Qui sera le prochain roi du pétrole ? L'Arabie saoudite face à la féroce compétition de sa succession monarchique adelphique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi d'Arabie saoudite était dans une logique de réformes prudentes.
Le roi d'Arabie saoudite était dans une logique de réformes prudentes.
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Abdallah al Saoud, sixième roi d'Arabie saoudite décédé à 90 ans, est présenté un roi moderne ayant tout fait pour préserver la paix et l'harmonie. Mais, tout au long de son règne, le monarque a surtout dû composer avec l'inhérente rigidité du système saoudien.

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze est chercheur associé à l'IRIS et chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L'Harmattan).

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Atlantico : Salman a donc succédé à Abdallah sur le trône d'Arabie saoudite. Que faut-il attendre de son règne ?

David Rigoulet-Roze : La variable centrale réside dans les modalités de la succession. Le roi Salman est un interrègne, si j'ose dire, ce sera bref, il a déjà 79 ans et il est malade. Il s'est retrouvé là car il est issu du clan Soudayri, comme ses frères Nayef et Sultan. C'est un jeu d'équilibre interne à la famille royale, mais le défi est à la fois biologique et politique. Biologique car il faut savoir si l'on peut passer une deuxième génération comme l'a rendu possible la loi fondamentale du 1er mars 1992, à ce moment-là cela veut dire que ce sont les petits-fils qui sont en première ligne, et ils sont près de 200 grands princes à pouvoir prétendre théoriquement au trône. Les clans sont en lice, et c'est là la fragilité du système saoudien, il n'y a pas de logique vertical, pas de succession de père en fils. Tant que cela durera, il y aura une instabilité structurelle du système, bien qu'elle ait été, en partie, corrigée par la loi fondamentale et l'avènement d'un conseil d'allégeance en 2006 pour essayer, de manière collégiale, de s'entendre sur un futur souverain. Le véritable défi c'est le passage à la deuxième génération. Ce qui est intéressant c'est qu'il ait nommé comme vice-prince héritier Mohammed ben Nayef, le ministre de l'intérieur, en charge de la lutte anti-terroriste, car il a 55 ans, c'est un poids lourd du système et le rival déclaré de Mitab, le fils d'Abdallah. Il est donc incontournable sur l'échiquier interne de la famille. Ce n'est pas un hasard. Le paradoxe, c'est que la fonction de prince héritier a été créée par Abdallah par décret le 27 mars 2014car il espérait sans doute que ce soit son propre fils, Mitab, qui l'occupe, une fois le prince Moqren devenu prince héritier, comme c'est le cas désormais.Manifestement Salman, frappé par la solidarité Soudayri de ses frères, a préféré nommer son neveu, Mohammed ben Nayef, même si ce n'est pas un hasard car il est ministre de l'intérieur donc très au fait des questions de sécurité.

Quel rôle l'organisation tribale d'Arabie saoudite joue-t-elle dans cette succession ?

Le royaume n'est pas, à proprement parler, un "royaume tribal". D'ailleurs, quand on remonte à l'origine de la famille saoudienne, contrairement à ce qu'on croit, ce n'était pas des nomades au sens strict, ils étaient semi-sédentarisés. Il y a quand même une affiliation tribale revendiquée, surtout pour les équilibres internes. Abdallah était un Churaym, c'est-à-dire qu'il est rattaché à la confédération tribale des Chammar dont l'aire territoriale déborde sur la Syrie et l'Irak. C'est une anomalie dans le système saoudien car jusqu'à présent l'essentiel des rois étaient issus des tribus du cœur du Nedj (le centre de l'Arabie NDLR). Quand on prend les deux princes héritiers décédés avant d'avoir pu accéder au trône, Sultan et Nayef, mais aussi le nouveau roi Salman, tous sont issus du clan Soudayri, qui vient du cœur de l'Arabie saoudite, ce que n'était pas Abdallah. Paradoxalement, Abdallah bénéficiant d'un regard favorable de la matrice tribale, parce qu'il était moins corrompu que les autres. La situation était assez paradoxale, mais ce qui est sûr c'est que le fait qu'il ait pu accéder au trône était un concours de circonstances et que son ascendance Chammar n'était pas, à priori, un avantage. D'ailleurs, j'ai regardé les premières nominations de Salman : il a nommé vice-prince héritier Mohammed ben Nayef, son neveu direct issu du clan Soudayri, et a nommé son fils, Mohammed ben Salman, ministre de la défense. Il y a donc un personnage important qui n'apparaît pas : le fils d'Abdallah, le chef de la garde nationale. Il y a là un problème d'équilibre clanique qui est en train de s'installer et qui n'est pas favorable, en tout cas pour le moment, à la descendance d'Abdallah.

Si Abdallah est à l'envi présenté comme un monarque ayant su préserver la paix dans la région, et "protéger" son pays des printemps arabes, les droits de l'homme ont peu progressé sous son règne et son pays a continué de jouer un rôle trouble dans l'expansion du terrorisme islamique...

David Rigoulet-Roze : Abdallah sur le trône n'était qu'un élément central du système. Le régime saoudien, est pris dans une configuration interne et externe qui fait que les droits de l'Homme, tels que nous les concevons, ne sont pas la priorité. Ce n'est pas la faute d'Abdallah en tant que tel, bien qu'il ne s'agisse pas de le dédouaner de quoi que ce soit.. Il est présenté comme quelqu'un ayant eu l'ambition d'être un réformateur prudent. Il l'a manifesté à plusieurs reprises en disant qu'il voulait faire des réformes sans heurter de manière frontale les archaïsmes de la société saoudienne. C'était une logique prudente, même si, sur le fond, il avait néanmoins l'ambition de faire évoluer les choses, mais à la saoudienne,  c'est-à-dire pas vraiment de la manière dont nous le concevons. Il a rendu possible le vote des femmes aux municipales à venir en 2015, de même qu'il était, même s'il ne l'a jamais dit directement et bien que ce n'ait jamais été remis en cause sous son règne, favorable à la conduite des femmes. Abdallah est un personnage qui aura fait charnière entre deux époques : ce qu'a été le royaume saoudien avant lui, entre Ibn Al Saoud et Fahd, et ce qu'il deviendra. Le roi a pressenti des mutations, à la fois internes et externes, majeures pour la sécurité du régime saoudien. Il ne pouvait pas être dans une logique révolutionnaire, c'est impossible, il était donc dans une logique de réformes prudentes.

De quel contexte le roi Abdallah avait-il hérité ? En quoi l'alliance passée entre les Al Saoud et les religieux wahhabites au 18è siècle lui liait-elle les mains ? A quelles conditions les choes pourraient-elles évoluer ?

Le royaume saoudien est fondé sur l'alliance du sabre et du Coran depuis le 18ème. Il y a traditionnellement une espèce de partage du pouvoir avec "l'establishement" wahhabite (le clergé n'existant pas), marqué par une culture sunnite extrêmement rigoriste, renvoyant au droit hanbalite, la plus puritaine des quatre écoles du droit musulman sunnite, et donc la moins propice à l'innovation. C'est la matrice théologique du royaume. Parallèlement, cela s'est traduit, politiquement, au profit de la famille Al Saoud. Il y a donc une alliance théologico-politique entre celle-ci et les wahhabites, la famille Al ash-Sheikh, qui a permis de légitimer le pouvoir. D'ailleurs, on peut noter que le roi d'Arabie saoudite a officiellement repris le titre prestigieux de Khâdim al-Haramayn al Shârifayn ("serviteur des lieux saints"). Cela lui permet de couper court à toute contestation extérieure, et celles-ci ne manquent pas, par exemple de la part de l'Iran chiite, et même de certains sunnites qui ne sont pas forcément favorables à la mainmise des wahhabites sur ces lieux saints. D'ailleurs, à l'origine, les gardiens n'étaient pas la famille wahhabite, mais le chérif de la Mecque qui était un hachémite (aujourd'hui à la tête de la Jordanie NDLR), mis de côté lors de la conquête et de la formation du royaume.

Le roi Abdallah, assez paradoxalement, était bien considéré par les mouvements religieux, parce qu'il avait choisi de ne jamais les heurter de front. Il n'était donc pas question pour lui de remettre en cause les piliers du royaume, bien qu'il ait eu l'ambition de réformes progressives sur le long terme. Le problème est que le royaume se trouve au cœur d'un cyclone qui balaie toute la région et n'est pas à l'abri de l'Etat islamique. La période qui s'ouvre est pleine d'incertitudes et de dangers, c'est un moment charnière dans l'histoire du royaume comme il y en a rarement eu. Mais également parce que l'alliance qui assurait la sécurité du pays depuis 1945, le pacte du Quincy, est, non pas officiellement remise en cause, mais est en train d'être questionnée, notamment par Washington, à cause de la montée du djihadisme et du salafisme à l'échelle globale. Le lien entre ces phénomènes et le wahhabisme n'est pas contingent, même s'il n'est pas non plus organique. Beaucoup de questions se posent et le règne de Salman est un règne de transition, à la fois pour le royaume et pour l'extérieur.

La manne pétrolière est concentrée dans la région orientale du pays, là où vivent la population saoudienne de confession chiite. Comment le pouvoir compose-t-il avec cette minorité mal considérée par le wahhabisme ?

Abdallah n'était pas mal considéré par la minorité chiite, qui représente 10 à 12% de la population et réside dans la région de Hassa, près de Bahreïn. Pour autant, il ne faut pas prendre Abdallah pour un philo-chiites. Les Saoudiens ont la hantise obsessionnelle de l'Iran chiite, donc cette minorité au sein du royaume pose un problème en soi. D'ailleurs, je vous renvoie aux WikiLeaks, qui affirmaient qu'Abdallah aurait dit selon un câble confidentiel américain de 2008 révélé par Wikileaks en novembre 2010 qu'il "fallait couper la tête du serpent", en l'occurrence l'Iran, dont le jeu dans la région était d'agiter les minorités chiites, en Arabie saoudite, mais aussi de l'autre côté du royaume, en terres yéménites. Maintenant le royaume a le sentiment de commencer à être pris en tenailles entre, au nord, le Hezbollah (Liban), cette cinquième colonne potentielle qu'est la minorité chiite du Hassa, et les rebelles Houthis au Yémen. On voit bien que toutes ces pièces sont liées et le royaume d'Arabie saoudite est extrêmement inquiet.

Quel rôle l'Occident peut-il être amené à jouer dans la transition saoudienne ?

Personne ne peut dire ce qu'il se passera, le royaume est dans une période très dangereuse, comme rarement cela a pu être. A la fois à cause des menaces extérieures, mais aussi des modalités successorales qui ne sont pas clarifiées. De ce point de vue-là, il y a une fragilité qui est certaine.

L'Arabie saoudite fait partie de la coalition anti Etat islamique, l'enjeu pour nous est donc de savoir si le régime va réellement ne pas favoriser les mouvements de l'extrémisme sunnite au sens large, vu sa matrice idéologique. Et s'il est de bonne foi dans sa participation à la coalition. Il l'est sûrement, pour sa sécurité, la question est de savoir s'il ira au-delà.

L'idée qu'on va vers un régime qui serait proche des nôtres n'est pas possible et ce n'est pas le problème. Le problème est de savoir s'il l'on peut parvenir à une situation où le régime saoudien ne favorise plus un certain type de mouvements issus de son obédience, de manière explicite ou implicite. C'est là qu'est l'enjeu.

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