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"La croissance des inégalités tue 
la croissance économique”
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Crise

Matignon et les députés UMP se sont mis d'accord mardi pour taxer les revenus à 250 000 euros par an à 3% et ceux qui dépassent les 500 000 euros à 4%. Un effort est ainsi demandé aux plus fortunés car avec la crise les inégalités ne cessent d'augmenter...

Philippe Villemus

Philippe Villemus

Philippe Villemus, après une carrière dans de grands groupes internationaux, en France et à l’étranger,   a volontairement changé de vie pour devenir professeur et docteur en Sciences de Gestion à Sup de Co Montpellier. Il est également écrivain, chroniqueur (Midi Libre et France Bleu Hérault) et conférencier.

Il a notamment publié Qui est riche ?, Eyrolles, 2007.

 

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Atlantico : Les Français dont les revenus annuel excèdent 250 000 euros seront désormais taxés à hauteur de 3%. Ce seuil fait-il sens pour déterminer qui est riche aujourd'hui dans notre pays ?

Philippe Villemus : J'ai mené récemment une étude intitulée "Qui est riche ?". Pour définir le seuil de richesse, j’ai pris en considération le seuil de pauvreté. En France, ce dernier existe et est fixé à 40% du revenu médian (selon l’INSEE), soit 950 euros net par mois. Si vous gagnez moins en étant seul, vous êtes donc considéré comme pauvre. D’après ce seuil officiel, on recense en France à peu près 8 millions de pauvres, soit 13% de la population française, dont 1 enfant sur 5.  Et cette tendance augmente depuis une dizaine d’années.

Si le seuil de pauvreté est fixé à 40% de moins que le revenu médian des Français, j’ai considéré que ceux qui gagnaient 40% de plus que ce même revenu médian pouvaient être considérés comme riches. Je suis ainsi arrivé à un seuil pour les riches fixé à environ 4 000 euros net par mois, soit 10% de la population française. Il s'agit d'une proportion équivalente à la population française pauvre.

Mais la vision que les gens ont de la richesse est tronquée : être riche ne signifie pas forcément disposer d'une résidence secondaire, d'un yacht, etc.

Toutefois, si l’on prend en considération le ressenti français de la richesse, et que l’on porte le fait d’être riche à l’obtention d’un salaire de 10 000 euros net par mois, on se trouve alors en présence d’un groupe qui ne représente plus que 2 à 3 % de la population française.

Le seuil de 250 000 euros est donc en définitive assez haut, puisqu’il ne concerne que 1% de la population française. Avec un seuil fixé à 500 000 euros de salaire net par an, on ne serait plus qu’en présence de 3 000 personnes sur l’ensemble de la population française. Ce premier seuil de 250 000 euros est une première étape qui pourrait donc être révisée, en rappelant toutefois que c’est la première fois depuis 20 ans qu’une mesure fiscale touche aussi fortement les plus riches.

Bien-sûr, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis, ou avec l’INSEE, les seuils sont toujours arbitraires. Richesse et pauvreté sont un continuum. Celui qui gagne 251 000 euros est proche de celui qui en gagne 249 000, et pourtant tous les deux ne subissent pas la même pression fiscale. Il n’empêche qu’un seuil minimum se doit d’être fixé, et le plafond de 250 000 euros ne concerne finalement que peu de personnes.

Cette définition de la richesse et de la pauvreté par l’établissement d’un seuil proportionnel au salaire médian est-elle une spécificité française ?

Une spécificité européenne plutôt. La vision nord américaine s’oppose fondamentalement à la vision européenne. La pauvreté et la richesse en Europe correspondent à un pourcentage du revenu médian, avec en filigrane une volonté très forte de réduire les inégalités sociales.

Aux États-Unis, c’est tout simplement une valeur absolue qui est fixée, sans véritable volonté de réduction des inégalités sociales. Le seuil permettant de survivre se trouve entre 7500 et 8000 dollars par an.

L’avantage européen réside dans une volonté de contenir et de maintenir des inégalités de richesses : plus le revenu médian augmente, plus le seuil de pauvreté augmente également.

Depuis une dizaine d'années, il y a une remise en cause des thèses ultra-libérales de l’École de Chicago, en œuvre dans tout l’Occident. D’après ces dernières, l’important c’est de faire « croître le gâteau », sachant que même avec une croissance des inégalités, les plus pauvres en profiteront également.

Cette théorie est grippée depuis la crise Internet, celle de 2008, et enfin la crise actuelle. Le « gâteau » ne croît plus, et il y a un enrichissement des plus riches et un appauvrissement des plus pauvres.

Selon moi, dans les pays européens, la croissance des inégalités tue la croissance économique. En d’autres termes, la croissance des revenus des plus riches ne favorise plus la croissance économique. Les pays européens ont donc atteint - dans un système basé sur l’État providence - un niveau d’inégalités qui est trop fort, et qui nuit à la croissance économique. Il s’agit simplement d’une interprétation opposée des thèses de l’École de Chicago.

Un triple phénomène opère en Europe et en France. Il y a un enrichissement accéléré des plus hauts revenus du travail et du capital, une croissance très forte de la pauvreté, et une stagnation des classes moyennes. Quant à la croissance des plus riches, elle conduit à une compression de la classe moyenne. D’où ce sentiment d’une croissance des inégalités, qui est un ressenti réel.

Pareille croissance des inégalités peut-elle favoriser une révolte populaire ?

La croissance des inégalités est un gros danger, tout d’abord pour la croissance économique puisque c’est un obstacle à son épanouissement. Cela peut également être facteur de remous sociaux, de difficultés sociales, de difficultés à faire passer des réformes… Mais cela ne débouchera pas sur la naissance d’un phénomène révolutionnaire. 

Bien que les marxistes diraient le contraire, alors que l’accomplissement de la prophétie révolutionnaire n’a toujours pas eu lieu, il semblerait que les révolutions ne puissent naître que d’après la combinaison de facteurs économiques et politiques. En particulier, l’absence de liberté conjuguée au facteur économique. Le printemps arabe tend à le démontrer. Par ailleurs, dans les pays qui ne connaissent séparément que la difficulté économique ou l’absence de liberté, comme au Moyen-Orient et ou en ex URSS, les régimes politiques n’ont pas à souffrir de phénomènes révolutionnaires. 

Au niveau planétaire, des zones géographiques sont en très fortes progressions économiques. L’Inde et la Chine par exemple tirent l’Asie de la pauvreté, mais le continent africain, a contrario, se paupérise en valeur relative et absolue.

La croissance économique mondiale moyenne cache donc des retours en arrière flagrants. L’Afrique sub-saharienne en est une illustration probante. Si de nouvelles populations riches émergent dans tous les pays du monde, les classes pauvres ne cessent pour autant d’exister.

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