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Bruxelles : le lobby bancaire reprend la Commission européenne en main face à un Juncker affaibli
©Reuters

Carte blanche

Sans surprise, le commissaire européen Hill, britannique chargé des services financiers, a commencé son travail en faveur du lobby bancaire, au milieu d’une commission Juncker déjà très affaiblie.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le lobby bancaire a pris le pouvoir à Bruxelles

Les lecteurs de ce blog le savent, Jonathan Hill, le commissaire britannique en charge des services financiers, n’est qu’un homme de paille entre les mains du lobby bancaire. Il a d’ailleurs été choisi par David Cameron pour son passé de lobbyiste et n’a nullement cherché à faire illusion. Lors de son audition au Parlement européen, il a brillé par son incompétence et son incapacité à répondre de façon satisfaisante à des questions simples, comme celle de la légitimité d’Eurobonds.

Une indiscrétion à l’AFP a permis de lever le voile sur le véritable visage de Jonathan Hill. Dans un courrier adressé au premier vice-président de la commission Frans Timmermans, en date du 18 novembre, il écrit:

« Nous devons voir quels progrès seront réalisés concernant la (…) proposition de réforme structurelle des banques, car des Etats membres s’y opposent de diverses manières », souligne Jonathan Hill, pour qui le retrait de la proposition présentée par son prédécesseur Michel Barnier « pourrait être une option l’an prochain si les Etats membres ne s’y rallient pas ». Il ajoute toutefois qu’il serait « prématuré » de retirer cette proposition dans l’immédiat.

On se rappelle ici que Michel Barnier avait proposé de pratiquer un Glass-Steagall européen, destiné à lutter contre l’impéritie des banques et de leur too big to fail. A l’époque, cette initiative avait heurté le monde bancaire qui s’est organisé pour neutraliser ou vider de leur contenu toutes les initiatives de ce genre dans le monde. L’arrivée de Jonathan Hill à la commission constitue manifestement une étape supplémentaire dans cette stratégie d’influence.

On admirera la stratégie de communication qui se met déjà en place pour faire avaler la couleuvre: Hill va laisser le dossier s’enliser calmement, avant de déclarer son abandon pur et simple…

Le lobby bancaire aura-t-il gagné dès 2015?

Une bonne façon de voir si le lobby bancaire remporte sa première victoire dès 2015 (et même 2014) sera de suivre le programme des priorités législatives 2015 négocié entre le Parlement et la Commission. Une première réunion de travail a eu lieu cette semaine. Elle doit déboucher sur l’adoption officielle du programme de travail de l’an prochain en décembre. Ce programme sera à suivre de près.

Au passage, certains Français feraient bien de suivre ces épisodes de près. D’abord parce qu’ils leur donneraient une bonne visibilité sur le futur programme législatif en France, puisque l’essentiel de nos textes est un dérivé des textes européens. Ensuite parce qu’ils pourraient leur donner des idées: la démocratie française gagnerait à s’inspirer de ce travail de programmation.

Le lobby bancaire imposera-t-il un changement de politique monétaire?

Une action plus fine et plus discrète du lobby bancaire est en cours sur un sujet tout aussi sensible: la politique de taux négatif menée par Mario Draghi. Rappelons en effet que depuis septembre le taux des dépôts à la BCE est de – 0,2%, ce qui consiste purement et simplement à facturer aux banques leur recours aux services de la BCE.

Si la BCE a de bonnes raisons de pratiquer cette politique (notamment inciter les banques à consentir des crédits finançant la relance plutôt qu’à faire dormir leurs économies), elle ne va pas sans irriter ses principales victimes: l’Allemagne, dont l’épargne s’érode, mais aussi les banques qui n’aiment guère qu’on leur force la main. Miraculeusement commencent donc à fleurir de-ci de-là des articles d’experts expliquant que l’assouplissement monétaire voulu et prévu par Mario Draghi ne peut réussir que si et seulement si les taux de la BCE remontent. En effet, les banques soutiennent qu’elles ne peuvent vendre leurs actifs rémunérés pour obtenir des liquidités à taux négatif…

On prend les paris: d’ici le mois de mars, la BCE aura relevé ses taux!

La BCE, objet de toutes les convoitises

Si le lobby bancaire lance ses premières opérations d’influence sur les taux de la BCE, il y a une bonne raison: le conseil des gouverneurs du 22 janvier 2015 devrait trancher sur le recours à des achats de dettes souveraines pour relancer la machine économique européenne. Cette échéance est désormais au coeur des tractations au plus haut niveau.

La décision de janvier devrait être prise sur la base de plusieurs indicateurs: l’inflation réelle (hors pétrole, qui tire les chiffres vers le bas avec la chute vertigineuse du baril de Brent), la production industrielle (les commandes sont fortement remontées en Allemagne), et les résultats des premiers achats d’actifs sécurisés par la BCE.

Sur ce dernier point, on peut se montrer pessimiste: les rachats d’actifs sécurisés, commencés en novembre, sont un flop magistral. Leur objectif initial était d’atteindre les 1.000 milliards€. On se montrera heureux si le centième de l’objectif est atteint! Le 1er décembre, la BCE n’avait trouvé preneur que pour 328 millions€. C’est précisément ici que le lobby bancaire dispose d’un levier pour contraindre la BCE à changer de politique.

L’Allemagne et la France en appui au lobby bancaire

Sans surprise, le bras-de-fer lancé par les banques pour obtenir un retour à des taux de dépôt positifs est appuyé par l’Allemagne, qui n’en finit pas de combattre le laxisme de Mario Draghi. Le plus surprenant est que Weidmann et consorts ait pu compter sur un allié de dernière minute: le Français pourtant jugé proche de Draghi Benoît Coeuré…

Selon la presse allemande, Coeuré se serait opposé, jeudi dernier, à une formulation voulue par Mario Draghi selon laquelle la BCE avait « l’intention » d’augmenter la taille de son bilan de 50% (soit 1.000 milliards de plus) pour réanimer l’économie européenne. Il aurait ainsi rejoint le camp allemand et luxembourgeois dans une opposition à l’assouplissement voulu par l’Italien. Il serait intéressant d’en savoir plus sur les intentions de Coeuré qui s’est malheureusement refusé à tout commentaire: soutient-il Draghi, mais à condition que toutes les opérations restent bien entre les mains des banques centrales européennes et ne soient pas centralisées à Francfort comme Noyer le souhaite? soutient-il Draghi à condition que la BCE remonte ses taux de dépôt pour servir le lobby bancaire? ou bien est-il un opposant à Draghi, un faucon comme dit la presse, mais joue-t-il officiellement aux colombes pour complaire au gouvernement français?

La transparence est décidément l’ennemie de la finance traditionnelle…

L’Allemagne étrille Juncker, chèvre de M. Seguin européen

Mario Draghi n’est heureusement pas le seul à faire l’objet de critiques et de manoeuvres à retardement germaniques. Jean-Claude Juncker a sa part. L’innocent Luxembourgeois s’est ainsi rendu dans un mini-Davos berlinois où il a reçu sa part d’humiliations publiques, au lendemain de la présentation de son plan à 315 milliards. L’occasion était rêvée de martyriser collectivement le toutou d’Angela que nos soi-disants alliés prussiens ne trouvent jamais assez collaboratif.

« Je n’ai pas bien compris comment on transforme 21 milliards en 315 milliards ! », a raillé Ulrich Grillo, patron des patrons allemands, visiblement très peu convaincu par les vertus multiplicatrices du nouveau dispositif. « J’ai des doutes », a ajouté Philippe Sauquet, directeur de la division raffinage de Total.

Le quotidien de la capitale, Berliner Zeitung, titrait sur « la multiplication miraculeuse des fonds de Juncker ». Un diplomate allemand résume : « On n’est pas emballés mais, au moins, il n’y a pas de nouvelles dettes et pas trop de fonds publics engagés, c’est primordial. »

L’Allemagne veut sanctionner la France

Il faut dire que le Juncker peut être taxé de trop protéger la France. La Commission Européenne n’a-t-elle pas publié une infographie minimisant à outrance son pouvoir de contrôle et de correction sur le budget national?

L’acidité prussienne n’est pas seulement due à un excès d’oignons et de cornichons au vinaigre arrosés d’une bière trop légère. Elle est nourrie par l’échec de la manoeuvre ourdie par le commissaire Oettinger, commissaire sortant de l’Energie, commissaire entrant à la société numérique, et agent efficace de maman Angela, le mois dernier. Il semblerait en effet qu’Oettinger ait tout fait pour infliger des sanctions à la France à cause de ses dérapages budgétaires – une hostilité que les europhiles français continuent à nier avec l’obstination d’une autruche qui plonge la tête dans le sable. Un cafouillage médiatique a éventé le procédé, notamment par une publication un peu trop rapide d’une tribune vengeresse dont ce blog s’est fait l’écho.

Il n’en reste pas moins qu’Oettinger veille au grain, et que le délai obtenu par la France (ainsi que l’Italie et la Belgique) sur son budget n’est qu’une façon de reculer pour mieux sauter. Le commissaire allemand répète en effet à l’envi que les sanctions tomberont.

La France n’a obtenu qu’un sursis face à d’éventuelles sanctions européennes concernant son budget, souligne le commissaire européen Günther Oettinger cité par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel daté de lundi.
« Les sanctions sont seulement retardées, pas levées », a déclaré M. Oettinger.
« Nous avons besoin de réformes solides du marché du travail », et si Paris ne dévoile pas un plan d’ici début mars, la Commission européenne devra réagir, a-t-il estimé.
« Il s’agit aussi d’une question de crédibilité », a-t-il insisté

Décidément, le couple franco-allemand ressemble de plus en plus à une union sado-masochiste.

De l’eau prussienne dans le gaz russe

Oettinger ne se contente pas de veiller au grain français, il a laissé, en tant qu’ex-commissaire à l’Energie, un beau paquet cadeau à son successeur: le projet de gazoduc russo-italien contournant le Lebensraum allemand. Ce projet de plus de 2.500 kilomètres visait en effet à concurrencer l’actuel canal de distribution par l’Ukraine, qui dessert l’Allemagne, en reliant l’Italie par la Turquie, la Bulgarie et les Balkans.

Face aux blocages européens (qui considéraient que le gazoduc ne pouvait servir le seul Gazprom) et bulgares, Vladimir Poutine a finalement décidé d’arrêter le projet, dans des termes peu amènes pour l’Union:

“Puisque la Commission européenne n’en veut pas, eh bien nous ne le ferons pas, et nous réorienterons nos ressources énergétiques vers d’autres régions du monde”, a-t-il souligné.

La menace est claire: la Russie se réserve la possibilité d’orienter ses livraisons de gaz vers d’autres régions que l’Europe. Il n’en fallait pas plus pour que Juncker ne se mette à ramer pour convaincre la Russie de revenir à la table des discussions. L’enjeu n’est pas mince. Pour la partie russe, les blocages européens sur ce dossier s’expliquent par la volonté de ne pas concurrencer le gaz de schiste américain.

On ajoutera que la volonté allemande de demeurer la destination principale du gaz russe compte aussi dans cette affaire!

La commission n’est pas avare de ses deniers…

Il paraît que, dans un souci d’économie, la Commission Européenne serait prête à quitter la région de Bruxelles-Capitale pour construire un bâtiment dans la province du Brabant, réputée moins chère.

En attendant, on en sait un peu plus sur la masse salariale de la Commission, qui est loin des critères d’austérité voulue par les Allemands. Le départ d’Herman van Rompuy de ses fonctions de président du Conseil a donné l’occasion d’en savoir un peu plus. L’intéressé, qu’aucun Français ne connaît, était payé plus de 30.000 euros nets par mois et continuera à toucher plus de 100.000 euros par an pendant trois ans. Avant de toucher sa retraite de président du Conseil, qui s’ajoutera aux retraites qu’il perçoit comme ancien parlementaire et ministre belge.

Cette petite information anecdotique méritait d’être portée à la connaissance de ceux qui reçoivent des leçons de bonne gestion…

Cet article a précédemment été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe. 

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