Immigration : les raisons de la montée en puissance du sentiment de rejet des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français, de moins en moins favorables au droit de vote des étrangers
Les Français, de moins en moins favorables au droit de vote des étrangers
©Reuters

Défiance

D'après un sondage Odoxa pour i-Télé et "Le Parisien" - "Aujourd'hui en France", 60% des Français se prononcent contre l'extension du droit de vote aux élections municipales aux étrangers. En 2011 pourtant, ils étaient autant à approuver cette promesse de campagne de François Hollande, selon un sondage BVA

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon un sondage Odoxa pour i-Télé et "Le Parisien" -"Aujourd'hui en France", 60% des Français se prononcent contre l'extension du droit de vote aux élections municipales aux étrangers. Quelle est la principale raison de ce rejet ?

Christophe Bouillaud : Tous les sondages menés en France depuis 2011-2012 en témoignent, le sentiment xénophobe augmente. D'une part, le phénomène semble profondément lié à l'approfondissement de la crise économique. Plus elle s'intensifie et dure, plus le sentiment "anti-étranger" se renforce. Par ailleurs c'est exactement la même chose qui se produit dans d'autres pays européens un peu moins en crise, comme la Suède, par exemple. Malgré une situation économique qui n'est pas trop mauvaise, l'extrême-droite xénophobe suédoise a fait une véritable percée.

D'autre part, dans une moindre mesure, le fait que la gauche soit au pouvoir joue un rôle dans le rejet grandissant des étrangers, puisque la gauche se présente comme leur étant plus favorable que la droite. Ce simple fait pousse naturellement l'opinion dans le sens inverse de ce qu'est supposé vouloir le gouvernement. On appelle cela "l'effet thermostatique". D'ailleurs le rejet des étrangers est davantage dû à ce mécanisme qu'à une politique du gouvernement qui serait propre à encourager l'immigration en France. La crise économique aidant, les Européens, comme les Britanniques notamment, hésitent moins à se dire plus intolérants vis-à-vis des étrangers.

Les Français seraient frappés du "syndrome du bouc-émissaire", consistant à imputer la responsabilité de leurs difficultés économiques aux immigrés ?

Le sentiment des Français à l'égard des immigrés peut être ainsi qualifié, mais seulement à la marge, car pour l'essentiel, il ne vient pas de là. En réalité, beaucoup de Français ont l'impression qu'il n'y "en aura pas assez pour tout le monde". La solidarité nationale devenant indispensable pour survivre en temps de crise, les électeurs ont tendance à vouloir restreindre cette solidarité aux nationaux. Les Français ne rendent pas les étrangers responsables de leurs maux, ils considèrent simplement que la place vient à manquer. C'était la fameuse phrase de l'ancien leader populiste néerlandais Pim Fortuyn au début des années 2000 : "Les Pays-Bas sont pleins".

Dans quelle mesure les résultats de l'étude peuvent-ils participer d'une réaction aux politiques prônant le multiculturalisme plutôt qu'un modèle d'assimilation ?

J'aurais tendance à douter de la réalité de la politique multicultariste du gouvernement. Mais que des électeurs du centre, de droite et d'extrême droite puissent percevoir cette politique comme favorisant le multiculturalisme, cela est exact. Le succès du livre d'Eric Zemmour, Le suicide français, montre qu'une grande partie de l'opinion croit que le gouvernement fait tout pour encourager l'installation de cultures étrangères sur le sol français. Cela relève de la croyance, car si l'on regarde dans le détail la politique menée par le gouvernement, il apparaît comme évident que ce dernier est bien revenu de cette idée de multiculturalisme. Sa politique est surtout assimilatrice ; il suffit de voir sa posture en matière de laïcité. D'ailleurs la France n'a jamais tellement favorisé l'émergence du multiculturalisme. La ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem est perçue par un certain nombre comme un symbole du multiculturalisme, alors que si l'on y réfléchit bien, elle est tout ce qu'il y a de plus intégré et de républicain.

Le contexte actuel, fait de polémiques autour de l'interdiction de crèches de Noël dans des lieux publics au nom de la laïcité, exacerbe-t-il le sentiment chez les Français que si d'autres cultures religieuses, issues de l'immigration, n'étaient pas présentes sur leur sol, personne ne trouverait rien à redire à la présence de ces signes, certes religieux, mais issus d'une tradition qui dépasse ce simple cadre ?

Le contexte joue bien évidemment, mais à la marge, encore une fois, par rapport au contexte économique. Il s'agit de l'aspect qui fait le plus discuter, mais pas de celui qui explique le mieux la montée du sentiment d'hostilité à l'égard des étrangers. Ce sentiment, d'ailleurs, vient aussi de personnes qui ne sont jamais, ou très rarement, amenées à côtoyer des étrangers, et qui ne sont en rien gênées par ce qui se produit dans certains banlieues où manifestement la République n'a plus droit de cité. J'ajouterai que le gouvernement respecte tout autant que le précédent le principe de la laïcité dans la mesure où il n'a pas remis en cause la loi interdisant le port du voile dans les lieux publics, loi qui était le marqueur fort d'un refus par la République d'une certaine forme d'islam.

L'objet de la question posée par Odoxa – la participation des étrangers hors communauté à des élections locales – explique-t-il l'ampleur du rejet, ou bien le phénomène est-il plus global ?

C'est le poids des étrangers dans la vie publique en général qui est pointé du doigt. Cela vaut aussi pour une certaine réticence vis-à-vis de l'Europe  - les sondages révèlent la montée en puissance d'un sentiment souverainiste, anti-européen et xénophobe –, mais pas seulement : un sondage du Cevipof du mois de juin 2014 qui consistait à demander aux Français quelles politiques publiques ils souhaitaient montrait qu'ils sont prêts à 75 % à financer les hôpitaux publics, et beaucoup moins lorsque le mot "étranger" apparaît dans une question.

Pour résumer, je dirais, que tout ce qui a trait aux étrangers tend à énerver de plus en plus les Français, qu'il s'agisse des capitalistes qataris qui rachètent nos magasins, des Européens qui nous imposent des règles, ou les gens présumés étrangers en bas de chez nous qui font du bruit… Avis aux sondeurs : demandez aux Français s'ils pensent qu'il faut réserver les emplois aux Français, vous verrez les chiffres en constante augmentation tant que la situation économique ne s'améliorera pas. Tout tient dans "l'égoïsme de crise". A ce tire, la période "à la grecque" dans laquelle nous entrons n'est pas de bon augure.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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