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Juifs de France ou Français juifs : de Netanyahu ou de ceux qui refusent obstinément de voir le problème avec l'islam, qui fait le plus de mal ?
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Les mauvaises bonnes intentions

A force de ne pas vouloir susciter de réaction à l'encontre des musulmans, de donner cours aux "amalgames", une grande partie des commentateurs n'ont pas souhaité dénoncer l'islamisme radical après les attentats de Charlie Hebdo. Les actes de Coulibaly, Merah, Nemmouche, montrent pourtant combien cette montée constitue une menace pour la communauté juive. Et les déclarations maladroites (mais répondant à un objectif) du Premier ministre israélien, rappelant que son "foyer" était en Israël n'ont pas non plus participé à apaiser une communauté déjà troublée...

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : , la plupart des pourfendeurs d'Eric Zemmour, ou plus récemment de Michel Houellebecq, invoquent le danger qu'il y a à dénoncer la montée de l'islamisme en France et en Europe. Ainsi, Edwy Plenel s'était insurgé de la visibilité médiatique accordée à l'auteur de Soumission (voir ici). Dans un article paru dans le DailyBeast, James Kirchik dénonce d'ailleurs le fait que "trop de personnes en France ont du mal à nommer les victimes et les coupables quand il s'agit d'antisémitisme". Dans quelle mesure cette intention initialement angélique, qui souhaite promouvoir le vivre-ensemble, porte-t-elle in fine atteinte à la communauté juive, principale victime du phénomène de la radicalisation islamique ?

Gil Mihaely : En France, on croit souvent que les noms précèdent les choses, c’est-à-dire que le réel n’existe pas en tant que tel,  mais qu’il serait façonné par les mots employés pour le décrire. C’est pourquoi nous rejetons les statistiques ethniques, de peur que les catégories administratives créent des groupes communautaires au sein d’une nation prétendument une et indivisible. Nous sommes trop portés sur la théorie et manquons d'une approche empirique.

Ainsi à trop vouloir éviter des amalgames, nous avons mis trop de temps à comprendre qu’un cocktail idéologique est en train de se créer chez certains de nos compatriotes de culture musulmanes : un mélange de complotisme, retour à la religion, d’antisémitisme, culture victimaire, frustrations, sentiment d’humiliation et un système d’honneur très particulier. A force de le négliger, on découvre aujourd’hui que, dans certains cas, avec un dosage un peu différent et quelques ingrédients de plus cela sert de base pour un cocktail Molotov…

Notre crainte de mal nommer les choses et notre hantise de la généralisation abusive (les fameux "amalgames") nous poussent à ne pas les nommer du tout ! C’est comme si, prenant prétexte du fait qu’il est très difficile de donner une définition absolue au mot "chaise" (si je m’assois sur une table, devient-elle pour autant chaise ?) on excluait ce mot de nos dictionnaires ! Or, parler c’est généraliser !  Il faut tout simplement essayer de limiter autant que faire se peut les amalgames, sans se censurer.

A la suite de la prise d'otage dans un supermarché Casher de la porte de Vincennes, Benyamin Netanyahou a réagi en rappelant aux juifs français qu'Israël constituait pour eux un "foyer".  Considérant que notre pays est l'un des premiers en terme d'aliya, le départ vers Israël, s'agit-il d'une manoeuvre de sa part pour amplifier ce phénomène ? Quel intérêt pour Israël ?

Gil Mihaely : Certes, Netanyahou manque de tact, d’autant qu’il est en pleine campagne électorale, mais comme le dit la blague,  les juifs sont des paranoïaques qui ont des vrais ennemis…  Ils ont si souvent été mis à la porte - voire pire… - de  pays comme la France, qu’ils ont besoin, peut-être plus que d’autres, d’être rassurés. Avec un tel "bagage", savoir qu’Israël existe, qu’il est un "plan B"  en cas de malheur, est rassurant. 

Pour le sionisme, les Juifs forment un peuple et une nation c’est-à-dire qu’ils ne sont pas - ou pas uniquement - les fidèles d’une religion qui s’appelle le judaïsme.

Or, si le sionisme existe en tant que mouvement de libération nationale, c’est justement parce que les juifs ont été systématiquement exclus des nations naissantes en Europe de l’Est– il suffit de penser à la Pologne des années 1920-1930 - puis en Europe occidentale – de 1933 à 1945. Autrement dit, les juifs, émancipés presque partout suite à leur intégration à la nation française pendant la Révolution, avaient comme projet de devenir des Français, Polonais, Roumains, ou Allemands de confession juive.

Ce sont les multiples échecs de ce projet qui ont donné d’abord naissance et plus tard raison au sionisme. Depuis, chaque fois que les citoyens de confession juive d’un pays quelconque se sentent menacés voire exclus de la communauté nationale à laquelle ils appartiennent, l’option sioniste, qui consiste à partir s’installer dans l’Etat-nation juif, revient à l’ordre du jour.      

Frédéric Encel : Il ne s'agit ni de manoeuvre ni d'intérêt, mais de la vocation fondamentale d'Israël comme fruit de l'idéal sioniste. Or, je rappelle que le sionisme a eu très simplement pour double objectif, dès son premier congrès de 1897, d'une part de créer un foyer national pour le peuple juif en Eretz Israël (la terre promise, désignant alors une partie de la Palestine ottomane), et d'autre part d'y réunir l'ensemble de ce peuple.

Très logiquement, un premier ministre israélien, nationaliste aujourd'hui comme Netanyahu, ou travailliste hier comme Peres, encouragera donc toujours les Juifs de diaspora à faire leur aliya, autrement dit à rejoindre Israël en tant qu'Etat du peuple juif. Une fois qu'on a dit cela, reste évidemment les mots et le contexte ; en l'occurrence, Netanyahou n'a pas ouvertement appelé les Juifs de France à quitter leur pays (c'eut été inconvenant !), se contentant de rappeler que le sien demeurait leur foyer naturel. Il a joué son rôle, tout comme Manuel Valls a joué le sien en rappelant en des termes très forts que les Juifs avaient toute leur place au sein de la République.

Les juifs français dénoncent un climat d'antisémitisme de plus en plus pesant dans le pays. Benyamin Netanyahou entretient-il ce qui pourrait devenir une véritable psychose au sein de la communauté israélite française ? Y a-t-il un intérêt politique derrière ?

Gil Mihaely : La plupart des Français juifs ne cherchent qu’à être rassurés sur leur appartenance à la nation. En 1962 la quasi-totalité des juifs obligés de quitter, avec les autres Français, les trois départements d'Algérie, se sont installés en métropole et non Israël : quelle meilleure preuve d’attachement au pays qui leur a accordé sa nationalité en 1870 ?!

Si leurs enfants et leurs petits-enfants quittent la France ces dernières années, c’est bien que quelque chose s’est cassé.

Frédéric Encel : Je ne le crois pas qu'il y ait un intérêt, ne serait-ce que parce-que cette inquiétude, voire pour certains cette psychose bien compréhensible au regard des assassinats et massacres antisémites du gang des barbares, de Merah, de Nemouche et maintenant de Coulibaly, existe déjà bel et bien. Agiter le chiffon rouge ou maintenir la tension à dessein serait en outre contre productif ; cela exaspérerait à la fois nombre de Juifs français souhaitant ardamment demeurer dans leur pays, et les autorités de la République qui font manifestement tout pour les protéger.

En revanche, le fait que Netanyahu soit déjà en campagne électorale en vue du scrutin de mars n'est pas totalement à écarter. Non pas qu'il pense cyniquement récolter des voix, mais sans doute beaucoup d'Israéliens lui auraient-ils reproché, vu l'ampleur du choc international après cette semaine de terreur à Paris, de ne pas s'y rendre.

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