Zemmour, Gattaz, Houellebecq et cie : quand l’obsession pour les “affreux jojos” tourne à l’asphyxie intellectuelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Houellebecq.
Michel Houellebecq.
©Reuters

Polémiques stériles

Si la polarisation médiatique dans son ensemble s'opère souvent autour de polémiques stériles mettant en scène trublions et agitateurs de tout bord au détriment du débat intellectuel, la responsabilité n'en est pas moins partagée.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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  • Ce qui intéresse les médias, ce sont les clashs. Pour accéder aux medias, l'intellectuel se prête donc au jeu. Et il comprend très vite que ce n'est pas sa pensée qui intéresse mais la polémique qu'il va provoquer. Mais à partir du moment où il la provoque, il s'enferme dans celle-ci
  • Pour réussir médiatiquement, il faut souvent s'enfermer dans le rôle de clivant. Les exemples d'Eric Zemmour et d'Alain Finkielkraut sont à ce titre probants.  Leurs pensées étaient auparavant marginales, dérangeantes, complexes et contradictoires
  • Ceux qui pensent indépendamment des répercussions médiatiques, le font souvent très profondément sans que personne ne le sache
  • Si les intellectuels pensent que les médias asphyxient la pensée et la réflexion, ils ont le devoir soit de ne pas y aller, soit de corriger leur interlocuteur journalistique dans tous les sens du terme.

Atlantico : En surexposant les intellectuels autour de polémiques en réalité stériles, les médias asphyxient-ils de fait la pensée et la réflexion ? Cela nous détourne-t-il des problèmes réels ?    

Jean-François Kahn : Tout cela est la conséquence d'une dévalorisation et dévaluation radicale de ce qu'est la fonction intellectuelle. Depuis 30 ans, les medias ont installé par paresse les mêmes intellectuels médiatiques. Il se trouve que pratiquement tous ont conduit des erreurs énormes : d'analyse, d'appréciation, etc. Si cela avait été des erreurs philosophiques, les gens ne s'en seraient pas aperçu et elles auraient été relatives. Mais en se projetant dans la vie politique, ils ont commis des erreurs considérables et finalement, tout le monde s'en est aperçu !

J'en veux pour preuve, Bernard-Henri Lévy qui a commis une énorme erreur sur la Libye. Nul ne l'ignore. Pareil pour André Glucksmann qui soutenait la guerre d'Irak. Alain Minc a commis une série d'erreurs économiques et politiques. C'est également le cas de Jacques Attali, et les gens s'en amusent parfois encore aujourd'hui.

Ils ne reconnaissent pas leurs erreurs. Personne ne leur demande de reconnaître leurs erreurs. Et on les convoque à nouveau sur les plateaux pour parler d'autre chose. Cela signifie qu'on les méprise, que cela n'a aucune importance, qu'on les convoque comme des pantins parce qu'on a besoin d'eux, parce qu'ils sont connus (comme Nabilla pour les réactions et clash que cela provoque) mais que l'on n'attache pas la moindre importance à ce qu'ils disent. Tout cela passe pour pertes et profits. 

Les médias méprisent et dévalorisent les intellectuels. Résultat, le public les méprise également. En démocratie, cela est redoutable. A partir de ce moment là, l'intellectuel ne peut plus exister par ses idées. En connaissez-vous un ? Personnellement, je n'en connais pas !

Ce qui intéresse les médias, ce sont les clashs. Pour accéder aux medias, l'intellectuel se prête donc au jeu. Et il comprend très vite que ce n'est pas sa pensée qui intéresse mais la polémique qu'il va provoquer. A partir du moment où il la provoque, il s'enferme dans celle-ci.

Finkielkraut est un philosophe à la pensée fine et complexe, qu'on l'aime ou pas. Lorsqu'il écrivait des livres complexes, personne ne l'invitait sur les plateaux. Mais depuis qu'il provoque la polémique, on l'invite, et il se perd dans ce travers.

L'exemple d'Eric Zemmour est probant également. Son livre, Le suicide Français, est une tentative de réflexion en soi. Toutefois, il a évolué de la même façon que Finkielkraut. Sa pensée était marginale, dérangeante, complexe et contradictoire. Mais il a compris que pour réussir médiatiquement, il lui fallait s'enfermer dans un rôle clivant. Dans son livre, il y a échappé certes mais ce n'est pas le cas sur les plateaux TV. Je suis choqué par certains aspects du livre ou hostile à ces derniers. Mais la façon dont les médias en ont parlé est tout à fait extravagante. Alors que cet ouvrage est complexe, les médias de gauche lui accordaient dès sa parution des pages entières. Soyons sérieux, ils ne l'ont même pas lu ! Ils ont ramené ce livre à quelques idées simples : d'extrême droite, lepénistes, distillant des idées frontistes alors que ce dernier est beaucoup plus complexe.

D'un bout à l'autre du livre, il y a notamment une espèce de leitmotiv néo-marxiste basique, un éloge du mouvement social contre les réformes Juppé, une tendance à considérer que le capitalisme financier anglo-saxon est responsable de toutes les dérives, un éloge extraordinaire de Georges Marchais, une critique assassine de la droite et de Nicolas Sarkozy. Mais cela n'est pas apparu. Et comme la presse de droite s'est sentie obligée de faire l'éloge univoque du livre pour la seule raison que la gauche était contre, cela donne quelque chose d'incroyable : les acheteurs de droite qui iront jusqu'au bout du livre vont être effarés par ce qu'ils vont lire. Moralité, personne n'a fait son boulot !

Houellebecq avec son roman Soumission déchaîne la chronique. Alors certes je ne l'ai pas lu, mais si c'est un roman où la France se convertirait à l'islam, rien de neuf sous le soleil. C'est ce qui avait déjà été fait avec le livre de Robert Beauvais Quand les Chinois, adapté par Jean Yanne au cinéma, Les Chinois à Paris.

L'idée que l'islam pourrait dominer, s'imposer et imposer ses lois, qu'un certain nombre de gens se soumettrait à cela, je ne le pense pas, j'y suis hostile, mais les gens ont le droit de dire cela. On ne peut exclure du champ littéraire ou philosophique le fait de dire cela. C'est tout de même moins grave que ce qu'écrivait Louis-Ferdinand Céline, transformé par la presse de gauche en un écrivain génial. Cela va au-delà de ce que peut écrire Houellebecq.

Mais prenons aussi l'exemple de ceux qui ne sont pas connus et qui sont très intéressants au demeurant. Ce sont d'eux qu'il nous faudrait parler. Mais aujourd'hui, la pensée complexe, fine, contradictoire ou ambigüe ne peut plus passer. Elle ne trouve plus de reflet médiatique.

Jean-Claude Michéa, philosophe tout à fait intéressant qui essaie de renouer avec le courant du populisme américain, écrit depuis 20 ans des choses intéressantes qui interpellent. Mais cela n'intéresse personne dans les médias. Puis tout d'un coup, certains du FN ont commencé à le citer, Eric Zemmour également. Qu'en ont dit les journaux bien pensants ? Ils l'ont qualifié d'extrême droite, alors qu'il n'est absolument pas d'extrême droite ! Mais à partir du moment où il a été dit que ce philosophe s'inscrivait dans une politique simpliste en "noir et blanc", les médias ont commencé à découvrir Michéa.

Luc Ferry a écrit un livre formidable  sur l'Histoire de la philosophie, personne n'en a parlé. Il n'intéresse que lorsqu'il écrit un livre polémique sur l'écologie. Michel Onfray a compris cela, il en joue sur les plateaux TV. Je ne lui en veux pas, sans cela, il ne pourrait pas exister. Moralité, il en joue et cela lui réussit. Il a écrit sur la façon dont ont été instrumentalisés les écrits de Sade, personne n'en a parlé sur le fond, de débat il n'y a pas eu ! 

C'est une asphyxie dans la mesure où l'intellectuel se replit et s'enferme. Ceux qui pensent indépendamment des répercussions médiatiques, le font souvent très profondément sans que personne ne le sache. Aujourd'hui, 30 à 40 intellectuels pensent de manière fine et profonde, mais cela n'intéresse pas les médias. S'ils veulent accéder aux médias, ils leur faut exprimer une pensée simpliste qui entre dans un cadre polémique bien déterminé qui se coule dans un cadre donné.

Le fossé qui s'est creusé entre l'intelligencia connue, célèbre et l'opinion est telle que l'on assiste à une sécession. Tout du moins avec l'intelligencia que l'opinion connaît. Car ceux qui réfléchissent sont abonnés absents aux médias. Cela se traduit aujourd'hui en politique, avec le FN qui s'engouffre dans la brèche.

André Bercoff : Je ne crois pas que les médias asphyxient. Rappelons certaines banalités de base comme disaient les situationnistes. Pour connaître une pensée et parler une pensée, il faut lire ! Un livre ! Les médias ne peuvent être que les instruments de publicisation de l'existence d'une pensée. Mais on ne peut s'arrêter là. Il ne faut toutefois pas leur faire jouer un rôle qu'ils ne peuvent pas jouer, sauf cas exceptionnel où il est permis de détricoter la pensée de quelqu'un, mais cela suppose au minimum un format de deux heures.

L'idéal serait de faire connaître de la façon la plus honnête possible la pensée de quelqu'un, et c'est là le problème, quitte à laisser les gens souhaitant aller plus loin lire les écrits, à s'en pénétrer, à exercer une pensée critique. Les médias ont cet espèce de péché mignon (pour être gentil), reste que je ne sais s'il est mortel ou véniel, de simplifier. Ce simple côté simplificateur est réductionniste, mais il est inhérent aux médias. Mais il y a un autre pendant, celui de demander à des intellectuels ou autres des formules frappantes de 30 secondes et qui, par essence, sont réductrices. La formule est obligée pour être frappante d'être réductrice.

Là-dessus s'ajoute une espèce de biais qui consiste à dire que dès que vous sortez des sentiers battus, d'un certain angélisme de bisounours ou que vous posez les problèmes autrement qu'à travers le prisme des ligues anti-racistes ou de la pensée commune, dominante et du politiquement correct, vous vous confrontez encore aujourd'hui à une réaction médiatique. C'est Orgon et Tartuffe de Molière ! Quand la famille d'Orgon va mal, Tartuffe se porte à merveille, il a bien mangé ! Le complexe d'Orgon signifie qu'il y a des choses intouchables. Et si vous les touchez, vous êtes réac ou faciste. Cela fonctionne encore, bien que de moins en moins. Cela commence à sentir ! Notamment dans son côté has been. Mais ci cela fonctionne, c'est parce que tout le monde veut être du bon côté du manche, du côté du bien, du politiquement correct.

Là est ce qu'on peut leur reprocher, de mettre l'étiquette ! Moi je n'oserais pas parler de Houellebecq sans l'avoir lu, c'est le minimum... Mais penser à dénoncer, faire un procès d'intention, de Moscou et de l'inquisition, sans avoir lu. C'est un problème !

Comment expliquer ce travers des médias ? Du fait de leur sociologie, de leur logique économique ?

André Bercoff : Il y a deux logiques. La question de la logique économique avec l'audimat qui n'est pas une vraie question, excepté pour les chaînes du service public, sachant que nous payons la redevance. C'est une vraie question. A partir du moment où l'audimat prime dans le service public, supprimons la redevance. Sinon, il faut jouer le jeu de produire des émissions plus ardues et plus exigentes, même s'il y a moins de téléspectateurs.

Plus généralement, la logique économique est très claire. Les médias de masse doivent attirer le plus grand nombre. C'est incontestable.

Sur la sociologie des médias, il y a plus de journaliste à gauche qu'à droite, et ce n'est pas un scoop ! Je crois toutefois que cela ne veut plus dire grand chose, en tout cas dans les définitions apposées à la gauche ou à la droite. Reste le sentiment d'appartenir à un camps. Je pense que cette chose s'estompe, s'érode. Mais il y a eu de nombreuses années durant un Magister de la formation journalistique.

Je me rappelle que je lisais dans certains journaux d'époque qu'Arthur Koestler était un agent de la CIA, sous prétexte qu'il osait dénoncer les camps de travail en URSS. C'était déjà cela... Ne stigmatisez pas le 9-3 ! Omerta, silence ou démolition en fonction de votre camp d'appartenance. Aujourd'hui, c'est moins spectaculaire. Et Internet a changé la donne, il est plus pluraliste.

Enfin, les journalistes ne sont majoritairement pas issus des classes prolétariennes. Quant aux écoles des journalisme, je n'en suis pas fou. Je suis contre le formatage. J'aime les gens qui pensent, même si je ne suis pas d'accord avec eux. Rien de plus terrible que les réflexes pavloviens qui consistent à s'opposer par réflexe, par appartenance à un camp contre un autre.

Jean-François Kahn : Aujourd'hui malheureusement, beaucoup de journalistes sont bêtes et sous éduqués. Cela vient aussi de la sociologie des médias en effet. Lorsque l'on invite un philosophe à des débats sur BFM TV, le journaliste qui l'invite n'a pas de culture philosophique. La plupart du temps, il invite ce philosophe sans avoir lu son livre. Juste pour le clash.

Par exemple, BHL est invité régulièrement pour proférer des ânneries sur l'Ukraine, sans que personne ne lui rappelle ses bêtises sur la Libye. Il y a une course effrénée à l'audience, une culture du clash seulement.

En acceptant de se prêter au grand jeu du cirque médiatique, les intellectuels au sens large crédibilisent-ils cet étouffement de la pensée ? Desservent-ils leur propre réflexion qui se vaut sur le fond ? La pensée réelle est-elle finalement troquée contre l'exposition médiatique ?

André Bercoff : Si les intellectuels pensent que les médias asphyxient la pensée et la réflexion, ils ont le devoir soit de ne pas y aller, soit de corriger leur interlocuteur journalistique dans tous les sens du terme. Personne n'empêche les intellectuels de réagir aux questions, plutôt que de courir les plateaux TV comme des dératés. Qu'est-ce qui les empêche de corriger leur interlocuteur ? Le devoir d'un intellectuel vis-à-vis d'une question asphyxiante ou réductrice est de répondre, pas de suivre docilement et bêtement comme un mouton. En tout cas, s'il y a piège, c'est à lui de le corriger !

Là où il y a une complicité des intellectuels, c'est sur les complexes des médias : le non colonialisme et autre. Là, il y a une accointance des intellectuels aux journalistes.Ils font leur boulot de vierge folle de camp du bien. Pas tous évidemment, il ne faut pas généraliser.

Par exemple, Michel Onfray et Eric Zemmour s'adonnent au clash médiatique avec beaucoup de délection. Par ailleurs, ils font le spectacle par ce que la télé les invite dans ce sens, mais ils tentent quand même de faire passer quelque chose, et si cela passe, c'est gagné. J'anticipe votre remarque qui sera de me demander s'ils arrivent à faire passer quelque chose. C'est la seule et vraie question ! Reste à savoir s'il faut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.

La question n'est pas nouvelle mais légitime. Il y a très peu d'intellectuels qui ont refusé de se prêter au jeu des médias, les premiers étant les situationnistes, je pense notamment à Guy Debord et Raoul Vaneigem qui ont toujours refusé d'accordé une interview de leur vie. Ensuite, il y a les intellectuels médiatiques. Reste que passer son temps à la TV en tant que spécialiste est une chose curieuse... Toutefois, s'ils peuvent être convaincants, faire passer des messages, cela vaut le coup. Refuser d'y aller sous prétexte de déformation de la pensée ou du refus du grand cirque médiatique pose toutefois une question fondamentale : comment faire passer telle ou telle idée ? C'est une question de fond !

Personnellement, je ne pense pas que les médias asphyxient. Les médias télévisés et radiodiffusés sont là pour le spectacle. Est-ce que par essence, le spectacle est mauvais ? Non. Certains messages peuvent passer. Le problème réside plus dans les discussions stériles dont les gens ne retirent rien. Mais parfois, sur des plateaux, certaines choses peuvent passer. C'est mon côté optimiste ! Si sur 200 000 spectateurs, 10 ou 15 seulement se renseignent, vont sur google, commandent des bouquins, c'est déjà cela de gagner. Il y a des choses à tirer des médias, tout en étant lucide sur les limites de l'exercice.

Sur le plan économique, il n'y a pas de corrélation entre la sollicitation médiatique et la vente de livres. Cela ne garantit pas un succès en librairie. Pour Zemmour, c'est un peu différent. Evidemment la polarisation médiatique a joué. Mais d'autres ont connu une destinée plus funeste en termes de vente. Beaucoup de gens qui en avaient marre d'entendre les discours habituels ont succombé à l'acte d'achat, cela a sollicité l'envie. Qu'on aime ou pas le bouquin de Zemmour, qui contient de bonnes choses et d'autres plus contestables.

Encore une fois, il y a des intellectuels et des poètes qui ne sont jamais passés à la TV et qu'on continue d'acheter : Samuel Beckett, Henri Michaux ou Claude Lévi-Strauss. Mais il y a aussi des gens qui passent très peu, voire pas du tout, ainsi que des gens comme Modiano qui parlent très mal. Ce qui joue aussi à la TV, c'est la capacité d'expression. Je pense qu'il y a beaucoup de conneries, de discussions égales à une conversion de café du commerce, mais comme dans un café, il peut y avoir des gens qui disent des choses intéressantes et attirent l'attention. Pour ma part, quand je passe à la TV, je ne cesse de citer le livre de Christophe Guilluy, La France périphérique (Editions Flammarion, 2014), qui est passionant. Si quelques personnes vont chercher des informations autour de ce livre, l'acheter et le lire, c'est une bonne chose.

Jean-François Kahn : Sans cela, ils ne seraient pas connu. Certains intellectuels essayent toutefois de faire passer des choses intéressantes. Certains raisonnent, mais ils ne passent pas dans les médias. Si vous ne rentrez pas dans leur moule aussi manichéen et simpliste, vous n'existez pas ! 

Les intellectuels acceptent de desservir leur propre réflexion par nécessité médiatique. Libre à eux toutefois d'utiliser le mieux possible les médias, d'instrumentaliser l'outil pour en tirer le maximum... Mais cela va avec son lot de désolations.

La logique voudrait qu'ils refusent le système perverti, absurde. Mais s'ils agissent de la sorte, personne ne les connaît. C'est absurde, sachant qu'un intellectuel se doit également de faire passer des idées, de les diffuser.

A eux de faire exploser le système aussi, de manière à faire passer des idées de fond.

Pierre Gattaz dans le story telling passif agressif avec le gouvernement, Jean-Luc Mélenchon avec les "boches", Nicolas Sarkozy et la nommination de Rachida Dati, les petites phrases des ministres... pour ne citer que quelques exemples. Le cercle vicieux précédemment évoqué, celui de la co-responsabilité, est-il également valable dans le cadre du rapport entre médias et politiques, partenaires sociaux ou organisations non gouvernementales ? Ces acteurs finissent-ils eux aussi par déserter le terrain des idées ?

André Bercoff : Le problème que vous évoquez est fondamental. Avec Internet, l'information à la nanoseconde, la culture de l'information permanente qui ne dort jamais, les responsables se précipitent désormais dès qu'il y a un micro. Reste qu'il faut aussi et surtout réfléchir, pas que parler. Il y a des gens, toute tendance confondue et tout métier confondu, qui passent leur temps à répondre.

Ils sont drogués aux sondages et aux médias. Ce côté junkie est particulièrement dangereux, en particulier pour les politiques. La loi du silence a été oubliée. Celle qui suppose de travailler un peu plus et de parler beaucoup moins. Cela gâche l'énergie. Quand vous travaillez un quart du temps et que le temps restant vous vous évertuez à publiciser le peu de temps passé à travailler, cela pose un problème d'équilibre. Ceux qui passent leur vie devant les micros, c'est autant de temps où ils ne travaillent pas. Autant de temps où ils devraient éviter de tenir les mêmes propos quarante fois, comme les spécialistes qui passent d'une chaîne à l'autre, parfois intelligemment, parfois connement. Ils devraient travailler, aller sur le terrain. C'est le problème du junkie !

Les médias sont une bouche ouverte qui a besoin d'avoine 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Les médias ne dorment pas, ils ne ferment pas, ils sont là pour fonctionner à plein temps. A partir de là, deux questions se posent : comment remplir l'auge et comment attirer le plus de gens possible autour de celles-ci ? Rien de nouveau. De ce point de vue, évidemment le clash est un des ingrédients. Un cours de Lévi-Strauss pendant deux heures sera vraisemblablement passionnant, mais attirera peu de téléspectateurs. Tout est question d'audience, aussi. 

Du côtés de ces derniers, évidemment que le poilitique voudra parler de ses propositions et que le journaliste voudra le titiller. Mais on ne peut pas, comme pour la responsabilité intellectuelle, faire porter le reproche au journaliste. Le politique peut recadrer le débat, corriger son interlocuteur. Il n'est pas obligé d'être moutonnant pour se rendre désirable aux yeux des médias. Il faut savoir ce qu'on veut ! Au politique de prendre les rennes et que discussion se fasse, qu'affrontement se fasse. Regardez ce que faisait à l'époque Georges Marchais qui retournait comme un gant les questions de Duhamel ou d'Elkabbach.

Il n'y a pas d'asphyxie du débat, mais bel et bien une co-responsabilité à part égale dans le débat. Je vais aller plus loin avec François Hollande qui en 2013 nous a servi l'inversion de la courbe du chômage, alors que personne ne lui avait rien demandé, ni même posé la question. Il s'est desservi juste pour annoncer, pour passer. Il aurait très bien pu le formuler autrement : "je ne peux rien vous assurer ou vous garantir, mais nous allons faire notre possible pour lutter contre le chômage". Mais il a dit qu'il allait inverser la courbe du chômage. Qui piège qui ?

Jean-François Kahn : Ils désertent le terrain des idées car très souvent ils n'ont pas les aptitudes qui leur permettraient de l'investir ! Il faut dire les choses... Sans investir le terrain des idées, ils pourraient toutefois intégrer un espace de réflexion dans leurs propos. Mais eux aussi sont prisonniers de ce système médiatique.

Ces acteurs sont invités dans un système d'opposition net, sans bavure qui clash et provoque le buzz. A chaque fois que Pierre Gattaz fait un esclandre en disant tout et son contraire, il fait la une des journaux et ses propos font vibrer les ondes radio. Pareil pour Jean-Luc Mélenchon. Ce personnage a souvent un propos intelligent, fin mais cela n'est pas repris.

Ce que je veux dire, c'est qu'un politique tenant un propos censé, complexe, contradictoire et ambigu au bon sens du terme ne pourrait courir les plateaux TV. Par ailleurs, on ne reprendrait pas ces propos.

L'exemple de Nicolas Sarkozy avec Rachida Dati était un faux problème, tout le monde le savait qu'il l'avait engagée de par ses origines. La discrimination positve que la gauche réclame, c'est cela. Non, ce qui a posé problème, c'est qu'elle s'occupe des prisons parce qu'elle était musulmane !

Il ne faut pas non plus globaliser. Il y a des hommes politiques intelligents et des intellectuels qui sont prisonniers du système médiatique. Ils sont obligés de s'inscrire dans cette simplification manichéenne des médias. Cela en arrange d'autres, du fait de leur connerie notamment ou de leur destructuration intellectuelle.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? Le pouvoir médiatique doit-il et peut-il se réformer ? Est-ce aux invités des médias de faire imploser le modèle pour distiller le changement ?

André Bercoff : Le plus important : des journalistes le moins formaté possible qui voient quelqu'un en fonction de ce qu'il est et non de l'étiquette présumée ; que le politique ne se précipite plus sur le premier micro venu en croyant que répéter sa vérité révélée peut mieux pénétrer l'opinion publique ; enfin pour l'intellectuel, qu'il ne participe plus à un jeu s'il n'y croit pas.

Charles de Gaulle disait : "Après moi, ce ne sera pas le vide, mais le trop plein". Ce dont on souffre, ce n'est pas le vide mais le trop plein qui annihile, qui asphyxie : tout se vaut, tout s'annule.   

Jean-François Kahn : J'ai écrit un livre sur cette question. Horreur médiatique (Editions Plon, 2014). C'est aux journalistes de s'interroger, de s'interpeller eux-mêmes et de faire en sorte que le système évolue. Sans quoi, nous courons à la catastrophe. La montée du Front national en est partiellement le produit.

La course à l'audience ne provoque pas toujours d'audience, ce n'est donc pas une excuse valable. Il nous faut réfléchir à une autre façon de faire de l'audience. 

Pour les politiques, c'est un peu différent. Certains repensent leur relation aux médias, ne se laissent pas instrumentaliser. D'autres accepteront toutefois pour se faire connaître. J'en veux pour preuve l'émission de D8 avec Politiques Undercover qui grime des politiques en citoyens de tous les jours.

Pour les intellectuels, c'est encore différent. C'est majoritairement un problème par rapport à eux-mêmes. L'exemple le plus criant et qui fait un mal énorme est le cas BHL qui refuse de reconnaître l'erreur. Cet enfermement et l'arrogance mise à en proférer d'autres est une horreur. A lui de conduire son examen de conscience ! Et aux médias de le mettre face à ses responsabilités, plutôt que de fermer les yeux. Pareil pour Alain Minc à la radio ! Avez-vous entendu quelqu'un soulever ses erreurs ? Jamais ! Comme si ces gens étaient des gourous ou des oracles. C'est du mépris ! Ne pas mépriser les intellectuels c'est les interpeller quand ils se trompent.

*Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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