Valeurs républicaines à l’école : quand le problème vient aussi des profs<!-- --> | Atlantico.fr
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Les derniers événements à Charlie Hebdo ont aussi entraîné des dérapages de la part des professeurs.
Les derniers événements à Charlie Hebdo ont aussi entraîné des dérapages de la part des professeurs.
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Propagande politique, caricatures de Mahomet exhibées, théorie du complot : les derniers événements à Charlie Hebdo ont aussi entraîné des dérapages de la part des professeurs. Une attitude déplacée directement héritée des réformes successives de l'éducation nationale qui placent le "débat" avant la transmission de connaissances, et qui a commencé par la réforme Jospin en 1989.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico :Les professeurs sont-ils aussi responsables du non-respect des valeurs républicaines dans le contexte ultérieur aux attentats de Charlie Hebdo ?

Jean-Paul Brighelli : Dans leur quasi totalité les profs ont fait ce qu’ils ont pu pour orchestrer des débats cohérents — avec des fortunes diverses. Partout où des élèves musulmans étaient présents se sont élevées des voix pour dire que certes un meurtre ce n’est pas joli-joli, mais qu’il fallait comprendre, qu’on ne s’en prend pas à la religion, qu’ils l’avaient bien cherché. Le pire, c’est qu’au fil de la semaine ces réactions se sont faites plus violentes, au fur et çà mesure que s’établissaient diverses théories du complot. Nombre d’enseignants se sont d’ailleurs réfugiés derrière leur spécialité disciplinaire pour n’ouvrir aucun débat, quelles que soient les demandes des élèves.

Il en a été de même entre enseignants. Les salles de profs ont résonné de débats parfois houleux.

Et puis certains ont porté le fer dans la plaie en exhibant les caricatures incriminées — autant parler de choses précises. On a vu (à Mulhouse, par exemple) que ce n’était pas ce qu’attendait l’administration centrale.

Le comportement de certains élèves est-il le résultat d'une faillite de l'enseignement français ?

Moins de l’enseignement que du système lui-même. La loi Jospin, depuis 1989, autorise les élèves à donner leur avis sur tout et sur rien. Et la plupart du temps, ce qui est exprimé est de la bouillie de communication, qui reprend jusqu’à la caricature les avis entendus à la maison, dans la rue, entre copains ou sur le Net. Vous savez, quand un enseignant, traditionnellement, demande le silence en classe, c’est parce qu’il sait que les élèves n’ont rien à dire de très constructif. Les Francs-maçons exigent un an de silence au nouveau Frère, Pythagore en réclamait cinq à ses nouveaux disciples. Mais les néo-pédagogues qui ont massacré l’Education sont plus malins.

Une mienne collègue a excellemment formulé le problème : "Par pitié, il faudrait arrêter de croire qu'on enseigne par le débat ! La liberté d'expression, c'est d'abord pouvoir être libre dans son expression mais parce qu'on est capable de penser par soi-même. La liberté d'expression n'est pas la liberté de répéter n'importe quoi sans avoir conscience de ce que l'on raconte ou de ce que cela implique."

Bien sûr qu'il faut entendre la parole des élèves, mais ce n'est pas ainsi, en débattant, fût-ce de laïcité et de citoyenneté que l'on apprend à penser. On conforte la bêtise: non que ce soit une bêtise innée et incurable, mais la bêtise naturelle tout simplement d'un cerveau que l'on n'aide pas à se développer.

"La pensée passe par des outils dont il faut connaître l'emploi, en commençant par le vocabulaire, la syntaxe, en continuant par la formation que donne l'habitude de fréquenter des pensées construites et élaborées, celles des écrivains, des philosophes, des penseurs. Ceux qui n'invitent pas à réciter leur "mantra" mais justement à s'interroger, s'inquiéter, douter, choisir. Penser est le résultat d'une éducation, en somme, ce n'est pas une donnée immédiate !"

"L'école a laissé se fabriquer des ados incultes, confondant opinion et pensée, essentiellement préoccupés par l'expression de leur Moi, avec des cerveaux "inoutillés". Et on s'étonne de la monstruosité des résultats..."

Je ne saurais mieux dire.

Les cours d'éducation civique existent déjà, mais sait-on vraiment comment s'y prendre ?

Il y a un programme d’Education civique, entre autres pour faire comprendre le fonctionnement des institutions. La morale civique, c’est autre chose, et ça ne s’enseigne pas en soi. Ça se transmet par l’ensemble des Savoirs enseignés — la philosophie bien sûr, les Lettres aussi, c’est évident, mais aussi (et surtout, à mon sens), l’Histoire — parce que la France est le produit de son histoire avant même d’être le produit de sa contemporanéité.

Or, l’enseignement de l’Histoire a été sans cesse chamboulé ces deux dernières décennies. On a contourné l’Histoire chronologique, on a voulu faire confiance aux élèves pour qu’ils interprètent des documents qui les dépassaient, on a fait du débat et de la discussion le centre d’une pédagogie des "compétences" qui donne… ce que nous voyons aujourd’hui. Quand on lit sur certains sites d’enseignants d’Histoire-Géographie (qui ont tous plus ou moins tendance à se prendre pour des historiens, alors même que les profs de maths ne se prennent pas du tout pour des mathématiciens, ni les profs de Lettres — moi-même — pour des écrivains) des horreurs pédagogiques. Jetez donc un œil sur celui-ci par exemple... 

C’est le credo pédagogiste, c’est le degré zéro de la pensée — et ça se croit historien, et ça construit, dans les cervelles adolescentes, la possibilité de l’horreur.

Comment doit-on réformer le système éducatif pour transmettre au mieux les valeurs de la République ?

Cessons de mettre "l’élève au centre". Ce qui est central, c’est la transmission des savoirs — et il serait sain que la formation des maîtres s’articule à nouveau principalement sur l’acquisition de ces savoirs savants, et non sur la bouillie pédagogico-didactico-nigologique en vogue dans les ESPE (Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation ndlr), comme elle l’était dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres ndlr). Rétablissons aussi des horaires réalistes — on n’a pas cessé de grignoter des centaines d'heures de cours dans toutes les matières depuis vingt ans, pour faire des économies : on trouvait que l’école coûtait cher, on a essayé l’ignorance, on voit ce que ça donne. Les djihadistes d’aujourd’hui étaient à l’école dans les années 90-2000. Après la loi Jospin. Concluez vous-même. Et au lieu d’ouvrir sur le monde contemporain, si difficile à maîtriser, reversons de larges rasades de culture classique : le meilleur antidote aux dérives idéologiques, ce n’est pas un nouveau cours de morale laïque, c’est l’apprentissage réel de la laïcité, via Voltaire et Condorcet — et les autres, tous les autres.

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