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No Go Zones en plein Paris : et s'il y avait un poil de vrai derrière les excès de Fox News sur les quartiers perdus pour la France ?
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Sens interdit

Si la chaîne de télévision américaine Fox News a été fermement et justement critiquée pour avoir affirmé qu'il y aurait en France des zones de non-droit contrôlées par des islamistes radicaux, on ne peut toutefois pas nier que certains quartiers peuvent poser problème.

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : A propos de la polémique des "zones interdites" soulevée par Fox News, l'ambassadeur de France aux Etats-Unis a répondu : "Il y a des quartiers dangereux en France, comme aux Etats-Unis, mais à cause de la criminalité, pas de l'islam !" Quels sont ces quartiers dangereux ?

Mathieu ZagrodzkiIls sont dans la périphérie des grandes villes, notamment à Paris, Lyon et Marseille. Mais parler de zones de non-droit est exagéré. Parler de zones de non-droit dans le sens où il y a des endroits où la police a du mal à travailler car il y a une importante criminalité et un certain nombre de trafics, c'est vrai. Mais si c'est pour dire qu'il y a des endroits où la police ne va pas, c'est faux. La police va partout. La différence entre le 16ème arrondissement et Clichy-sous-Bois, c'est que la police aura besoin de renforts sur certaines interventions à Clichy. Mais je n'ai jamais entendu parler de cas où la police se serait résignée à ne pas mener une intervention parce que la zone est réputée dangereuse. Nous ne sommes pas au Venezuela ou dans les favelas.

Il y a plusieurs types de situations qui peuvent se recouper parfois. Ce qui caractérise bon nombre de quartiers, c'est une situation économique, sociale et sécuritaire difficile. Cela ne veut pas dire toutefois que tous les habitants y sont des délinquants. Mais beaucoup de quartiers pauvres connaissent des problèmes de trafic de stupéfiants. C'est ce que l'on a connu dans différentes zones, où les entrées des immeubles sont gardées par des trafiquants de drogue. Les policiers, dans ces quartiers-là, peuvent se retrouver dans des situations difficiles, même au cours d’interventions banales. Mais ils ne s'y comportent pas de la même façon qu'ailleurs et peuvent être plus méfiants et agressifs. J'ai été témoin dans des quartiers de la banlieue parisienne, marseillaise ou grenobloise, de réactions disproportionnées d’un côté comme de l’autre, avec des situations qui s’enveniment rapidement. C’est un cercle vicieux : les policiers effectuent une intervention qui se passe mal, la fois suivante ils se montrent plus nerveux et distants, ce qui renforce l’idée chez les jeunes que la police est une institution ennemie et en retour génère des attitudes négatives lors de contrôles ou d’interpellations.

Qu'ont en commun ces territoires ?

Je ne vais pas faire de généralités sur tous les quartiers de France. J'ai pu observer, sur mes différents terrains d’étude en région parisienne et en Rhône-Alpes, des violences sporadiques, des trafics. Il y a plus de tensions avec la police qu'ailleurs.

Quelle sont les origines de cette insécurité ? Comment se sont développé ces "territoires oubliés de la République" ?

Il y a au même endroit des gens qui sont plutôt de catégories sociales basses, qui souvent ont les mêmes origines, avec un taux de chômage et un taux d'échec scolaire élevés, mécaniquement cela produit de la petite et moyenne délinquance. Le sociologue américain Robert Merton a expliqué que chaque catégorie professionnelle a la délinquance qu'elle peut se permettre. Si vous êtes issu d'un milieu aisé, vous devenez trader, vous n'allez pas faire de la délinquance de rue mais de la délinquance en col blanc, comme du délit d'initié, par exemple. Si vous êtes un élu, il est plus probable que vous versiez dans la corruption ou le trafic d’influence que dans le trafic de stupéfiants. Si vous êtes un jeune en échec scolaire dans un quartier relégué géographiquement et socialement, il y a plus de chances que vous commettiez un vol à l’arraché qu’un abus de biens sociaux...  Il ne faut pas d'un côté nier la violence mais il ne faut pas non plus dire que les banlieues sont un champ de bataille incontrôlable qui aurait le monopole de la délinquance. Celle-ci existe dans toutes les couches de la société, mais il est vrai que elle prend sa forme la plus visible dans les quartiers sensibles car elle a lieu dans la rue.

Est-ce que l'on peut parler de démission collective face à ces violences ?

Il y a une première donnée de base qu'il faut accepter : la violence est inhérente à la société. C'est sûr, il est beaucoup plus sécurisant de vivre à Luxembourg qu'à Caracas. Je ne suis pas en train de dire qu'il n'existe pas de pays ayant peu ou pas de criminalité. Mais dans un pays comme la France, avec des centres urbains aussi grands et des différences d'opportunités économiques parfois importantes, il est impossible de ne pas avoir de délinquance. Nous sommes dans une société d'abondance où les possibilités d’infractions contre les biens sont élevées. Nous ne sommes plus dans une société villageoise où tout le monde se connaît, où les structures sont assez égalitaires et avec une forme d'autocontrôle social.

Tout ça nécessite une politique à la fois policière, judiciaire, urbaine et sociale continue et de long terme. Si vous réformez les méthodes de la police tous les deux ans, s'il y a un manque de continuité dans la rénovation urbaine, dans la lutte contre le chômage ou dans l'amélioration du système scolaire, si la justice a des mois, voire des années de retard dans le traitement des dossiers, vous n'arriverez pas à faire baisser la violence. C'est plus une forme d'impuissance collective que de démission collective. Le problème a une multitude de causes qui, pour être réglées, nécessiteraient des moyens que l'Etat n'a pas forcément aujourd'hui. On ne peut pas augmenter les effectifs de police, qui sont déjà importants, de manière infinie quand les déficits sont déjà abyssaux et que l'Etat doit se serrer la ceinture.

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