Les 6 "petits" arrangements du PLF 2015 avec la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le gouvernement a été contraint de définir un projet de loi de finances rectificative et de le soumettre au Parlement.
Le gouvernement a été contraint de définir un projet de loi de finances rectificative et de le soumettre au Parlement.
©Reuters

Construire la légende

Le gouvernement a été contraint, par une conjoncture dégradée et des ajustements requis suite aux échanges avec Bruxelles, de définir un projet de loi de finances rectificative et de le soumettre au Parlement. La lecture attentive des annexes et des notes de bas de page fait naître beaucoup de réserves quant à la sincérité du gouvernement.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Le PLFR est marqué par des mesures contre la fraude qui concernent différents secteurs. Il s'agit de lutter contre l'évasion fiscale lors de la cession de véhicules d'occasion acquis à l'étranger (TVA), contre les entreprises dites éphémères du bâtiment, contre diverses escroqueries liées au e-commerce. Tout ceci fournit un canevas positif mais ne saurait gommer les cadenas qui s'inscrivent en négatif. Six doivent être relevés.

1. Des hypothèses macroéconomiques un peu trop optimistes

Même taux de croissance

Au sein de la section intitulée "Les grands hypothèses macroéconomiques retenues", il y a maintien du taux de croissance pour 2015 que le HCFP (Haut conseil des finances publiques) avait estimé et qualifié d'"optimiste " dans son avis du 26 septembre 2014. Loin du 1% retenu par l'exécutif, le consensus retient un chiffre de 0,7% (FMI) voire de 0,6% pour la plupart des analystes et des agences de notation.

Or, ce taux est un chiffre pivot pour qui cherche à déterminer les niveaux respectifs de recettes et de dépenses du budget de l'Etat.

L'avis du 6 novembre relatif au PLFR rapporte, de manière assez cinglante, l'opinion de cette jeune institution composée à parité de magistrats de la Cour des comptes et d'économistes :

"Le Haut Conseil souligne, comme il l’avait fait dans son avis n°HCFP-2014-05, que le Gouvernement, contrairement aux engagements pris en LFI 2014 et dans le dernier programme de stabilité, n’amorce pas en 2014 la correction de l’écart « important » de 1,5 point de PIB en 2013 par rapport à la trajectoire de solde structurel de la loi de programmation des finances publiques 2012-2017."

Dépenses de consommation des ménages :

En second lieu, les dépenses de consommation des ménages sont décrites comme telles par le PLF :  0,2% pour 2013, 0,3% pour 2014, et 1,3 % ( un virgule trois ) pour 2015.

Ce chiffre est en contradiction avec les contraintes quotidiennes de pouvoir d'achat qui affectent la vie de millions de Françaises et de Français. Il est aisé de visualiser qu'en inflatant ainsi la dépense de consommation, on induit mécaniquement une hausse des recettes prévisionnelles de TVA.  Et là, c'est un arrangement intellectuel avec le monde du réel.

Etonnante pratique qui pourra – peut-être – passer inaperçue lorsqu'il sera dit en collectif budgétaire, à l'été 2015, que la crise a rogné les recettes de TVA...

Les dépenses sociales :

La virulence de la crise que chacun est en mesure de ressentir se traduit dans le dérapage des "dispositifs de solidarité" qui atteint, globalement, 556 millions d'euros dont 130 pour le RSA et 155 pour l'AME. 98 millions provenant des hébergements d'urgence, de l'allocation temporaire d'attente.

Plus singulière est la dérive de la masse salariale (hors OPEX militaires) qui atteint 540 millions d'euros. Sans explication explicite. 

2.  Une Charge de la dette basée sur des taux bien trop bas

Des personnalités aux compétences aussi diverses que Philippe Dessertine ou Mathilde Lemoine (HSBC) ou encore Jean-François Dehecq (Président d'honneur de SANOFI) considèrent que la fin programmée, même graduelle, de la politique accommodante de la FED va avoir un impact haussier sur les taux obligataires européens.

Allant plus loin sur l'antenne de BFM Business, Madame Lemoine a considéré opportun de parler désormais du " risque systémique " que la France fait peser sur l'euro. Ce qui devrait enclencher un alourdissement de la prime de risque et va donc peser sur nos conditions de financement de la dette publique. Selon nous, il est par conséquent désormais illusoire de tabler sur des taux aussi bas (que ceux actuellement obtenus par le travail rigoureux et tenace de l'Agence France Trésor) ce qui va impacter de plusieurs milliards ce qui est, hélas, le premier poste budgétaire (45 mds) de notre pays.

Le 1,6 milliard de gain espéré sur la charge de la dette qui figure dans le PLFR ne recueille pas notre assentiment technique.

3. Un coût des opérations extérieures sous-estimé, malgré nos multiples engagements militaires

Peu ou prou, la France est dans une forme de guerre sur plusieurs théâtres d'opérations. Ceci a amené à enregistrer une hausse de 605 millions des " Opérations extérieures de la Défense " (OPEX).

Cette somme conséquente ne paraît pas suffisante pour des spécialistes de questions militaires. De plus, rien n'est chiffré en matière d'éventuel dédit sur la vente du ou des navires Mistral. Il pourrait, en cumul, manquer près de 2,5 mds à l'appel.

4. Le "refus d'apurement communautaire", ou quand le gouvernement fait croire que l'Europe paiera à la place de la France

De manière fort discrète, le gouvernement a omis de faire communication sur plus de 352 millions d'euros (intervenus en PLFR 2) qui sont " des refus d'apurements communautaires " liés à la PAC.

En clair, nous avons à régler 352 millions au titre du volet PAC de notre contribution au budget européen. Un doux zéphir de silence a accompagné cette dépense à honorer vis-à-vis des instances communautaires.

5. 3 300 milliards d'euros de dettes hors bilan

Dans une "communication" (et non un rapport ce qui n'est pas neutre) de 215 pages remontant à fin avril 2013 adressée à la Commission des finances du Sénat , la Cour des comptes a décrit " Le recensement et la comptabilisation des engagements hors-bilan de l'Etat "

Avec 3.300 milliards d'euros, le hors-bilan représente 158% du PIB. Quant à sa dynamique, elle est nette : en dix ans, ce hors-bilan a été multiplié par 3,5.

Un certain flou continue de l'entourer car le TIGRE ("Tableau d'inventaire des garanties recensées par l'Etat") est toujours en cours d'élaboration par la Direction générale du Trésor.

Or, le PLFR est clair en matière d'alourdissement des garanties.

Citons tout d'abord, près de 6 milliards, pour l'UNEDIC qui ne dispose plus de fonds propres ni de capacité autonome pour emprunter.

Puis, et surtout, une garantie à destination du CEA afin de limiter la hausse des primes d'assurance qu'il doit subir du fait de l'entrée en vigueur "d'un nouveau régime international de responsabilité civile en cas de dommage nucléaire".

" Le ministre chargé de l'économie est autorisé à accorder au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives la garantie de l’État au titre de la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire. Cette garantie s’exerce dans la limite d'un plafond de 700 millions d'euros par installation nucléaire, et par accident nucléaire. "

Le principe juridique est acté ce qui est important en cas d'évènement grave. Pour le reste, le chiffrage semble dérisoire pour qui songe à l'ampleur des dégâts survenus à et autour de la centrale nippone de Fukushima.

6. Les Taxes non déductibles, qui s'ajoutent à la taxation des bénéfices

Le PLFR a, pour être précis, recours, au principe consistant à " rendre diverses taxes sur les entreprises non déductibles ".

Ainsi, la taxe de risque systémique que doit acquitter le secteur bancaire puis la FRU ( fonds de résolution unique européen qui doit s'y substituer ) seront non déductibles de l'impôt sur les sociétés.

"Dans la même logique, la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurances serait également rendue non déductible de l'I.S de même que la taxe annuelle sur les bureaux".

On s'éloigne du dogme présidentiel de l'absence " d'impôt supplémentaire pour qui que ce soit "

Pour conclure, il y a donc des arrangements dans ce PLFR que la crise impose et qu'hélas les circonvolutions politiques suggèrent.

Un point est surprenant voire inquiétant : "Dès le présent projet loi de finances rectificative", il est proposé de supprimer la prime pour l'emploi (PPE) au titre des revenus perçus en 2015 "ce qui dégagera un gain budgétaire de 19 40 millions euros à compter de 2016 et contribuera au financement du nouveau dispositif mis en place".

Nul ne connait les contours de la réforme mais tout un chacun a compris que le pouvoir d'achat 2015 sera touché. Celui des plus modestes. Décidément, un PLFR surprenant voire déroutant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !