Pré-distribution plutôt que redistribution pour lutter contre les inégalités : Manuel Valls redonne (enfin) du souffle à la gauche<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls.
Manuel Valls.
©Reuters

La maladie plutôt que le symptôme

Lors de son intervention à la fondation Jean Jaurès, Manuel Valls a évoqué une refonte de l'Etat providence et un remplacement du logiciel de redistribution pour lutter contre les inégalités sociales par une pré-distribution, impliquant une prévention de ces inégalités. Un changement de paradigme pour la gauche et qui demandera de réels efforts pour une concrétisation politique efficace.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Le mercredi 10 décembre, lors de son intervention face à la fondation Jean Jaurès, le Premier Ministre Manuel Valls déclara "Alors que la redistribution se contente de revenir a posteriori sur les inégalités, je crois que nous devons orienter notre modèle vers la pré-distribution, c’est-à-dire prévenir les inégalités". Contrairement aux apparences, Manuel Valls ne sombre pas dans une novlangue sans contenu, car le mot pré-distribution, malgré son caractère abscons, se réfère bien à quelque chose de concret.

Par contre, selon "l’inventeur" du concept, l’américain Jacob Hacker (Les fondations institutionnelles de la démocratie de classe moyenne), professeur de Sciences Politiques à l’Université de Yale, la pré-distribution ne se résume pas à un slogan. L’idée de fond découle d’un constat clair ; les politiques publiques de redistribution telles qu’elles sont menées aujourd’hui ne sont que peu efficaces parce qu’elles ne traitent pas des causes des inégalités. Il s’agit donc de renouveler l’approche de ces politiques. Il ne suffit plus de laisser faire le marché et de redistribuer, après coup. La politique du tout Robin des bois a, elle aussi, ses limites.

Dans le monde réel, l’idée paraît difficile à croire tant elle affirme une évidence : pour régler un problème, il vaut mieux agir sur les causes plutôt que de s’attarder à en régler les conséquences. De la même façon que pour un médecin, il est plus efficace de traiter le mal plutôt que ses symptômes.

Le diagnostic opéré par Jacob Hacker est que les fonds publics sont attribués à des programmes permettant de lutter contre des inégalités déjà constituées. Leur objectif est de venir compléter des revenus trop faibles, et donc de "traiter" ces inégalités après qu’elles se soient matérialisées. Pour Hacker c’est l’action sur la cause qui doit être prioritaire, sinon, c’est la reproduction du phénomène inégalitaire qui perdure.

La formule de Hacker est efficace :

"Finalement, venir balayer derrière le marché place le gouvernement dans une position intenable. La redistribution en elle-même n’est jamais populaire. Les citoyens veulent un boulot et des opportunités d’ascension sociale, bien plus qu’un chèque de l’état."

Ed Miliband, chef de l’opposition au Royaume Uni, avait déjà repris le concept en 2013, coupant l’herbe sous le pied de Manuel Valls. Car pour le Premier Ministre français, la reprise du terme même de pré-distribution l’oblige également à s’intéresser aux propositions formulées par Hacker.

Et notamment la première d’entre elle qui est d’optimiser la politique macroéconomique. Ici, Hacker est parfaitement clair en faisant explicitement référence aux différents plans de relance effectués par les Etats Unis et par le Royaume Uni au cœur de la crise. Si Manuel Valls veut s’engager dans cette voie, il lui faudra proposer une révision du mandat de la Banque centrale européen afin d’y intégrer la notion de plein emploi. Un tabou absolu dans la politique européenne actuelle.

Une fois le plein emploi inscrit dans le marbre, comme cela est le cas aux Etats Unis, les propositions faites se concentrent sur l’éducation et la formation, la régulation financière, et une protection sociale satisfaisante pour les salariés.

Selon Hacker : "Il y a une place vitale à prendre pour une gouvernance active en ce début de 21e siècle, et pas seulement en lissant les bords acérés du capitalisme. Aujourd’hui plus que jamais, les gouvernements ont besoin d’intervenir avec audace et optimisme pour que le marché soit au service des classes moyennes."

Reprendre un tel concept est à double tranchant pour Manuel Valls. Parce que maintenant, il va falloir l’assumer. 

Nicolas Goetzmann

Atlantico : Dans quelle mesure est-ce que cette déclaration de Manuel Valls marque-t-elle une rupture avec le logiciel traditionnel de traitement des inégalités de la gauche ? Doit-on parler davantage d'une évolution ou d'une rupture ? Et quels changements dans l'action politique implique-t-elle ?

Virginie Martin : Manuel Valls n’est pas tellement progressiste sur le sujet de la refonte de l’Etat providence s'il ne l'aborde que d'un point de vue économique. En revanche, ce nouveau logiciel est destiné à évoluer, et il est permis de croire qu'il incluera également les questions sociétales, et le traitement des discriminations. Cela ne nous aura pas échappé, certaines personnes de son gouvernement comme Christiane Taubira ou encore Najat Vallaud Belkacem sont conscientes de ces sujets. 

Mais bien entendu, il est nécessaire de remettre en cause l’Etat providence actuel, alors que les déficits budgétaires actuels ne laissent que peut de marges de manoeuvre pour mettre de nouveaux "pansements". Bien entendu, une lutte contre les inégalités en amont sera logiquement plus efficiente que de redistribuer à travers des mesures d'urgence.

Ce logiciel aurait dû être adopté par la gauche il y a bien longtemps. Il est beaucoup plus complexe à mettre en place, et ne résoud pas de problème de manière visible. Le problème de la redistribution est que premièrement, il est très difficile de le faire correctement, et deuxièmement les prélèvements ont une connotation douloureuse pour ceux qui y contribuent. La redistribution s’apparente presque à une hémorragie qui ne s'arrêterait pas.

Sur le plan intellectuel, la prédistribution est tout a fait ancrée dans la tradition de gauche. En revanche, si cette déclaration prend également en compte les discrimination, elle serait effectivement une évolution intéressante dans le sens que jusqu'à aujourd’hui, la gauche s’est toujours attardée à travailler sur un seul logiciel, à savoir celui des inégalités économiques. On le voit encore avec les théories d'intellectuels tels que Michéat qui vont dans ce sens, sans oublier la récurrence du terme "Capital". Le logiciel marxiste oublie beaucoup les questions sociétales, et se concentre généralement sur les conditions matérielles de "l'ouvrier exploité". Or, il peut aussi appartenir à une minorité (ethnique, identité sexuelle etc). Il est illusoire de penser que les questions économiques peuvent être dissociées des questions sociétales. Par exemple, La discrimination coûte beaucoup d’argent à la société. Si on prend le cas d’une personne surdiplômée mais qui ne peut pas avoir la carrière qui correspondant à la valeur de ses compétences, à cause de son nom par exemple, on peut aisément imaginer que sa formation (sans doute financée en majeure partie par l’Etat) n’apportera pas la juste valeur ajoutée de son travail. 

L’éducation, les territoires bien sûr, et aussi l’accès à la formation me semblent être des travaux intéressant pour la prédistribution. Mais ce n’est pas seulement l’école au sens propre du terme qui doit être réenvisagé, c’est peut-être des lieux de formation plus anglo-saxons, plus scandinaves ? En tout cas plus innovants. Aujourd’hui l’école n’est là uniquement pour sélectionner une élite, les meilleurs. Peut-être serait-il temps de mener les gens à des compétences ? Ce serait en tout cas plus intéressant que de filtrer par les savoirs qui fera l’Ena.

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