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Négociations sociales : et la question cruciale à ne pas oublier… Qui le code du travail protège-t-il encore ?
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Inamovibles (ou presque...)

Les partenaires sociaux se rencontrent ce mercredi 25 février à Matignon. Après les négociations sur le dialogue social qui ont échoué en janvier, le gouvernement devrait opter pour un texte peu novateur. Les salariés continueront d'être surprotégés, et les chômeurs, empêchés d'accéder à un nouvel emploi.

Eric Rocheblave

Eric Rocheblave

Eric Rocheblave est avocat au Barreau de Montpellier. Il est spécialiste en droit du Travail et droit de la Sécurité Sociale. Vous pouvez le suivre sur Twitter.

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Atlantico : La réunion sur le dialogue social en entreprise devrait accoucher de l'adoption d'un texte par le gouvernement (les partenaires sociaux ne s'étant pas entendu en janvier dernier) qui contiendra peu de véritables remises en causes. Le droit du travail restera donc cette masse de lourdeurs et de complexité. Quels profils professionnels protège-t-il le plus aujourd'hui ? Le type "CDI dans une grosse entreprise avec un peu d'ancienneté" est-il toujours largement favorisé ?

Eric Rocheblave : Le plus protégé, si on veut être précis, c'est le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Son licenciement ne pourra pas se faire sans consultation des délégués du personnel – il a donc "plus" de droits – et il bénéficiera d'une indemnité de préavis, dont ne peut pas jouir par exemple un salarié inapte qui n'a pas ces protections. Il y a également les représentants du personnel qui bénéficient d'un statut protecteur. Elus, ils portent la voix des salariés, leur licenciement nécessite alors l'accord de l'Inspection du travail. Ce sont ces deux cas de figure qui sont "protégés" au sens strict du terme, à savoir qu'ils bénéficient d'un statut particulier et clairement annoncé, du fait de leur situation. 

Quand on a un CDI, le niveau de protection, de fait, dépend largement de votre ancienneté et de la taille de votre entreprise. Quand un licenciement est reconnu comme abusif, si vous avez plus de 2 ans d'ancienneté dans une entreprises de plus de 10 salariés, vous avez la garantie de toucher au minimum une indemnité équivalente à 6 mois de salaire. Il y a donc là aussi des droits supplémentaires par rapport à quelqu'un qui a 3 mois d'ancienneté dans une TPE pour le même travail... Et ces 6 mois sont un minimum plancher. S'ajoutent ensuite selon le préjudice une indemnité qui peut être d'un mois de salaire par année de présence. Par exemple un salarié qui est licencié de manière abusive après 8 ans de présence, peut espérer avoir entre 6 et 12 mois de salaire, selon l'appréciaton. Si le salarié gagnait 4000 euros mensuels, on parle donc d'une indemnité de 50 000 euros. Après, soyons clairs : un employeur qui veut vous licencier vous licenciera ; mais le risque financier est plus lourd, ce qui pousse à prendre en général moins de risques, qui peuvent s'avérer coûteux quand il n'est pas absolument sûr du motif sur lequel il base ce licenciement.

En quoi la surprotection des salariés de grandes entreprises peut-elle être un préjudice pour les aspirants à ces fonctions ou les salariés des plus petites entreprises ? La logique excluante d'insider/outsider est-elle pertinente ?

Evidemment à l'autre bout de la chaîne, les salariés en CDD ou en intérim – a fortiori quand il s'agit de temps partiel – sont au bas de l'échelle de la précarité. A ceux-là s'ajoutent aussi les cadres qui subissent des période d'essai pouvant être longues, jusqu'à deux fois trois mois, où la rupture peut se faire sans motif. On est donc là aussi dans la pure précarité. Et effectivement la sécurité des premiers peut entraîner la précarité des seconds : la date anniversaire des deux ans est scrutée de près par les employeurs (du moins, ils s'y intéressent six mois avant et commencent à se poser des questions) et entraîne souvent des licenciements car on se verra préférer une autre personne qui a moins d'ancienneté que soi. Depuis quinze ans que j'exerce, on peut vraiment divisier le contentieux en deux : d'une part celui qui concerne des salariés qui n'ont que quelques mois d'ancienneté dans une entreprise, de l'autre des employés présents depuis au moins quinze ans. Mais dans l'absolu, et par expérience, si vous arrivez à passer les 2 ans d'ancienneté dans une société, vous pouvez être "tranquille" – c'est à dire avoir peu de risques d'être licencié pour cause de coût prohibitif – jusqu'à vos 15 ou 20 ans de présence chez l'employeur. Quand on envisage de se séparer d'un salarié qui a quatre ou cinq ans d'ancienneté, les employeurs y regardent vraiment à deux fois. 

Le droit du travail traîne une réputation de machine à produire de la règlementation. Pourquoi cette boulimie ? Pourquoi est-il impossible d'envisager les relations sociales autrement que par le prisme du "tout législatif" ?

Depuis une trentaine d'années, il y a des alternances politiques successives. Or le politique a beaucoup de mal à avoir une réelle emprise sur l'économie. Le social, lui, est beaucoup plus aisé d'accès pour les élus, car il suffit de légiférer pour pouvoir le modifier. Chacun fait donc sa "couche" lors de son passage aux manettes, sans jamais la moindre vision globale. Résultat : on a 30 ans de cumul de ce mille-feuilles, et une restructuration de fond est un projet igantesque. Et comme chaque loi qui s'ajoute ne prend pas forcément en considération l'ensemble de ce qui avait déjà été voté, la jurisprudence vient s'en mêler. Et tout cela n'est favorable ni aux employés ni aux employeurs.

Les capacités de traitement du contentieux arrivent-elles à suivre cette inflation législative ? A qui profite l'engorgement ?  

Un procès n'est pas le mal d'une société, et il n'est pas honteux qu'une décision de justice soit rendue, mais le manque de moyens est flagrant. Et concernant le contentieux dans le droit du travail, entre 60% et 80% des jugements se terminent par un appel, ce qui montre l'incompréhension des décisions. Et c'est d'ailleurs dans le prud'hommal qu'il y a le plus d'appels justement... Et le seul à qui profite cette situation, c'est l'Etat qui économise sur son budget le manque de moyens qu'il ne vient pas combler. 

Les partenaires sociaux ne parvenant que rarement à se mettre d'accord, la réforme du Code du travail peut-elle passer par autre chose qu'une décision politique forte ? Ou à l'inverse, est-ce parce que le politique décide en dernière instance que les partenaires sociaux ne se mettent pas d'accord ?

Faire choisir les partenaires sociaux, et faire trancher l'Etat en cas d'absence d'accord n'est pas une mauvaise chose en soi. Sauf que les rapports entre les partenaires sociaux restent marqués par une logique de lutte des classes très marquée. Toutes les négociations voient les positions tranchées de la CGT se heurter à d'autres positions tranchées du MEDEF, et le dialogue social ne fait qu'en pâtir. Les accords donnant-donnant sont rares, et ce qui est fait est souvent défait ensuite. Et surtout, le droit du travail est le seul domaine juridique – avec le droit pénal, dans une certaine mesure – régulièrement tiraillé par les gouvernants pour des raisons politiques, avec le vote de lois de circonstances. Et souvent, les dispositions votées sont d'une grande complexité d'application pour les partenaires sociaux – on peu citer l'exemple du travail le dimanche – ce qui n'est finalement guère protecteur pour les salariés les plus fragiles. Et quand le législateur ne complexifie pas les choses, il se défausse, comme on a pu le voir avec la question du voile en entreprise. Or ce n'est pas du ressort de cette dernière que de régler ce genre de question de société. Et les employeurs se retrouvent à devoir prendre des décisions qui leur semblent bonnes mais sur lesquelles peut ensuite s'exercer le contrôle du juge, avec un résultat aléatoire.

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