Le Japon saisi par des pulsions d’apartheid<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Japonais, peu enclins au mélange
Les Japonais, peu enclins au mélange
©Reuters

Ninjapartheid

Au Japon, le racisme s'exprime ouvertement dans les colonnes de l'un des plus gros journaux du pays, qui n'hésite pas à appeler à créer un apartheid afin de conserver une "distance respectueuse" entre les population immigrées et les population locales. Et pourtant, les conditions de vie des immigrés dans le pays, sont déjà loin d'être un long fleuve tranquille.

David Malinas

David Malinas

DAVID MALINAS est maître de conférences (LCAO) et directeur des études japonaises (EILA) à l'Université Paris Diderot. Il a vécu 10 ans au Japon, et a publié de nombreux travaux sur la société japonaise et ses inégalités.

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Atlantico: L'éditorialiste Ayako Sono propose, dans un article publié dans le Sankei Shimbuns, de faire venir une main d'œuvre immigrée afin de répondre au très faible taux de natalité de l'archipel et au vieillissement de la population, mais de cantonner cette main d'œuvre dans des espaces séparés de la population japonaise. D'après vous, cette prise de position est-elle en phase avec la société japonaise contemporaine?

David Malinas: Le Japon n'a jamais eu de politique définie en matière d'immigration. Les gouvernements ont toujours fonctionné avec des flux minimums de migration répondant à des besoins spécifiques ou temporaires et ils tiennent à le conserver. Le Japon est une société comparativement renfermée sur elle-même et est structurellement peu ouverte aux étrangers.

Pour démontrer que les "humains peuvent travailler ensemble" mais qu'il "est préférable qu'ils ne vivent pas ensemble, Ayako Sono prend l'exemple d'un immeuble en Afrique du sud, après l'apartheid, dans lequel une famille de Noirs aurait emménagé dégradant les lieux jusqu'à engendrer le départ des Blancs. Outre, l’impossibilité de le vérifier, qu'est-ce que cet exemple révèle ?

Bien sûr, le travail d'un journaliste est de provoquer des réactions, et dans une société du non-dire, cette éditorialiste prend une position volontairement provocatrice. Cependant, c'est exact que les étrangers sont mal acceptés au Japon, et depuis toujours ! Récemment, on note que les Japonais ont, dans leur premiers flux migratoires, fait appel à des descendants de Japonais établis à l'étranger, afin de faciliter leur intégration. Mais on a observé malgré tout le regroupement en communautés linguistiques, avec un Bresiltown par exemple. Ainsi on a assisté à l'apparition de quartiers, chinois, coréens, hispanophones qui sont séparés spatialement et qui font l'objet de réelles discriminations.

L'éditorialiste en question est une proche de Shinzo Abe, le Premier ministre. Sa prise de position traduit-elle celle du gouvernement sur la question de l'immigration et du vivre-ensemble au Japon ? 

Le gouvernement d'Abe est un gouvernement de droite, assez conservateur. Mais les problématiques gouvernementales sont autres, puisqu'elles doivent prendre en compte les problèmes de main-d'œuvre et le recours à l'immigration. Ainsi le gouvernement évite de crisper les populations qui pourraient être appelées à venir travailler, et ne s'exprime pas publiquement sur ces sujets.

Comment expliquer cette méfiance et ce rejet des populations immigrées?

Après la Seconde guerre mondiale, les Japonais se sont refermés sur eux-mêmes, et les étrangers, en louant leurs méthodes de management, les ont renforcés dans leur sentiment d'appartenance à une "race supérieure". Depuis les années 90, ils doivent ouvrir leurs frontières mais les idées reçues perdurent : un immigré blanc sera bien vu, tandis que les immigrés asiatiques souffrent de discrimination. Les populations noires souffrent d'une réputation de "gangster" des Etats-Unis. Les immigrés répondant à des problèmes temporaires, les Japonais n'ont jamais eu à les intégrer durablement et donc à essayer de les comprendre.

Aujourd'hui, dans quel environnement social vivent les populations immigrées au Japon?

Les populations immigrées dépendent de leur visa de travail et ne sont sur place que si elles ont un emploi. Lorsque le gouvernement n'a plus besoin de ces populations, elles sont raccompagnées à la frontière. Il n'y a donc pas de situation de misère. En revanche les problèmes se posent réellement pour les enfants issus de familles mixtes qui souffrent d'un rejet de leur camarade, et parfois d'un vide juridique concernant leur statut, si le père japonais ne reconnaît pas la paternité par exemple.

 Quelles ont été les réactions de la population ? En somme, la vision d'Ayaoko est-elle représentative ?

Bien sûr, de plus en plus de jeunes partent faire des études à l'étranger et ont donc une approche différente de la situation. La position de cette éditorialiste est bien sûr extrême, alors que la population est plus équilibrée. Mais il existe, notamment en cas de crise,  une discrimination des étrangers et cet article permet d'ouvrir un débat.

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