17% des Français pensent que les attentats de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes relèveraient d’un complot: un thermomètre de l’état de la société<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour 17% des Français, l'attentat qui a touché Charlie Hebdo serait un complot.
Pour 17% des Français, l'attentat qui a touché Charlie Hebdo serait un complot.
©Reuters

Sondage exclusif CSA-Atlantico

EXCLUSIF - Un sondage CSA pour Atlantico sur le rapport des Français aux théories du complot pour les attentats montre que 83% d'entre eux ne croient pas à la thèse du complot. Par ailleurs, 16% d'entre-eux ont une bonne image de Dieudonné, et 30% se positionnent contre les poursuites engagées après qu'il ait écrit "je suis Charlie Coulibaly", estimant que cela relève d'humour.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Vous trouverez sur la première page les résultats des deux sondages commentés par Yves-Marie Cann, directeur du pôle Opinion de l'institut CSA. En deuxième page, François-Bernard Huyghe analyse ces résultats avec le prisme du lien social. 

Attentats de Charlie Hebdo et complot

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Yves-Marie Cann : Plusieurs médias se sont fait l'écho ces derniers jours de l'apparition et de la multiplication sur internet de thèses complotistes suite aux attentats de 7 et 9 janvier en France. Ce type de phénomène n'est pas nouveau mais reste difficile à appréhender avec précision. Dans ce contexte, il peut être utile d'interroger un échantillon représentatif de Français et leur demander de se positionner sur ce sujet. Les résultats du sondage CSA pour Atlantico sont sans appel à ce sujet : 83% des personnes interrogées réfutent l’hypothèse du « complot", dont 58% "tout à fait", soit une intensité des réponses négatives rarement observée dans les enquêtes d’opinion. A l’autre extrême, seuls 4% des répondants se disent convaincus qu’il s’agit d’un « complot », 13% penchent plutôt pour cette hypothèse sans être toute convaincus. Ces résultats doivent par ailleurs être mis en perspective avec d’autres expériences passées, lesquelles avaient révélé une opinion publique beaucoup plus perméable aux thèses complotistes. Il ressortait ainsi d'un sondage CSA pour BFMTV réalisé en mai 2011 montrait notamment que pour 57% des Français Dominique Strauss-Kahn avait été victime d’un complot à New-York. Et dans une enquête réalisée en 2008 par nos confrères de TNS, 28% des personnes interrogées exprimaient leur doute quant à la version officielle des événements imputant les attentats du 11 septembre 2001 à Al-Qaida et Ben Laden.

>> Lire également Allo Moscou, ici la Terre : mais pourquoi cet appétit russe pour les théories du complot et autres visions fantasmées des attentats de Charlie Hebdo ?

Dans le détail, si le rejet des thèses complotistes atteint ses plus hauts niveaux chez les plus de 50 ans (88%) et les cadres (90%), les réponses collectées auprès des jeunes et des ouvriers s’avèrent à la fois plus contrastées et moins fermes. A titre d’exemple, 8% des 18-24 ans et des ouvriers interrogés se disent convaincus qu’il s’agit d’un « complot », soit le double de la moyenne nationale. A l’inverse, 45% des 18-24 ans rejettent « tout à fait » l’hypothèse d’un complot, soit 21 points de moins que les plus de 65 ans (66%).

A l’échelle des familles politiques, c’est parmi les sympathisants du Front national que l’on retrouve la plus forte proportion de soutiens aux thèses complotistes avec 6% de convaincus (contre 2% à gauche et 3% à droite), auxquels il faut ajouter 21% penchant plutôt pour cette hypothèse (contre 7% à gauche et 11% à droite). 

Notons enfin que les disparités territoriales s’avèrent minimes, notamment entre l’Ile-de-France et les autres régions. Elles apparaissent toutefois un peu plus prononcées en fonction du type d’agglomération dans lequel résident les personnes interrogées. Dans les communes rurales, seuls 3% des répondants se disent convaincus qu’il s’agit d’un « complot », contre 7% en agglomération parisienne (Paris et départements limitrophes)

Les Français & Dieudonné

Yves-Marie Cann : Seuls 16% des Français déclarent avoir une bonne image de Dieudonné, 84% en ayant une image négative. L’intensité des opinions négatives à sont encontre s’avère particulière vive puisque 47% des personnes interrogées en ont « une très mauvaise image ». Ces résultats témoignent par ailleurs d’un très net durcissement de l’opinion publique puisque la proportion de bonnes opinions à l’égard de Dieudonné baisse de 9 points par rapport à un précédent sondage CSA réalisé en janvier 2014.

Ces représentations très majoritairement négatives se vérifient toutes catégories de population confondues, avec toutefois quelques variations notables. Si 95% des personnes âgées de plus de 65 ans ont une mauvaise image de Dieudonné, cette proportion s’abaisse à 69% parmi les 25-34 ans, lesquels sont les plus nombreux à apprécier l’humoriste controversé (31% de bonnes opinion contre 4% chez les plus de 65 ans). Dieudonné bénéficie aussi de jugements plus contrastés chez les ouvriers : 30% déclarent en avoir une image positive contre 13% des cadres, par exemple. Enfin s’il suscite des réponses majoritairement négatives toutes familles politiques confondues,  30% des sympathisants FN en ont une image positive, contre 7% des sympathisants de droite et 13% de ceux de gauche (10% au PS).

Dieudonné et la liberté d'expression

Yves-Marie Cann : Pour 69% des Français, Dieudonné est allé trop loin en écrivant sur les réseaux sociaux « Je suis Charlie Coulibaly ». Par conséquent, ils considèrent qu’il est justifié que des poursuites judiciaires soient engagées contre lui. A l’inverse trois personnes interrogées sur dix invoquent la liberté d’expression : pour elles, cette expression relève avant tout de l’humour.

En toute logique, les réponses à cette question s’avère très fortement corrélées à l’image qu’ont les personnes interrogées de Dieudonné. Ainsi, 75% des personnes en ayant une image positive invoquent l’humour et la liberté d’expression, lorsque 77% de ceux en ayant une image négative jugent qu’il est allé trop loin et qu’il est justifié que des poursuites judiciaires soient engagées.

Par ailleurs, si une majorité de personnes interrogées considèrent systématiquement que Dieudonné est allé trop loin quelle que soit la catégorie de population considérée, quelques écarts notables se font jour. On notera ainsi que 41% des 25-34 ans invoquent l’humour et la liberté d’expression, soit 11 points de plus que la moyenne nationale (34% chez les 18-24 ans et 24% chez les plus de 65 ans, par exemple).  De même, les hommes sont plus nombreux que les femmes à privilégier l’argument humoristique (35% contre 25%), ainsi que les ouvriers par comparaison avec les cadres (38% contre 24%). Notons enfin que si les sympathisants du Front national sont plus nombreux que la moyenne à avoir une bonne image de Dieudonné, ils rejettent ses écrits à un niveau équivalent voire légèrement supérieur à celui de l’ensemble des Français interrogés (70% contre 69%).

Atlantico : Quelle lecture de ce sondage faîtes-vous ?

François Bernard Huyghe : Même si rien ne prouve que ceux qui croient à un complot et ceux qui soutiennent Dieudonné soient absolument les mêmes, il y a visiblement une fraction de la population, autour de 16 ou 17 %, qui ne refuse d'accepter ce que disent les médias et les élites et qui n'adhèrent pas aux condamnations morales unanimes où ils voient une manipulation. En période d'unanimité nationale autour des thèmes de valeurs de la République, du vivre ensemble et de l'horreur face à la barbarie qu'il ne faudrait pas amalgamer avec l'islam - ce que nous entendons en boucle depuis quinze jours - ce discours minoritaire semble prendre davantage chez les jeunes, chez les ouvriers, et dans une moindre mesure dans les catégories sociales les moins favorisées. Cela se reflète dans le fait que le parti qui recueille le plus de vote de ces couches sociologiques, le Front National a une proportion plus forte de "complotistes" ou de "dieudonnistes", alors, que pour le reste, le critère droite / semble peu disciminant. Il n'aurait pas été très politiquement correct de demander la religion de ces sceptiques, mais le résultat aurait été intéressant.

De quels ressorts sociétaux l'émergence des théories du complot répond-elle ?

Une théorie du complot a le double avantage d'être valorisante pour celui qui l'énonce (il est plus malin et mieux informé que les autres, il "résiste", il capte l'attention, grâce à lui tout s'explique, il sait bien que...) et de marquer une hostilité envers le discours "officiel" forcément suspect et manipulateur.
L'idée que les médias nous aliènent et que l'idéologie dominante nous manipule par l'émotion et le conformisme pour s'assurer notre docilité, cette idée qui caractérisait plutôt il y a quelques décennies les élites intellectuelles de gauche "critiques", a visiblement migré chez les exclus du système social et économique. Dans la mesure où le soutien à Dieudonné traduit largement une adhésion à ses fulminations contre ledit système, s'ajoute sans doute l'impression qu'il y a un deux poids deux mesures entre la permission donnée à Charlie d'injurier une croyance et la répression de l'antisémitisme. Bref le ressentiment envers les "puissants" qui nous trompent qui fait le terreau de ces comportements.

Dans quelle mesure les résultats de ce sondage révèlent-elles une déliquescence du lien social ?

Nous sommes ne présence d'un phénomène d'incrédulité ou de rupture avec les valeurs et représentations dominantes chez ceux pour qui "la vérité est ailleurs" : ces minorités sont imperméables aux médias de masse (tandis que les thèses conspirationnistes et minoritaires fleurissent sur les réseaux sociaux) et à la pression morale venue du haut. Et je doute fort que l'on puisse les convaincre avec plus d'émissions, plus d'enseignement de la tolérance à l'école ou plus de déclarations des people et des élites. C'est la traduction d'une France déchirée où les sans-espoir et les intégrés sont séparés par une barrière qui n'est pas seulement celle de l'argent, de l'habitat ou de la formation, mais aussi une rupture des visions du réel. Reste à savoir comme ce dissensus mental et spirituel peut se traduire par une révolte concrète.

Méthodologie :

Echantillon national représentatif de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus. Méthode des quotas basée sur les critères de sexe, d’âge et de profession du répondant après stratification par régions et catégories d’agglomérations. Interrogation par Internet (système CAWI) du mardi 20 au jeudi 22 janvier 2015.

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