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Alerte aux antibiotiques dans la viande
©Reuters

Eleveur ou pharmacien ?

L’élevage mondial captera plus de 105 000 tonnes d’antibiotiques en 2030, soit une augmentation de 67% par rapport à 2010, selon une enquête de la National Academy of Sciences of the United States of America. Un phénomène aggravé par l'élevage de masse et qui n'est pas sans conséquences pour notre santé.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Une enquête de la National Academy of Sciences of the United States of America (lire ici) montre que l’élevage mondial captera plus de 105 000 tonnes d’antibiotiques en 2030, soit une augmentation de 67% par rapport à 2010. Pourquoi trouve-t-on des antibiotiques dans la viande ? Pourquoi les éleveurs en utilisent-ils autant ? Quelles viandes sont les plus concernées ?

Bruno Parmentier : Les animaux tombent malades, comme les hommes ! Et on les soigne de la même manière, par des médicaments, dont des antibiotiques lorsqu’ils sont soumis à des bactéries pathogènes indésirables. A la fois pour des raisons éthiques, car on se doit d’assurer le bien-être des animaux dont nous sommes responsables, et pour des raisons commerciales, car il est bien évidemment interdit de vendre de la viande issue d’animaux malades. Lorsque l’animal est guéri en revanche, on peut l’amener à l’abattoir, mais ses chairs gardent des traces d’antibiotiques, que nous mangeons.

Deux problèmes aggravent cette situation : l’élevage de masse, dans des bâtiments confinés, est évidemment plus malsain que l’élevage de plein air, surtout si l’air ou l’eau de boisson ne sont pas assez renouvelés, ou les déjections pas assez rapidement ou complètement évacuées. De plus dans ce type d’élevage, les animaux sont en grande proximité et se contaminent rapidement les uns les autres. Lorsque le vétérinaire diagnostique qu’un animal est malade, le plus probable est qu’il a déjà contaminé ses congénères, il faut alors à la fois soigner cet animal avec des doses importantes d’antibiotiques, et tous les autres avec des doses plus faibles, de façon préventive. Donc on va logiquement trouver davantage d’antibiotiques dans la viande de porc, de lapin ou de volailles, qui proviennent de troupeaux confinés de centaines ou milliers d’animaux que dans celle de bovins, et, s’agissant de bovins, davantage dans la viande de veaux élevés en batterie que dans celle provenant des alpages.

Un autre phénomène, pratiquement disparu en Europe depuis son interdiction en 2006, est encore largement utilisé aux USA et dans nombre de pays émergents : l’administration d’antibiotiques sans aucune prescription médicale et mélangés dès le départ dans l’alimentation, simplement pour booster la croissance des animaux !

On estime donc les consommations actuelles d’antimicrobiens dans le monde à 45 mg par kg de viande de bœuf produite, de 148 mg par kg de volaille et de 172 mg par kg de viande de porc.

Au total la consommation d’antibiotiques en usage vétérinaire représente autour de 60 000 tonnes dans le monde, chiffre largement supérieur à celle de la consommation humaine, et ces chercheurs pensent qu’on dépassera les 100 000 tonnes en 2030 vu l’augmentation très rapide de la consommation de viande dans les pays émergents, et la multiplication conséquente d’élevages intensifs peu contrôlés dans ces pays… Ils redoutent un doublement de la consommation dans des pays comme le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine, soit une augmentation sept fois supérieure à celle de leur population ! Ils pensent qu’en 2030 la moitié des antibiotiques du monde seront consommés en Asie, dont 30% dans la seule Chine.

Quelle est la situation en France ? Comment est-ce encadré actuellement ? 

La consommation d’antibiotiques en usage vétérinaire représente entre 700 et 900 tonnes par an en France, pour un chiffre d’affaires de 835 millions d’euros. La tendance est à la baisse. Rappelons cependant que nous restons un pays très (beaucoup trop) consommateur de ces produits en médecine humaine…

Le dernier plan d’action national (Ecoantibio) date de 2011, avec 40 mesures (promotion de bonnes pratiques, développement des alternatives, encadrement des pratiques commerciales, etc.) ; il prévoyait une diminution de 25% de la consommation à échéance 2016. Il est très probable qu’on sera loin du compte, même si, contrairement aux pesticides, la consommation semble effectivement diminuer. Mais les statistiques sont difficiles à obtenir et à interpréter car on peut aussi changer de molécules, pour des produits plus puissants et moins lourds…

Quelles conséquences sur la santé humaine entraîne l’utilisation massive d'antibiotiques dans les élevages ?

D’une part, plus on mange d’antibiotiques, plus les risques d’allergie augmentent, et ces problèmes d’allergies, souvent croisés, se developpent fortement dans les nouvelles générations. D’autre part plus on administre d’antibiotiques, plus on sélectionne et développe de fait les bactéries résistantes à ces antibiotiques, puisque leur multiplication n’est plus arrêtée, c’est ce qu’on appelle l’antibiorésistance. Ces bactéries résistantes se transmettent alors via la consommation de viande, ou tout simplement via l’environnement. Au final, lorsque nous contractons une maladie due à ces bactéries antibiorésistantes, la médecine n’a plus d’arme pour nous soigner.

Auparavant, le rythme d’apparition de nouveaux antibiotiques était soutenu, et, par exemple, l’apparition d’une résistance à la pénicilline, apparue dès 1946, n’a pas provoqué de gros dégâts, car on a pu changer alors de prescription. Le problème vient qu’actuellement la recherche a le plus grand mal à inventer de nouvelles souches d’antibiotiques, et qu’en conséquence on régresse. Il a été estimé que la résistance aux antibiotiques avait causé 25 000 morts en Europe en 2007 et plus de 23 000 aux États-Unis en 2013. Cette situation s’emballe, on la qualifie dorénavant de "pré-catastrophique" et certains scénarios pessimistes redoutent 300 millions de personnes de décès prématurés d'ici 2050 !

D’où la mobilisation de certains gouvernements pour soutenir et développer à nouveau la recherche de nouveaux antibiotiques, qui avait beaucoup diminuée dans les dernières décennies, faute de rentabilité.

En tous les cas, il faudrait au minimum arriver à une interdiction totale en médecine vétérinaire des antibiotiques dits "critiques", ceux qui constituent actuellement le seul traitement connu de certaines maladies infectieuses chez l’homme, comme les céphalosporines de 3e et 4e génération et les fluoroquinolones.

Comment diminuer ces risques ? Est-ce un problème que l'on sous-estime ?

Bien évidemment en mangeant moins de viande, surtout de viande blanche (porc et volaille) ! Le problème est complexe, car ces animaux affectent cependant moins l’environnement que les animaux à viandes rouges, très consommateurs de ressources naturelles et producteurs de gaz à effet de serre ! Doit-on forcément continuer à consommer en France 7 bœufs, 33 cochons, 1300 volailles, 20 000 œufs et 32 000 litres de lait dans notre vie ? Et les Chinois, qui sont passés d’une consommation de 14 kilo par an à 60 dans les 30 dernières années, doivent-ils absolument atteindre les 85 kilos consommés aujourd’hui par les Français ?

Deuxième idée, privilégier la viande bio, car dans ce cas, pas de "hors-sol", pas de traitement préventif antibiotique, pas de stimulation artificielle de la croissance, pas plus de 3 traitements médicamenteux par an…

Mais cela ne protège pas entièrement, car les bactéries résistantes peuvent nous arriver par d’autres voies, par exemple via l’épandage de lisiers ou fumiers, ou par contact direct avec des gens malades ! Et que le problème devient planétaire, les épidémies ayant une fâcheuse habitude de se jouer des frontières.

Une mobilisation citoyenne mondiale sur ce problème, encore beaucoup trop sous-estimé, serait bien utile ! Car, en la matière, malgré ses imperfections, l’Europe reste en avance sur le reste du monde, et les grands élevages industriels qui continuent à se créer tous les jours en Amérique ou en Asie deviennent une véritable menace pour l’humanité entière. On parle beaucoup d’un éventuel élevage de 1000 vaches en France, mais peut-on imaginer que les élevages de 20 ou 30 000 vaches qu’on crée sur ces continents puissent se passer d’antibiotiques ?

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