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L’Allemagne pousse la France à la révolution.
L’Allemagne pousse la France à la révolution.
©Reuters

Vent de colère

Tant sur le front de la BCE que sur celui de la Commission européenne, l’Allemagne a marqué de nombreux points dans son œuvre de sape hostile à un approfondissement de l’Union. Pendant ce temps, les Français continuent à nourrir leur conception bisounours d’une Europe qui devrait apporter à tous la prospérité.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Comment l’Allemagne retient Juncker par les bretelles

Pauvre Jean-Claude Juncker! Carbonisé dès sa prise de fonction par les révélations de la presse américaine sur les pratiques tout à fait légales mais si peu coopératives du gouvernement luxembourgeois dont il fut un acteur éminent pendant dix-huit ans (ce qui lui a déjà valu le dépôt d’une motion de censure), voici ce bon Jean-Claude retenu par les bretelles au moment où il s’apprêtait à rebondir avec son plan de relance à 300 milliards.

On se disait bien que maman Angela pouvait difficilement se déjuger en autorisant de la part de son affranchi Juncker un tel pavé dans la mare rigide de la Prusse triomphante! 300 milliards de relance, c’était aussi provocateur pour l’Allemagne que de commander un verre de Bordeaux à l’Oktoberfest de München.

Du coup, le président de la Commission a dû réaliser une petite opération de passe-passe en espérant que les journalistes et l’opinion publique n’y voient que du feu. Il a en réalité mis sur la table non pas 300 milliards mais… 8! Et encore, sur trois ans. On est donc passé de 1,5% du PIB européen à 0,03%. Ce petit détail devrait quand même un peu ramollir les effets escomptés.

Conscient sans doute du ridicule de la situation, Jean-Claude y a ajouté 8 milliards de garanties sur les investissements, et 5 milliards de réserves de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Soit 21 milliards au total. Grotesque!

Alors pourquoi la presse parle-t-elle de 300 milliards, et même de 315 milliards? Parce que Jean-Claude Juncker a comptabilisé dans ses annonces les apports d’investisseurs privés dans les projets qui pourraient être financés avec le premier apport de l’Union. C’est ce qu’on appelle couramment l’effet levier du crédit.

Qui a compris qu’il était devenu un Junk President ?

Il faut reconnaître à Juncker un certain talent dans le domaine de la communication, puisque pas mal de journalistes se sont laissés prendre à ses effets d’annonce.

Si Romaric Godin, de la Tribune, a dévoilé le pot-aux-roses dès le début dans un excellent papier consacré au sujet, certains se sont offert le luxe du ridicule en chantant les louanges du volontarisme junckerien. Même l’excellent Quatremer s’est fendu d’un article un peu troublant sur les bienfaits du plan Juncker, où il écrit:

"En cette époque de budgets nationaux contraints et de budget européen à la baisse, impossible de mobiliser 300 milliards d’argent public, sauf à permettre à l’UE d’emprunter directement sur les marchés, ce que l’Allemagne refuse d’envisager pour l’instant. Juncker, pour contourner ces difficultés, a imaginé un dispositif malin. Comme l’Union est au début de son «cadre financier pluriannuel 2014-2020», il propose de prélever entre 20 et 30 milliards d’euros sur les 960 milliards de dépenses programmées (notamment dans les fonds régionaux), afin de les mettre dans un «Fonds européen d’investissement stratégique» qui serait codirigé par la Commission et la Banque européenne d’investissement (laquelle verrait au passage son capital augmenter de 6 milliards d’euros directement versés par les Etats membres). Ce fonds irait ensuite sur les marchés pour lever de l’argent privé (celui qui a fui l’Europe en 2008) afin de financer une série de grands travaux dans les domaines de l’énergie, de l’Internet à haut débit ou des transports."

C’est la force de Juncker: convaincre des journalistes aguerris qu’en prélevant 20 milliards sur 960 programmés, on crée de la dépense nouvelle capable de relancer l’économie.

Il a tout de même fallu attendre vendredi (c’est-à-dire trois jours) pour que le Mondecomprenne la farce.

L’Allemagne ne cèdera rien à une France au bord de l’implosion

Parallèlement à cette opération de castration publique en bonne et due forme du président de la Commission, maman Angela continue d’exiger des sanctions exemplaires contre la France, où les ministres français avaient pourtant assuré que rien ne bougerait sur le front de l’Est. Ainsi, alors que la Commission devait donner son avis définitif sur les budgets des Etats membres dont le déficit n’est pas dans les clous, l’Allemagne a imposé un arrangement qui se révèlera (j’en prends le pari) très défavorable pour la France.

La Commission, après une réunion compliquée des chefs de cabinet des commissaires, a repoussé son avis définitif au printemps prochain, laps supplémentaire laissé à la France pour apporter 4 milliards d’économies nouvelles (0,2% de PIB). En réalité, cette décision d’attente est plus désagréable que prévu. Elle se fonde en effet sur quelques remarques acides indiquant (à juste titre) que le budget français « présente un risque de non-conformité » avec les objectifs fixés et que la France « a accompli des progrès limités en ce qui concerne le volet structurel des recommandations budgétaires ».

La France dispose donc de quatre mois pour engager des réformes structurelles, comme celles préconisées par le rapport Enderlein et Pisani-Ferry. Rappelons-en l’essentiel: désindexation du SMIC, réduction des dépenses publiques et retour des dépenses publiques sous la barre des 50% du PIB.

Chic! ça va être la révolution!

Moscovici obligé de manger son chapeau

La presse n’a pas vraiment relevé que la lettre de la Commission au gouvernement français était signé d’un certain Pierre Moscovici… Vous vous souvenez? Il a été ministre des Finances du gouvernement Ayrault, jusqu’en avril 2014. Voici ce que contient le courrier qu’il a signé:

"Le Conseil a recommandé à la France de ramener son déficit nominal à 3,9 % du PIB en 2013, à 3,6 % en 2014 et à 2,8 % en 2015, ce qu’il estimait correspondre à une amélioration du solde structurel de 1,3 point de pourcentage du PIB en 2013 et de 0,8 point de pourcentage en 2014 et en 2015. Le 5 mars 2014, la Commission, considérant que la France risquait de manquer à ses obligations, a adressé une recommandation aux autorités françaises au titre de l’article 11 du règlement (UE) nº 473/2013. Dans sa recommandation, la Commission a invité la France à prendre les mesures nécessaires pour opérer l’effort structurel recommandé par le Conseil. (…)

En 2013, le déficit public a représenté 4,1 % du PIB, soit 0,2 point de pourcentage de moins que ce qui avait été annoncé au printemps 2014. Dans son projet de plan budgétaire, le gouvernement s’attend à ce que le déficit nominal augmente pour atteindre 4,4 % du PIB en 2014, avant de retomber à 4,3 % en 2015, ce qui correspond à une amélioration (recalculée) du solde structurel de 0,2 point de pourcentage du PIB en 2014 et de 0,1 point de pourcentage en 2015. (…)

À la suite du bilan approfondi des déséquilibres macroéconomiques rendu public en mars 2014, une surveillance particulière de la mise en œuvre des réformes nécessaires en France a été mise en place dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM). Des informations actuellement disponibles, notamment dans le projet de plan budgétaire, il ressort qu’un certain nombre de réformes progressent, mais que la poursuite d’une mise en œuvre résolue et, le cas échéant, des adaptations restent nécessaires. Plus particulièrement, des progrès ont été accomplis dans la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité – qui, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, réduira le coût du travail de près de 30 milliards d’EUR d’ici à 2017 – ainsi que dans la FR 5 FR simplification des formalités administratives des entreprises. Les effets de la réforme des collectivités locales et du projet de loi sur l’activité économique restent incertains, étant donné que le contenu réel de ces réformes fait toujours l’objet de débats, notamment dans le cadre du processus d’adoption. Les résultats économiques de ces réformes dépendront largement de la rigueur avec laquelle celles-ci auront été élaborées et mises en œuvre. Enfin, les efforts visant à poursuivre l’amélioration de la viabilité des finances publiques, la simplification du système fiscal et l’assouplissement du marché du travail pourraient être intensifiés."

Pour signer une lettre aussi sévère sur son propre bilan, il faut vraiment que Moscovici n’ait aucun amour propre. Des politiciens qui sont prêts à ramper pour avoir un poste (en l’occurrence de commissaire européen), c’est aussi cela l’origine du discrédit de la démocratie représentative en France.

Le gouvernement français toujours sous euphorisant

Ces constats sévères semblent être tombés dans des oreilles de sourds. Michel Sapin a en effet déclaré:

"Je comprends tout à fait que la Commission, comme saint Thomas, veuille voir pour croire. Et donc d’ici à la fin de l’année la Commission verra et comme saint Thomas elle croira, parce que ce que j’ai dit, nous le ferons", a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Dublin, dans une allusion à un épisode biblique.

"Je n’ai aucune inquiétude sur le jugement que portera aussi bien la Commission que mes pairs, mes collègues, sur la situation française", a ajouté Michel Sapin.

On dit « chiche! » et on le lui rappellera en mars.

L’Allemagne va torpiller Draghi

Après Juncker à calmer et la France à mettre en coupe réglée, il reste une oeuvre salvatrice à mener pour Angela Merkel: la stérilisation en bonne et due forme du bouillonnant italien Mario Draghi, qui vient d’installer la BCE dans une tour à 1,3 milliard€ à Frankfurt. Draghi a en effet eu la mauvaise idée de précipiter le débat interne sur le rachat de dettes souveraines des Etats membres par la BCE.

Les raisons pour lesquelles Draghi veut accélérer sont pourtant compréhensibles à défaut d’être fondées. Même l’OCDE le supplie d’agir pour relancer la croissance. Selon l’OCDE, la zone euro ne devrait pas connaître une croissance de plus de 1,1% en 2015, soit 0,6 point de moins que prévu, ce qui plombe la reprise mondiale. On peut même se demander si l’OCDE n’est pas trop optimiste, au vu de l’effondrement des prix en Europe, qui laissent à penser que le processus déflationniste est méchamment engagé, malgré les dénis officiels répétés.

Le problème tient aux conséquences de la politique monétaire souple de Draghi pour l’Allemagne. Dans la pratique, elle conduit à déprécier l’euro, à stimuler le marché des actions, et à grignoter l’épargne des Allemands, majoritairement placée en monétaire. Du coup, l’Allemagne parle d’une politique de taux punitifs menée par la BCE, ce qui déplaît fort…

"Commerzbank, deuxième banque privée allemande, a provoqué une vague d’émoi en annonçant jeudi vouloir faire payer les clients – grandes entreprises et investisseurs institutionnels à ce stade – qui stockent au moins dix millions d’euros sur leurs comptes à vue."

L’Allemagne a fait donner le ban et l’arrière-ban sur l’idée hérétique de racheter des dettes souveraines. Weidmann, président de la Bundesbank, a commencé à parler de contentieux pour empêcher ce désastre, et l’autre allemande du directoire de la BCE, Sabine Lautenschläger, a déclaré:

"Le rachat à grande échelle d’actifs, y compris d’obligations souveraines, est souvent considéré comme la panacée", a déclaré Mme Lautenschläger lors d’une conférence à Berlin, selon le texte de son discours mis à disposition par la BCE.

Mais la mise en oeuvre par la BCE de telles mesures, sur le modèle de Fed américaine ou de la Banque du Japon soulève "pour le moment plus de questions que de réponses", a estimé l’Allemande, l’une des six membres du directoire de l’institution.

"De mon point de vue, une appréciation des coûts et des bénéfices, des opportunités et des risques d’un vaste programme de rachat d’obligations d’Etat ne conduit à l’heure actuelle pas à une conclusion positive", a-t-elle poursuivi.

L’Autrichien Nowotny a pour sa part considéré qu’il ne fallait pas se précipiter pour agir.

Fermez le ban!

La Commission terrassera-t-elle le géant Google?

Pendant que l’Allemagne s’acharne à maintenir ses concurrents européens dans un état de dépression chronique, la Commission s’attaque au vrai problème de l’économie européenne: la puissance quasi-monopolistique de Google. La nouvelle commissaire à la concurrence, la danoise Margrethe Vestager, a décidé de donner corps à ses annonces lors de son audition par le Parlement européen. Selon elle, les mesures prises jusqu’ici par la Commission pour limiter les abus de position dominante par Google n’ont pas été suffisantes, et la Commission doit durcir le ton.

Elle ne devrait pas manquer de soutien dans ce projet, puisque la Fédération Française des Télécommunications vient de rendre publique où elle souligne les difficultés du secteur. La FFT pointe du doigt le rôle des géants du Web qui dégagent d’importants profits peu taxés grâce aux réseaux financés par les acteurs du marché de la télécommunication qui sont, eux, très taxés!

Ce qui se joue dans cette affaire est l’équilibre du modèle économique de demain…

La Commission au bord de la faillite

Malheureusement, ces grands projets fondateurs (les seuls qui vaillent!) risquent de se heurter à une petite contrainte technique: la Commission européenne n’a plus d’argent! La cour des comptes européennes vient de publier un rapport indiquant que les Etats membres devraient augmenter leurs contributions de 326 milliards€ d’ici 2020 pour couvrir les engagements de la Commission.

"Ce rapport souligne entre autres le fait que les États membres devront débourser 1 234 milliards d’euros pour couvrir les engagements de la Commission. Ce montant totalise les 908 milliards prévus pour les paiements de la période et quelque 326 milliards supplémentaires correspondants à des décaissements liés aux deux périodes budgétaires précédentes, au moins."

Une faillite de l’Union? Voilà une hypothèse que Moscovici devrait étudier…

Cet article a également été publié sur le blog d'Eric Verhaghe, Jusqu'ici tout va bien...

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