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Quand la France 
a peur de la concurrence
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Mondialisation

Dans son livre "Un paléoanthropologue dans l'entreprise", Pascal Picq nous fait voir l'entreprise sous un nouvel angle, celui des sciences biologiques et anthropologiques. Ici, il s'intéresse à la concurrence. Extrait (1/2).

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

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La concurrence n’est pas le concept préféré de la société française. La France traîne encore sa passion pour les seconds – Poulidor vs Anquetil – et vénère son village gaulois qui résiste encore et toujours. Mais que serait le succès du Parc Astérix sans l’envahissant Disneyland Paris ? Pour des raisons culturelles profondes, les notions de compétition et de sélection – comme la très honnie et incomprise sélection naturelle – soulèvent le rejet, voire l’offuscation. Plutôt paradoxal dans un pays dont le système scolaire se fonde sur de grandes écoles dont l’accès est très sélectif tandis que l’on demande aux universités d’accepter tous les bacheliers ! Mieux, comme on le sait, les bacheliers s’inscrivent préférentiellement dans les filières sélectives, surtout ceux des familles plus modestes. La réforme des universités du 10 août 2007 ou loi LRU avance avec succès et plus vite qu’on ne l’espérait, motivée par une compétition internationale pour accueillir les meilleurs étudiants, dont les étrangers. Nul doute que cela bénéficiera aussi aux grandes écoles. De nouvelles associations se mettent en place avec les PRES (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur). Pour autant, la concurrence ne signifie pas l’absence de règles, comme le soutiennent les chantres du marché idéalisé et se revendiquant d’un Darwin mal compris (ils sont darwinistes, mais pas darwiniens). Certains secteurs doivent être soutenus et on loue le succès du cinéma français, qui a ses règles concurrentielles.

Le livre existe depuis des millénaires et a toujours bénéficié des évolutions technologiques que les Cassandres dénonçaient comme ses pires ennemis. Le cinéma s’inspire de romans et fait vendre des romans tandis que, pour l’heure, les films tirés de jeux vidéo à grand succès ne sont pas prêts d’être sélectionnés au Festival de Cannes. D’autres formes de livres existent, comme ceux que j’ai pu diriger avec des auteurs du monde entier et que je n’ai jamais rencontrés ; des « livres Internet » ou, inversement, des livres ou « hyperlivres » qui renvoient à des sites Internet. À trop vouloir le protéger, comme actuellement avec la question de la numérisation et des droits d’auteurs évoquée dans le G8 de l’Internet fin mai 2011, on risque de retarder des adaptations inédites. De nouvelles coévolutions se mettent en place, auxquelles je suis sensible en tant qu’auteur, mais comment pourrais-je m’y opposer alors qu’au cours de la rédaction de ces pages je ne cesse de naviguer sur la Toile pour rechercher et préciser les informations dont j’ai besoin ? Évidemment, je tiens aussi à mes droits d’auteur, mais je n’ai pas envie de retourner au temps où il fallait me déplacer en bibliothèque, remplir des fiches, attendre parfois des autorisations pendant plusieurs jours, etc. Et on aura toujours besoin des bibliothèques, de plus en plus médiathèques, dont les services ne cessent de se diversifier. Ce n’est quand même pas mal, l’évolution !

Le concept de « destruction créatrice » de Schumpeter ne signifie pas la disparition systématique de ce qui existait et s’accompagne toujours de « stimulations créatrices ». L’exemple le plus magnifique provient une fois de plus de l’histoire de la vie. Les bactéries apparaissent en premier et elles sont toujours là, pour le meilleur et pour le pire, comme la famille des Escherichia coli qui peuplent nos intestins, certaines amies, d’autres ennemies. L’émergence de formes de vies plus complexes a stimulé l’évolution et la biodiversité des bactéries qui colonisent de nouveaux terrains, en l’occurrence de nouveaux organismes, poussant ces derniers dans la course de la Reine Rouge avec, par exemple, l’invention des sexualités. Sans les bactéries, la Reine Rouge et la concurrence, nous ne serions pas là.

La concurrence ne consiste pas à se débarrasser des autres, mais à co-évoluer. On vit toujours mieux avec son concurrent qu’en l’absence de concurrents. Cependant, les marchés ne sont pas des bienfaits ou des méfaits en soi, cela dépend de leurs modes d’actions ; il y a des parasites symbiotiques et d’autres délétères. Les logiques de la compétition par secteur, comme dans l’automobile ou la grande distribution, bénéficient aux consommateurs, mais cela se fait au détriment des fabricants d’accessoires ou des producteurs agricoles, ce qui n’est pas bon pour l’ensemble de l’écosystème. Il y a donc nécessité de faire respecter quelques règles de bon sens économique et écologique, ce qui renvoie à la responsabilité des politiques.

1. Lire Picq, P., Si Charles Darwin et Claude Lévi-Strauss repartaient faire un grand voyage, à paraître chez Plon fin 2011.

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Extrait de Un anthropologue dans l'entreprise : s'adapter pour survivre, EYROLLES (29 septembre 2011)


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