Espionnage industriel : ces données françaises que nos concurrents cherchent à se procurer à tout prix <!-- --> | Atlantico.fr
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En matière d'espionnage économique et industriel, les entreprises et l'administration françaises sont "extrêmement vulnérables".
En matière d'espionnage économique et industriel, les entreprises et l'administration françaises sont "extrêmement vulnérables".
©Reuters

Au voleur !

Les conclusions du rapport remis jeudi 18 décembre par le député PS Jean-Jacques Urvoas sont sans appel : en matière d'espionnage économique et industriel, les entreprises et l'administration françaises sont "extrêmement vulnérables". Il faut dire que les technologies françaises suscitent de nombreuses convoitises.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, a présenté un rapport ce jeudi, qui met en avant la vulnérabilité des entreprises françaises en termes de protection des données. Le pillage de données aurait selon lui atteint une ampleur vertigineuse. Quelles sont les données qui intéressent le plus nos concurrents ? Pourquoi ?

Eric Dénécé : Il convient de saluer le travail effectué, car pour la première fois depuis qu'existe la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), nous avons accès à un rapport intéressant et très bien conçu. Il est complet aussi bien dans la méthode d'élaboration que dans les sujets abordés, notamment par l'importance accordée aux questions de renseignement  économiques et financières. Les travaux précédents, malheureusement étaient plutôt insignifiants.

Rappelons dans un premier temps que le rapport Urvoas n'est pas exclusivement consacré au pillage de données : sur les 6 grands chapitres, l'un d'entre eux traite du renseignement économique et financier, et c'est seulement un tiers de ce chapitre qui est consacré à l'agressivité étrangère en matière de pillage de données. Ceci dit, cela n'enlève rien à l'importance de la question.  

Dans le contexte de compétition économique actuel, où le combat se livre sur tous les contrats et dans tous les secteurs, l'ensemble de nos concurrents s'intéresse à tout type d'information. En effet, l'existence d'un marché, dans quelque domaine que ce soit, donne nécessairement lieu à de la concurrence, qui entraîne toujours la mise en œuvre de moyens légaux ou illégaux.

Néanmoins, il est bien évident que les opérations de renseignement les plus poussées se concentrent sur les points forts de l'industrie et de l'économie françaises, qui restent l'industrie militaire (notamment l'aéronautique), le secteur médical, l'industrie énergétique (et plus précisément le nucléaire), les hautes technologies, les télécoms, l'aérospatial…

Qui sont les voleurs de données ?

Il existe deux types d'espionnage économique :

- L'espionnage économique d'Etat, qui est principalement le fait de la Chine. Schématiquement, ce ne sont pas les entreprises chinoises qui nous espionnent, mais l'Etat, qui ensuite distribue les informations récupérées à ses entreprises. Un certain nombre d'autres pays se concentrent sur notre industrie militaire pour nous voler des secrets et ainsi construire leur propre matériel.

- Cependant la majeure partie de l'espionnage économique est d'origine privée.  Il s'agit essentiellement d'entreprises occidentales, qui ont compris qu'elles pouvaient emporter des contrats en se livrant à des pratiques d'espionnage. Des entreprises américaines, devenues expertes en la matière, n'hésitent pas à recourir à des cabinets composés d'anciens de la CIA pour nous voler des informations. Leur but est d'emporter des parts de marché, ce qui n'a rien à voir avec l'espionnage d'Etat américain, qui lui, se concentre sur tous les types d'informations, comme celles contenues dans une conversation téléphonique entre François Hollande et Angela Merkel, par exemple. L'Etat américain, à quelques exceptions près, ne pratique pas l'espionnage économique d'une manière aussi systématisée que la Chine.

Les entreprises françaises ne se livrent-elles pas également à l'espionnage économique ? Pourquoi feraient-elles exception ?

Bien entendu, les entreprises françaises ne sont pas en reste, mais dans des proportions bien moindres. A la différence des Britanniques ou des Chinois, le renseignement français, lui, ne travaille pas pour les entreprises privées. Il existe une démarche de ce type, mais pour l'instant elle est balbutiante, pour ne pas dire insignifiante au regard de ce qui se fait dans le reste du monde.

Concrètement, comment les données collectées par nos concurrents sont-elles exploitées ?

L'espionnage économique poursuit trois buts :

1) Prendre des marchés aux entreprises concurrentes. Si une entreprise apprend qu'un concurrent va faire une certaine offre pour un contrat spécifique, elle peut faire en sorte de proposer ses services pour 2% moins cher, et ainsi emporter le marché à coup sûr.

2 ) Voler des technologies et des projets pour économiser les coûts de recherche et développement, et ainsi produire la même chose pour moins cher.

3 ) Obtenir des informations permettant de déstabiliser un concurrent. Le cas Alstom est emblématique de cette dernière pratique : le renseignement américain a obtenu les preuves supposées de l'implication d'Alstom dans des actions de corruption. L'information a été transmise à General Electric, qui a pu acheter Alstom, qui n'était pas à vendre, en l'échange de l'abandon des poursuites judiciaires qui menaçaient les dirigeants du groupe. L'organisme dont je suis le directeur, CF2R, s'apprête à publier un rapport sur la manière dont s'est déroulé ce chantage.

Les méthodes d'obtention d'informations sont-elles toujours illégales ?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, une grande part des informations économiques est obtenue par des moyens légaux ou semi-légaux. L'illégalité existe, mais beaucoup de consultants qui louent leurs services aux entreprises ne peuvent s'y risquer, ou n'en ont pas les moyens. Les entreprises françaises ont tendance à sous-estimer la capacité de leurs concurrents à obtenir des informations sur elles sans recourir à de actions illégales, c’est-à-dire sans micros, sans piratage, sans vol de documents, etc. Cela s'explique par le fait que nos entreprises ne savent pas se sécuriser, et ignorent ce qu'est véritablement le renseignement.

Propos reccueillis par Gilles Boutin

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