Hausse des impôts : démenti ou pas de Christian Eckert, l’Etat devra trouver au moins 6 milliards en 2015 et voilà où il ira vraisemblablement les chercher<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Etat devra trouver 6 milliards en 2015.
L’Etat devra trouver 6 milliards en 2015.
©Reuters

Fonds de tiroirs

Après avoir mis en doute la promesse de stabilité fiscale en 2015 émise par François Hollande, le secrétaire d'Etat au budget est revenu sur ses propos. Il n'en reste pas moins que le gouvernement doit trouver les fonds nécessaires pour parvenir à boucler le budget de l'Etat évalués à au moins 6 milliards, contre les 3,6 officiellement annoncés.

Charles de Courson

Charles de Courson

Charles de Courson est député UDI de la 5e circonsription de la Marne, maire de Vanault-les-Dames et vice-président du Conseil général de la Marne.

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Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Atlantico : Face à des dépenses plus importantes que prévues, des rectifications budgétaires à hauteur de 3,6 milliards d'euros vont être effectuées, alors même que la fiscalité a été augmentée, et que le déficit reste important (4,4% du PIB). Tout n'a en outre pas été détaillé précisément. Combien manque-t-il concrètement aujourd'hui à l'Etat pour boucler un budget en "déficit acceptable" ?

Charles de Courson : Si nous voulions respecter le déficit initial du projet de loi de finances initial pour 2014, il faudrait 7,6 milliards ! Les 3,6 milliards annoncés ont pour seul objectif d’éviter que le déficit de 4% s’aggrave encore plus. Les recettes continuent à chuter pour l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les revenus et même un peu la TVA. On est à 11 milliards de pertes de recettes fiscales depuis le début de l’année par rapport aux prévisions. Les entreprises ne distribuent plus de dividende eu égard à la taxation, et les grands groupes font tous de l’optimisation fiscale pour ne plus payer d’impôts en France. L’excès des taux confiscatoires aboutit à ce résultat. Le gouvernement a fini par entendre le message de la nécessaire baisse des impôts, mais il repousse ça à plus tard…

La loi de finances rectificative va concerner une somme de 2,1 milliards d’euros, et on annule 1,8 milliards de crédits. Et les intérêts de la dette chutent car les taux sont au plus bas depuis plus de quarante ans. Voilà la présentation de la loi de finances ; en parallèle on créé de nouveaux impôts…

Pierre-François Gouiffès : Il faut séparer l’analyse de l’exercice budgétaire en cours (2014) de la construction du budget 2015.

Concernant le budget 2014 toutes administrations publiques confondues, on peut feuille tonner la glissade du déficit : 3,6% du PIB lors de la présentation du projet de loi de finances (25 septembre 2013), reprévision à 3,8% lors de la présentation du programme de stabilité (23 avril 2014) et du premier projet de loi de finances rectificative (6 juin), annonce par Michel Sapin d’un déficit beaucoup plus important à 4,4% (10 septembre) confirmé lors de la présentation du projet de loi de finances 2015 (1er octobre) puis de la présentation de la seconde loi de finances rectificative (12 novembre). La dernière prévision d’atterrissage présente donc un déficit rapporté au PIB 22% plus élevé que le solde initial, déficit en outre plus élevé que le déficit final 2013 (4,3%).

Concernant le budget 2015, le ministre des comptes publics a proposé le 27 octobre dans une lettre au commissaire européen un ensemble d’ajustements permettant une réduction complémentaire du déficit de 3,6 milliards d'euros partiellement documenté (baisse des charges d’intérêt, recettes complémentaires lié à la lutte contre la fraude fiscale).

Concernant la supervision européenne issue du traité budgétaire de 2012, il y a désormais un jeu politico-médiatique entre la France, la Commission et les autres pays membres de la zone euro. En mars dernier, la France était mise sous surveillance par la Commission européenne, mais fin octobre, la Commission n’a pas fait de remarques sur le projet de budget français, dans l’attente d’un avis plus détaillé mi-novembre. Tout cela joue toutefois un rôle majeur de sensibilisation de l’opinion publique 

Face à des déficits chroniques, combien pourrait-il manquer dans les caisses de l'Etat, si on considère que les budgets lors des lois de finances s'avèrent intenables, puisque fortement rectifiés, et que François Hollande a annoncé en principe que les impôts n'augmenteraient plus jusqu'à la fin de son quinquennat ? 

Charles de Courson : Le problème de fond, c’est que les déficits ne baissent plus. On sera à 4,4% cette année, alors que le gouvernement voulait à l’origine être à 3,7%. L’année prochaine on espère être à 4,3%, sachant que Bruxelles nous attend plutôt à 4,7%. Le gouvernement n’arrive plus à encadrer les dépenses, car il n’y a pas de réformes structurelles. On va atteindre 58% du PIB en dépense publique. On sera sans doute les premier en Europe dans un avenir proche.

Pierre-François Gouiffès :La France est effectivement le seul pays de l’OCDE à avoir connu une série ininterrompue de 40 budgets en déficit, série en cours. Quant à savoir ce qui "manque" dans les caisses, il faut bien avoir conscience que le déficit n’est pas en soi un problème tant que les administrations publiques, au premier rang desquelles l’Etat, arrivent à se financer ou se refinancer comme c’est le cas à ce jour même si cette situation est loin d’être garantie ad vitam aeternam, surtout dans la situation d’augmentation très forte de la dette publique que le pays connaît depuis la crise Lehman : la dette publique brute a ainsi augmenté de 700 milliards depuis mi 2008 et dépasse désormais les 2 trilliards d’euros.

Pour savoir ce qui manque dans les caisses de l’Etat, on peut par exemple analyser ce qu’il aurait fallu faire pour maintenir le déficit initial 2014 de l’Etat prévu l’an dernier à 82,2 milliards et réactualisé à 88,2 milliards. Comme les recettes semblent rigides et orientées à la baisse, il aurait fallu baisser les dépenses de 6 milliards pour préserver le solde initial.

Alors que François Hollande avait promis le 6 novembre que les impôts n'augmenteraient plus, le secrétaire d'Etat chargé du Budget Christian Eckert a laissé entendre l'inverse jeudi 13 novembre à la radio (avant de se raviser par la suite). La promesse présidentielle est-elle physiquement tenable ?

Charles de Courson : Absolument pas ! Et jour après jour on voit l’inverse. La loi de finances rectificative crée un impôt sur les résidences secondaires, ce qui est inepte. On rend non-déductibles des charges qui l’étaient, on lutte contre la fraude… Il n’y a plus vraiment de ligne, de cohérence, on cherche juste à améliorer comme on peut les recettes fiscales, sans cohésion entre le discours et les faits.

Pierre-François Gouiffès : Avant même les propos du secrétaire d’Etat au budget, les éléments de langage du président de la République avaient été démentis dès le 12 novembre d’une certaine manière avec le projet de loi de finances rectificatif qui incluait de fait plusieurs mesures de hausses d’impôt : majoration de taxe foncière des terrains constructibles sur les zones foncières tendues, possibilité pour les collectivités locales de majorer la taxe d’habitation sur les logements meublés non affectés à une résidence principale, non déductibilité de l’IS de certaines taxes sur les sociétés financières et les compagnies d’assurance.

Le caractère extrêmement général de la promesse du Président de la République rend sa mise en œuvre probablement périlleuse dans le détail. En plus, cet engagement fait suite à une hausse particulièrement forte des impôts : en 3 ans, de 2010 à 2013, les prélèvements obligatoires ont augmenté de plus de 120 milliards (+14%). Compte-tenu de la constatation récente de moins-values fiscales, il n’est pas exclu que la France teste à grandeur nature la théorie d’Arthur Laffer ou le principe selon lequel "les hauts taux tuent les totaux", sans même parler du recul du consentement à l’impôt d’une peuple pourtant habitué à une forte fiscalité.

Quels sont les impôts qui peuvent être augmentés "frontalement" alors que tout le discours politique de ces dernières semaines vise justement à assurer que rien ne sera fait en ce sens, et que même la première tranche de l'impôt sur le revenu sera supprimée ? Qu'est-ce qui est politiquement faisable ?

Charles de Courson : Il n’y en a plus. Si vous augmentez l’impôt sur les sociétés, l’optimisation fiscale va accélérer la chute des recettes. Idem pour l’impôt sur les revenus (6 milliards de moins de recettes par rapport à ce qui était attendu pour cet impôt). Les gens s’adaptent au système fiscal : s’ils doivent payer des taux marginaux de 70% si, par exemple, ils distribuent des dividendes, ils attendent des jours meilleurs. Et la TVA, elle, n’est pas loin d’aller trop loin aussi. Si on ne réduit pas les dépenses publiques d’un montant supérieur aux intérêts de la dette pour réduire le déficit, rien ne sera possible.

Pierre-François Gouiffès : Pour des raisons d’équilibre politique au sein de sa majorité, le gouvernement a couplé pour les budgets 2014 et 2015 les mesures favorables aux entreprises liées au pacte de responsabilité à différentes mesures de baisse d’impôt visant à faire sortir de l’impôt sur le revenu une proportion importante des premiers redevables. Il y a maintenant le nouvel engagement anti- hausses d’impôt du président de la République donc il ne semble pas y avoir beaucoup d’axes d’action.

Si l'Etat va sans doute peu toucher directement aux impôts, quelles seraient alors les dépenses dans lesquelles il pourrait le plus aisément couper ? Quels sont les désengagements auxquels on peut s'attendre ?

Charles de Courson : On commence à le voir, c’est la baisse des effectifs de la fonction publique. C’est ce que fait le gouvernement sans le dire. Ce dernier crée des postes qu’il ne pourvoie pas. On est actuellement sur une baisse de 6000 à 7000 postes annuels.

Pierre-François Gouiffès : Rappelons la structure par  nature des 57,1% du PIB de dépenses publiques consolidées en 2013 : 19% de frais de fonctionnement dont 13% de dépenses de rémunération des agents publics, 32% de transferts et prestations dont 26% de prestations sociales, 2,3% de charges d’intérêt profitant de taux historiquement faibles, 4,2% de dépenses d’investissement.

On voit bien que le sujet majeur concerne le couple prestations sociales-dépenses du personnel : 39% du PIB soit plus des deux tiers du total : aucune chance de maîtriser la dépense dans la durée si on ne traite pas la dynamique de ces segments. D'ailleurs, Manuel Valls les avait ciblés dans son discours de politique générale du printemps via le gel des augmentations générales des fonctionnaires et la désindexation des prestations. Mais on a vu aussi ensuite que cela semblait difficile à mettre en œuvre.

L'un des principaux désengagements auxquels on peut s'attendre (car étant déjà annoncé) concerne des missions dont l'Etat souhaite se décharger au profit des collectivités, elles-mêmes de moins en moins dotées par l'Etat. Même si l'Etat n'augmente pas les impôts, le contribuable ne va-t-il pas se retrouver mis à contribution par la fiscalité locale qui supportera le transfert ? A quoi peut-on s'attendre dans ce domaine ?

Charles de Courson : On est parti sur des baisses de 7% des dotations de l’Etat aux collectivités locales, pour trois ans. Comment vont-elles réagir ? Trois solutions sont possibles (et peuvent se combiner). Primo, augmenter les impôts, ce qui est devenu tellement impopulaire que peu le feront. Deuxio, différer les dépenses d’investissement, ce que font la plupart des collectivités. Tertio, c’est les économies de fonctionnement : non-remplacement de départs à la retraite, économies sur le chauffage ou l’éclairage public, augmentation des tarifs pour l’usager. On voit ces mesures se généraliser.

Pierre-François Gouiffès : Cette question impose de regarder les questions de finances publiques sous l’angle consolidé en intégrant toutes les politiques publiques dont les trois les plus lourdes sur le plan budgétaire (retraites, santé, éducation & enseignement supérieur) et toutes les administrations publiques : Etat, Sécurité sociale et collectivités territoriales. Depuis de nombreuses années, ce sont les dépenses sociales et celles des collectivités locales qui sont les plus dynamiques, sans toutefois qu’on puisse imputer l’intégralité de la responsabilité sur ces administrations puisque l’Etat a de fait gardé la haute main sur la production normative dans ces champs de dépenses.

Donc il faut sortir d’une forme de jeu de dupes ou de vases communicants où une administration publique maîtrise ses dépenses en passant le mistigri de certaines politiques publiques aux autres administrations qui en profitent pour se sentir déresponsabilisées, mistigri d’ailleurs à l’origine d’un jeu de postures devenu progressivement désuet voir sinistre au vu de la situation objectivement très préoccupante de nos comptes publiques et de notre dette passée de 15% à 95% du PIB en quatre décennies.

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