allemand avait annoncé le 9 octobre qu’il proposerait une solution commune à la crise de l’endettement. Ce projet ne semble pas devoir aboutir, du fait un certain nombre de désaccords.

Le premier des désaccords porte sur l’importance du FESF (fonds de stabilité financière européen), à la fois sur ses modes de fonctionnement et sur les montants mobilisables.

Sur les montants disponibles, les Français pensent qu’il faudrait en accroître le volume par un effet de levier, qui permettrait alors d'augmenter les sommes de base et offrirait un certain nombre de garanties pour la couverture des dettes. En d'autres termes, augmenter les fonds mobilisables de 1 000 milliards d’euros à 2 000 milliards pour se protéger efficacement contre la spéculation sur la dette.

De leur côté, les Allemands estiment que ce montant ne doit pas dépasser les 1 000 milliards d’euros. Ils rejettent la position française, de peur que les États européens s'engagent financièrement sur un volume de montants qui dépasse de loin leur capacité de remboursement. S'opposent donc une fourchette haute et une fourchette basse.

Le deuxième élément de désaccord concerne à la fois le niveau de recapitalisation des banques en cas d’insolvabilité grecque, et les moyens de mobiliser des fonds. Sur ces points, la divergence franco-allemande est profonde. 

Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s'entendent toutefois sur le fait que les banques doivent prendre elles-mêmes en charge une partie de leur refinancement, et fassent appel - au-delà de leur capacité à se refinancer - à une recapitalisation par les États et par le fonds européen de stabilité financière. Dans quelle limite doit intervenir le FESF, là se situe justement le point d’achoppement du couple franco-allemand. 

Pour les Allemands, il est hors de question que le fonds de stabilité soit confondu avec une banque, potentiellement renflouée par la BCE (banque centrale européenne). Qui plus est, un refinancement dans des proportions déraisonnables impliquerait de la création monétaire pour couvrir les dettes. Un spectre qui hante les Allemands, qui ont déjà souffert de telles logiques dans les années 20.

L'État français est lui soumis à certaines limites. Le retour à l’équilibre budgétaire est déjà difficile, ne serait-ce que pour réaliser une économie de 11 milliards sur le budget 2012. Si en plus la France doit répondre à la recapitalisation des banques sur la dette grecque, c’est au minimum un coût de 30 milliards d’euros, qui accroît considérablement le poids de la dette française et menace sa notation. Le gouvernement français est soucieux de faire davantage appel au fonds européen de stabilité financière pour ménager ses finances.

Côté français, il s'agit donc de ménager nos banques, le déficit public et l’accroissement de la dette. La France est dos au mur, ses marges de manœuvres sont réduites car se notation est menacée. Côté allemand, Angela Merkel est limitée politiquement suite au vote du Bundestag sur le fonds de stabilité européen, qui limite ses modes et son volume financier d'intervention.

La France veut donc qu’on fasse appel le plus largement possible au fonds de stabilité financière, alors que les Allemands en appellent premièrement aux États, et au fonds de stabilité financière en dernier recours.

Avec la menace d'une baisse de la notation de la dette française, le rapport de force est-il encore en faveur de Nicolas Sarkozy ?

La France est en mauvaise posture, et le fait que notre président ait annoncé qu’il s’engageait aux côtés de la Chancelière allemande à apporter une solution globale à la crise est audacieux, voire dangereux. Il a sous-estimé les résistances allemandes sur la question.

Ces dernières ne sont d'ailleurs pas le refus d'une solidarité européenne, mais simplement le souci de préserver la stabilité financière des économies.

L’Allemagne est revenue à plusieurs reprises sur ses positions, mais semble décidée à ne pas céder cette fois. De son côté, la France n'a financièrement pas le choix des armes. Un compromis franco-allemand reste-t-il possible ?

Les Allemands se sont déjà montrés ouverts quant à l'accroissement du rôle potentiel du FESF, et restent ouverts aux propositions françaises si ces dernières se montrent "raisonnables" quant aux volumes de fonds mobilisables et au rôle dévolu au fonds européen de stabilité financière. A savoir, ne pas engager davantage la BCE, en lui demandant de renflouer le FESF.

De plus, si compromis il y a, la France devra accepter d’engager ses banques à renforcer leurs fonds propres, à faire appel au marché des capitaux, et à se pourvoir d'une gestion plus "serrée".

La faiblesse de Nicolas Sarkozy tient au fait qu’il s’est engagé de manière solitaire, et que sa majorité elle-même n’est pas en mesure de le suivre, sa marge de manœuvre est donc très étroite. Le président a surestimé sa capacité de conviction.

Enfin, cette crise transitoire souligne le point névralgique du processus décisionnel européen : la cristallisation autour du couple franco-allemand. Le tandem qui élabore les solutions pour ensuite les proposer aux autres est un modèle qui arrive à son terme. Il faut impliquer réellement tous les partenaires européens, jouer communautaire. 

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