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Charlie ou pas Charlie : comment la France doit trouver sa voie entre l'angélisme des uns et la récupération des autres
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Editorial

Dix jours après la marche historique en hommage aux victimes des attentats islamistes de Paris et pour les libertés d’expression et de conscience, les calculs électoraux des politiques et les balbutiements des religieux – en bref , les bégaiements de l’Histoire - ne laissent déjà plus d’autres solutions pour agir que les initiatives citoyennes.

Pierre Guyot

Pierre Guyot

Pierre Guyot est journaliste, producteur et réalisateur de documentaires. Il est l’un des fondateurs et actionnaires d’Atlantico.

 

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Alors, on en est là. Moins de deux semaines après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, après les meurtres de policiers et alors que Frédéric Boisseau, l’agent de maintenance qui travaillait dans le bâtiment du journal satirique le jour de l’attentat, n’a pas encore été mis en terre par ses proches, nous voilà déjà pris en tenaille.

D’un côté, il y a ces responsables politiques qui se vautrent dans l’angélisme qui a permis aux frères Kouachi et à leur mentor de prier en pleine rue à Paris sans qu’aucun pouvoir public n’y trouve à redire. Ce sont ceux-là même qui depuis des années, sous prétexte d’intégration mais surtout pour s’offrir bonne conscience et s’épargner de voir que certains quartiers devenaient des zones de misère et de non-droit, ont accepté de séparer hommes et femmes dans les piscines municipales, laissé les chefs d’établissements scolaires se débrouiller seuls, sans consigne claire, face aux élèves qui arrivaient en cours voilées et prétendaient créer, pour cimenter la cohésion nationale, des instances représentatives des musulmans en donnant les clés de la gestion de l’Islam de France à des lobbys étrangers, trop heureux de faire main basse sur la patate chaude.

De l’autre côté, on entend encore une fois l’habituelle litanie de ceux qui hurlent contre l’immigration et les immigrés et qui oublient, ou plutôt font semblant d’oublier, que Mohamed Merah, l’auteur des attentats de Toulouse en 2012, Mehdi Nemmouche, le criminel qui a tué quatre personnes au musée juif de Bruxelles l’année dernière ou les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient tous nés en France et avaient tous la nationalité française. Peu leur importe, à ceux-là, que parmi les Français musulmans dont le pays retiendra le nom après ces quelques jours d’effroi, il y a aussi celui d’un fonctionnaire de la police nationale qui fit face aux tueurs ou celui d’un magasinier qui cacha des clients juifs de la supérette de la Porte de Vincennes pour les protéger. Peu importe la réalité et la complexité des faits, pourvu que l’Histoire - fût-il la réécrire - serve des desseins politiques. Et les échéances électorales ne manquent pas dans les mois qui arrivent !

Et puis il y a tous ceux qui déjà profitent de l’occasion pour reprendre un peu de terrain à la laïcité. Tous ces militants du "oui, mais…", qui après avoir défilé parmi les millions de marcheurs du dimanche 11 janvier dernier, commencent déjà à appuyer le doigt sur le ventre mou de notre République malade pour voir à quel moment elle dira « aïe », jusqu’où les évènements que nous traversons peuvent leur permettre d’aller trop loin. Ce sont les religieux de tous poils qui reprennent aujourd’hui en chœur les déclarations du pape François expliquant "qu’on ne peut provoquer, insulter la foi de l’autre" ni "la tourner en dérision". Ce sont les musulmans qui condamnent les meurtres mais affirment dans le même temps que le blasphème leur est insupportable et donc pas tolérable.

En fait, tous ces scénarios sont déjà connus. Il y a celui de la longue et parfois très douloureuse Histoire commune de la République française et de l’Eglise. La France est parvenue à une concorde nationale il y a plus d’un siècle, qui permet à tous la liberté de conscience et de culte, mais contre laquelle les religieux n’ont jamais cessé d’espérer regagner du terrain et retrouver leur pouvoir politique d’antan.

Il y a aussi celui du feuilleton que nous avons commencé à écrire il y a vingt-cinq ans en France lors de la fatwa de l’ayatollah Khomeiny contre les "Versets sataniques", le roman de Salman Rushdie que l’éditeur français refusa de publier par peur des représailles. Un livre interdit par crainte des religieux, au pays de Voltaire et d’Hugo ! Ce scénario est également celui des épisodes qui suivirent les attentats de Khaled Kelkal en 1995, des attentats du 11 septembre à la portée internationale, de ceux de Londres, de Madrid, de Toulouse… Si on ferme très fort les paupières, on est sûr de ne pas voir le problème.

En fait, l’absence de réponses des responsables politiques, les réactions des religieux, parfois aussi le traitement de ces sujets par les médias, tout cela est à pleurer de rage et de désespoir. Sauf qu’après ces deux dernières semaines, certains d’entre nous n’ont plus beaucoup de larmes à verser. J’aime à penser que ceux-là vont maintenant préférer agir.

La voie de la politique traditionnelle est possible, à condition de proposer une alternative réellement nouvelle. Les mouvements "Podemos" en Espagne ou "Syriza" en Grèce montrent que de nouveaux partis peuvent émerger, mais souvent en réaction et avec des programmes trop radicaux pour être appliqués. Reste l’initiative citoyenne. En quelques jours, des collectifs d’avocats se sont constitués et offrent d’intervenir dans les classes pour discuter avec les élèves et expliquer ce que sont les droits constitutionnels. Un groupe de journaliste propose d’en faire autant en se mettant à la disposition des enseignants et venir témoigner de la nécessité de la liberté d’expression. Des rencontres multiconfessionnelles s’organisent spontanément autour de dîners ou d’un café. Des citoyens musulmans affirment leur désir d’expliquer publiquement la manière sereine et cohérente avec les valeurs de la République française avec laquelle ils vivent leur foi. D’autres exigent un combat public et collectif contre les prêches obscurantistes dans certaines mosquées.

On en est là et tout espoir n’est pas perdu.

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