Affaire Zemmour : quand les organisations antiracistes se trompent de combat en refusant le débat<!-- --> | Atlantico.fr
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iTélé a mis fin à l'émission d'Eric Zemmour suite à des propos polémiques.
iTélé a mis fin à l'émission d'Eric Zemmour suite à des propos polémiques.
©Reuters

Sortir de l'erreur

Accusé d'avoir évoqué l'éventualité de la déportation des musulmans, le journaliste est attaqué en justice par le Cran "pour apologie de crime contre l'humanité et incitation à la haine raciale". D'autres organisations pourraient suivre, sans se rendre compte qu'elles étouffent un débat indispensable pour la définition de ce que nous voulons comme société.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Eric Zemmour, auteur du  livre « Le suicide français », en tête des ventes en France, est accusé d’avoir, dans un entretien au Corriere della Sera, journal italien, évoqué l’éventualité de la déportation des musulmans de France, comme réponse à l’échec de l’assimilation et du modèle multiculturel. Il parle des risques d’une guerre civile en France qui seraient liés à la présence des musulmans, du fait qu’ils « vivent entre eux, dans les banlieues ». Le Cran veut en réaction citer Éric Zemmour à comparaître "pour apologie de crime contre l'humanité et incitation à la haine raciale". Une série d’autres associations ont annoncé jeudi des actions en justice et appelé les médias à cesser leur collaboration avec le polémiste, SOS Racisme ayant lancé de son côté une pétition. Le Ministre de l’intérieur lui-même a appelé à se mobiliser contre ce dernier. C’est Jean-Luc Mélenchon qui a publié un billet sur son blog avec la traduction de l’interview où est avancée qu’Eric Zemmour aurait parlé de « déportation... » Il s’en défend expliquant sur RTL qu’il n’a jamais prononcé ce mot, pas plus qu’il aurait répondu à une question du journaliste le contenant.

Par-delà le débat sur le mot, si on ne peut que fermement condamner des propos qui défendent l’idée d’une mise à feu et à sang de la France par les musulmans, identifiés à la peur de l’étranger, suggérant pour remède des expulsions massives, on doit s’interroger sur ce déchaînement de procédures et d’appels à faire taire le polémiste. iTELE a déjà annoncé la fin de l'émission dans laquelle il intervenait.

Après la Licra, l'UEJF a annoncé une plainte pour "incitation à la haine raciale". La Grande Mosquée de Paris (GMP), le Conseil Français du Culte Musulman, le Rassemblement des musulmans de France et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), annoncent vouloir faire de même. On assiste à un amalgame curieux d’associations qui pourraient s’affronter violemment sur d’autres terrains qui se retrouvent là, avec un mélange en quelque sorte contre-nature. On ne voit pas bien ce qui pourrait réunir l’UOIF, organisation qui milite pour un islam pur et dur, qui invite les Frères Ramadan à ses congrès et des chefs religieux radicaux, qui font de la publicité pour la charia et rejettent les valeurs occidentales qu’ils critiquent partout sur leur passage, et la Licra ou SOS Racisme, plus respectueuses de nos valeurs communes et de la République ? Ne parlons pas encore du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) qui considère la laïcité comme un outil d'exclusion contre les musulmans et met sur le même plan dans sa logorrhée antirépublicaine notre Premier ministre Manuel Valls, Vincent Peillon, la Sénatrice PRG Françoise Laborde et Marine Le Pen !

Le CRAN lui-même, qui se présente en défenseur permanent des opprimés, alimente le moulin d’un Eric Zemmour par son combat en faveur de la reconnaissance d’une logique des minorités, opposant noirs et blancs selon un discours de victimisation qui désigne la France comme encore habitée par un racisme postcolonial. C’est un stéréotype des contradictions qui traversent le débat politique français et sèment le trouble. Si le bouc-émissaire pour le FN c’est l’étranger désigné comme responsable de tous les maux, pour le CRAN, c’est la France et les Français, invitant de la même façon à se tromper de colère. Face aux difficultés économiques et sociales que connaissent, comme bien d’autres, les personnes de couleur, l’organisation les interprète comme autant de faits de discrimination dont elles seraient systématiquement frappées, alors que tous bénéficient largement de l’égalité des droits contenue à l’Article premier de notre Constitution. Non que les discriminations n’existeraient pas dans notre pays, dont la moindre doit être évidemment combattue, mais elles sont ici, selon tous les indicateurs, un facteur clairement minoritaire. On assiste à une même démarche, à travers le discours de victimisation d’une partie des musulmans engagés dans un militantisme religieux, qui entend imposer ses règles à la société française.

On explique qu’on entend trop le journaliste incriminé sur les chaînes et les radios. Peut-être… Mais n’est-ce pas finalement d’abord, parce qu’Eric Zemmour apparait comme l’épouvantail idéal, dont les excès autorisent tous les amalgames, tel le conglomérat des associations qui se pourvoient contre lui s’en fait le reflet, dont certaines feraient bien de s’interroger sur l’après ? Cela justifie aussi le rejet de bien des questions sérieuses posées à la société française, que le polémiste traite sur le mode de la caricature et de la provocation crispé sur une posture identitaire conservatrice, auxquelles il faut néanmoins absolument répondre mais avec mesure et sur le fond.

En appeler de façon générale à interdire d’antenne un journaliste en s’attaquant ainsi à une liberté fondamentale, est-ce bien raisonnable? Personne n’a heureusement le pouvoir de le faire, comme le CSA vient de le rappeler. Ceux qui en appellent à cela, rejoignent les promoteurs d’un combat qui vise à faire taire l’existence de problèmes majeurs concernant notre vivre-ensemble, qui sont comme autant de cocottes minutes prêtes à exploser, comme toutes les enquêtes d’opinion le montrent. Selon une étude réalisée par l'institut Sociovision publiée début décembre, sur la perception de la religion par les Français, « la laïcité est une valeur qui progresse dans l'Hexagone sauf pour les musulmans (pratiquants) ». Alors que la religion s’est sécularisée progressivement en France on assiste à un mouvement inverse avec une partie de l’islam qui se raidit, qui fait retour à la tradition et à une conception communautaire fermée, avec une montée croissante des revendications communautaires à caractère religieux, comprenant le risque du communautarisme et de division de notre société. Cette façon, pour une partie de la population de la France, de faire passer une religion, la foi, avant la citoyenneté (« Le droit est sans prise sur la foi » nous disent, Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, les avocats de  la mosquée de Lyon et de la mosquée de Paris. Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, Pages 34 à 36), est perçue légitimement par d’autres, comme un risque majeur d’éclatement de notre société et d’affaiblissement de sa cohésion, d’effritement de ses forces sociales, de mise en situation de vulnérabilité face à un groupe religieux qui se transforme en groupe de pression qui va croissant. Une enquête d’opinion encore plus récente montrent que les Français ont changé d’avis concernant le droit de vote des étrangers, puisqu’ils étaient 61% à y être favorables en 2011 et 60% contre aujourd’hui.

Ce ne sont pas les propos d’un Zemmour, qui est comme un symptôme politique, qui amènent à ce constat, mais la réalité ! Notre société est devenue plus composite qu’il y a 30 ans, et c’est un défi que de parvenir à faire vivre ensemble autant d’individus différents. Si elle peut-être considérée comme multiculturelle sociologiquement elle ne l’est pas juridiquement, bien heureusement. Nous avons su éviter le piège du communautarisme jusqu’à présent, qui est un poison pour nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, mais le danger existe. Le CRAN, à travers sa profession de foi qui est d’aller chercher dans le passé à activer un ressentiment des noirs envers la France qu’il instrumentalise, pousse au refus du mélange entre blancs et noirs, de la même façon que monte le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance chez de nombreux musulmans pratiquants, avec l’affirmation d’un port du voile qui le symbolise.

Comment oublier que ces phénomènes se produisent dans le contexte d’une grave crise de notre système de représentation, au regard d’un peuple qui très largement ne s’y reconnait plus, avec un clivage droite-gauche de plus en plus inopérant ? Une situation qui pourrait conduire à une belle catastrophe pour la démocratie et nos libertés.Ce qui est en train de devenir historiquement l’Affaire Zemmour ne doit pas conduire à interdire de penser mais au contraire justifier de libérer la parole autrement, pour déjouer ce piège contenu dans la volonté d’étouffer un débat indispensable à définir ce que nous voulons comme société.

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