Charlie Hebdo, deux mois après : dix réflexions sur les ambiguïtés de la semaine qui a changé la France <!-- --> | Atlantico.fr
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La manifestation du 11 janvier à Paris
La manifestation du 11 janvier à Paris
©Reuters

Retour en arriève

Il y a deux mois, trois individus issus de l'immigration assassinaient 17 personnes. Entre une "marche républicaine" qui a vu défiler des ennemis de la liberté d'expression et des projets de "Patriot Act à la française" ou d'endoctrinement à la laïcité, la France n'est pas sortie plus forte de cette épreuve.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Avec le recul, il est possible de relire, non avec détachement mais de manière un peu moins émotionnelle, les attentats du 7 janvier :

1. Le fait brut, ce sont trois individus issus de l'immigration et imprégnés de fanatisme islamiste qui ont assassiné 17 personnes (huit membres de la rédaction de Charlie, deux personnes se trouvant fortuitement avec eux, trois policiers, et quatre clients de religion juive de la superette kasher), auxquelles s'ajoutent plusieurs blessés.

Il n'y a aucune raison de ne pas prendre à la lettre les motifs affichés par les assassins : punir les auteurs de dessins qu'ils jugent blasphématoires pour la figure centrale de leur religion, le prophète Mahomet. Cette action est conforme aux commandements de l'islam, concrétisés ou non par une fatwa (ordre d’une autorité religieuse). Le tout aussi odieux attentat du magasin casher ressemble à une diversion. La notion de blasphème existe dans toutes les religions, y compris les religions séculières, mais seul l'islam permet à tout croyant d'en châtier les auteurs, en dehors de toute justice instituée.

2. On voit autour de ces trois assassins, graviter une petite dizaine de personnes, plus ou moins complices. L'un des assassins a séjourné au Yémen et l'organisation AQPA (Al Qaïda dans la péninsule arabique) a revendiqué post hoc l'attentat; mais il n'y a pas de preuve décisive de ramifications internationales, d'un ordre précis donné de l'étranger (en dehors de diverses fatwas sans destinataires précis). Pour en savoir, plus, il aurait fallu qu'au moins un des assassins soit pris vivant. Mais ni dans ce cas, ni dans celui de Merah en 2012, cela n'a été le cas. On peut le regretter. D'autant que s'il est vrai que ces hommes sont très dangereux, les forces de l'ordre disposent des moyens techniques de les prendre vivants. On notera au passage que cette manière de liquider sur place les assassins, qui avait provoqué de fortes réactions de la gauche le 2 novembre 1979 quand il s'était agi de Mesrine, passe aujourd'hui pour normale.

3. Les auteurs des assassinats du 7 janvier ont incontestablement attiré la sympathie d'une partie de la communauté musulmane, comme en témoigne la difficulté d'imposer une minute de silence aux enfants des écoles de certains quartiers, mais cela ne veut pas dire que les sympathisants prêts à passer eux aussi à l'acte soient plus de quelques dizaines, tous individus frustres ayant un passé de délinquance banale (à la différence des auteurs présumés des attentats du 11 septembre, de familles riches et éduqués).

Ces effectifs réduits sont sans commune mesure avec la dimension de la communauté musulmane de France (5 ou 6 millions). Rien ne dit que si cette communauté avait été beaucoup plus réduite, il ne se serait pas trouvé des individus pour commettre des assassinats analogues. Il y avait dix fois moins de musulmans en France en 1962 et certains ont perpétré, aux ordres du FLN, plusieurs attentats sur le sol métropolitain. Si l'immigration pose de vraies questions, elles sont distinctes de celles que posent les attentats.

4. Les quelques dizaines d'individus qui représentent vraiment un danger sont suivis par la police depuis des années avec une relative efficacité. Dans le cas d'espèce, les assassins de Charlie Hebdo, quoique repérés, sont passés entre les mailles du filet. Cette défaillance est le résultat de nombreux facteurs parmi lesquels la politique pénale laxiste de Mme Taubira et la réforme du renseignement intérieur qui s'est traduite en 2011 par la fusion de la DST, qui marchait très bien, et des Renseignements généraux, fusion qui s'est faite contre la volonté de agents et a entrainé une certaine désorganisation.

5. De l'autre côté de la Méditerranée, une guerre se poursuit en Irak et en Syrie. Elle a vu l'émergence courant 2014 d'un Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, DAECH en arabe) qui prétend restaurer le khalifat et peut-être répandre l'islam par la force à travers le monde, comme au VIIe siècle. Quelle que soit l'horreur de méthodes de ce soi-disant Etat, les pays occidentaux pourraient en venir assez vite à bout s’ils y mettaient les moyens. Ces moyens sont, soit l'envoi de troupes au sol, soit une alliance avec les ennemis de l'EIIL: la Syrie de Bachar-el-Assad et l'Iran. Il est clair que les Etats-Unis, qui ont pris la tête de la coalition, rejettent ces deux options car leur adversaire numéro un dans la région, c'est le régime de Bachar-el-Assad. Une raison importante à cela : l'appui que ce dernier reçoit de la Russie de Poutine. Une autre : le fait que la Syrie soit alliée à l'Iran et au Hezbollah. N'importe comment, en dépit de la rhétorique dominante, la lutte contre l'islamisme n'est pas la priorité des Etats-Unis. D'ailleurs n'est-ce pas en apportant leur soutien aux rebelles syriens, que les Etats-Unis (et sans doute Israël) ont contribué à faire émerger l'Etat islamique ?

Cet Etat est en relations avec des forces se réclamant des mêmes principes au Yemen, en Libye et au Sahel, mais l'utilisation du même label ne signifie pas une coordination étroite.

Même si l'EIIL a applaudi l'attentat de Charlie, aucun lien n'est établi entre eux.

6. L'immense manifestation du 11 janvier a eu un mérite : elle a témoigné du refus d'une grande partie des Français de se laisser imposer la loi islamique, contraire non seulement aux traditions chrétiennes, mais encore plus à l'héritage des Lumières. S'il y avait autour de notre continent et en son sein de nombreux acteurs qui, misant sur une apparente décadence, rêvaient de cette éventualité, ils ont sans doute déchanté.

Cette manifestation semble par ailleurs avoir réconcilié une partie de la gauche, qui s'y trouvait majoritaire, avec le drapeau français et la police.

7. Mais de nombreuses ambiguïtés font cependant douter de l'impact globalement positif de cet événement.

Ambigüité : le rejet de l'islamisme avait été jusque-là la marque du Front national, même s'il se trouvait au tréfonds d'une grand partie de la population, y compris de gauche, inhibé par la bien-pensance officielle, hostile à toute forme d'"islamophobie" ; le 11 janvier 2015, pour la première fois , ce sentiment pouvait s'exprimer librement, qu'on soit de droite ou de gauche, sous le paravent de "Je suis Charlie" et au nom des valeurs républicaines. Le retour du refoulé en quelque sorte !

L’ambiguïté de la manifestation a paru dans un premier temps favoriser le pouvoir socialiste : la cote de François Hollande a repris immédiatement plus de 20 points. Mais cet effet est vite retombé. Il est vraisemblable que, bien qu'exclu de la manifestation du 11 janvier, le Front national, qui était déjà en pole position sur le sujet, se trouve être in fine le principal bénéficiaire de l'opération.

Même si elle ratissait à droite et à gauche, l'immense manifestation du 11 janvier, la plus importante, semble-t-il, que la France ait jamais connue, a paru, de manière subliminale, dirigée contre les musulmans, voire contre toutes les religions. Les immigrés y étaient, de fait, presque absents, et ce mouvement a sans doute contribué plutôt à approfondir le fossé qui les sépare de la population native qu'à le combler, au contraire de La Manif pour Tous, qui dans ses derniers épisodes avait attiré de plus en plus d'immigrés musulmans.

8. Même ambiguïté au plan international. La tête de la manifestation ressemblait fort à une réunion des puissants de ce monde sous la bannière de l'Otan. Les chefs d'Etat africains les plus proches de la France (Mali, Niger) ont été sommés par l'Elysée de se joindre à la manifestation, au risque, prévisible, d'y perdre leur crédibilité. Une partie des habitants de la planète a fort peu apprécié une démonstration qui semblait piétiner les convictions de beaucoup d'entre eux, singulièrement les plus pauvres. Il n'est pas sûr non plus que la France se soit grandie aux yeux du monde en identifiant son génie séculaire aux caricatures de Charlie.

9. On doit avoir la même crainte des effets contraires au but recherché au vu des considérations, propositions ou annonces emphatiques qui ont été faites, dans la majorité comme dans l'opposition, dans la suite des attentats.

Dépassant la réalité atroce mais circonscrite de l'évènement, beaucoup se sont lancés dans des considérations géopolitiques ou civilisationnelles (la guerre des civilisations !) grandiloquentes et démesurées, emportant les conséquences les plus multiples et parfois les plus dangereuses.

L'idée d'un Patriot Act à la française, brandie ici ou là, méconnait la profonde mutation que cette loi a introduite dans l'histoire américaine, autorisant désormais le pouvoir à y violer les droits les plus élémentaires des citoyens (viol des correspondances, écoutes téléphoniques, perquisitions et arrestations, voire "exécutions" hors de tout contrôle judicaire). Quelle victoire posthume pour les frères Kouachi et Coulibaly s'il s'avérait qu'ils aient, à eux seuls, mis fin à la démocratie en France et peut-être ailleurs ! Voilà bien une tentation à laquelle il faut à toute force résister. D'autant que l'appareil législatif et institutionnel qui se trouvait en place avant les attentats, était largement suffisant pour les prévenir, s'il avait bien fonctionné.

10. D'autres proposent que soit instaurée une formation intensive, pour ne pas dire un endoctrinement à la laïcité, de tous les enfants de France dès leur plus jeune âge. On parle d'afficher la loi de 1905 dans toutes les écoles; certains voudraient même la réécrire pour la durcir - au risque de l'ébranler définitivement. Pourquoi pas de camps de rééducation à la laïcité pour les jeunes issus de l'immigration ?

Il est urgent d'oublier toutes ces fariboles. Qui ne voit tous les dangers que représenterait l'endoctrinement envisagé ?

Il serait évidemment inutile pour les millions de jeunes musulmans totalement étrangers à l'affaire Charlie et dont on ne voit dès lors pas pourquoi on voudrait les mettre en garde contre une tentation meurtrière qu'ils n'ont jamais eue. Et si un tel endoctrinement était instauré, comment ne pas penser que, dans la masse des jeunes visés, il ne s'en trouverait pas au moins trois (le nombre d'assassins du 7 janvier !) pour qui cet endoctrinement aurait eu l'effet inverse de celui recherché : l'exaspération de l'opposition à l'ordre dominant au lieu de la soumission. D'autant que les jeunes les plus tentés par le djihad, généralement en échec scolaire, ont la haine de l'école et de tout ce qui en émane !

On ajoutera, dans le contexte actuel, sous l'égide du socialisme "bobo", d'un milieu médiatique et d'un enseignement étrangers voire hostiles à la tradition chrétienne, le risque d'affaiblir encore cette tradition. Un tel affaiblissement aurait le double effet, à redouter, de rendre la société française, devenue plus libertaire et moins chrétienne, encore plus méprisable aux yeux des jeunes musulmans, et d'organiser encore davantage le vide spirituel dans lequel la propagande islamique trouve son meilleur terrain.

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