Avis à ceux qui comptent regarder François Hollande sur TF1 : le petit kit de décryptage des (habiles) outils rhétoriques du président <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande participe jeudi 6 novembre à l'émission "En direct avec les Français" sur TF1.
François Hollande participe jeudi 6 novembre à l'émission "En direct avec les Français" sur TF1.
©Reuters

Boîte à outils

François Hollande participe jeudi 6 novembre à l'émission "En direct avec les Français" pour marquer la première moitié de son mandat. S'il est connu pour redouter les plateaux de télévision, le président dispose pourtant d'un véritable arsenal rhétorique pour convaincre ses interlocuteurs... Ou échapper discrètement à leurs questions dérangeantes.

Thomas Godard

Thomas Godard

Thomas Godard est chercheur en histoire des idées linguistiques à l’Université de Cambridge.

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L'inversement du sens des termes

"Ce ne sont pas les prévisions qui doivent changer nos politiques, ce sont nos politiques qui doivent changer les prévisions."

François Hollande suite à l'abaissement des perspectives de la France par Bruxelles, le 4 novembre 2014

Il s’agit là d’un exemple typique d’antimétabole, comparable à la fameuse phrase de J.F. Kennedy "Ask not what your country can do for you ; ask what you can do for your country." (Ne demandez pas ce que le pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour le pays ndlr). Les deux termes importants de la première proposition sont inversés dans la seconde, pour retourner l’argument à la manière d’un catcheur. Dans les deux cas, il s’agit ici de faire passer le protagoniste (ici, nos politiques, c’est-à-dire "moi, président") du rôle de patient à celui d’agent. En intervertissant les termes, Hollande cherche à démontrer qu’il ne se laisse pas imposer sa politique par Bruxelles mais qu’il est volontaire et pro-actif.

Le Logos plutôt que le Pathos ou l'Ethos

LCP : Est-ce que, comme votre Premier ministre, vous considérez que l'extrême droite est aux portes du pouvoir, et que vous avez une responsabilité dans cette situation ?

François Hollande : L'extrême droite en France est à un haut niveau depuis 1983. En 2002, elle était au second tour des présidentielles, donc ce n'est pas un phénomène récent. L'extrême droite est ressortie en tête des élections européennes, même si ses électeurs ne se considèrent pas nécessairement comme tel.

Oui, nous avons une responsabilité, ceux qui gouvernent, dans la montée de l'extrême droite. Parce que nous ne répondons pas suffisamment aux angoisses, inquiétudes des plus fragiles, de ceux qui vivent dans les quartiers populaires.

Conférence bi-annuelle du 18 septembre 2014

On note là une importante différence entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Au lieu de répondre directement à la question, François Hollande commence souvent par une mise en contexte, très factuelle, dates et chiffres à l’appui. Une fiche de synthèse très académique, technocratique : on reconnaît l’ancien conseiller. Il fait donc appel à la raison, au jugement analytique de son auditoire, ce qui, en rhétorique Cicéron s'appelle de logos. A l’inverse, Sarkozy s’appuyait beaucoup plus sur les deux autres instances oratoires définies par Cicéron : le pathos (l’appel aux émotions) et l’ethos (l’autorité, la légitimité personnelle de l’orateur). Le logos porte sur le message, le contenu, il met de côté la relation personnelle entre l’orateur et l’auditoire. C’est pour cette raison qu’on a souvent l’impression qu’Hollande s’adresse plus aux journalistes, au monde politique, qu’aux Français eux-mêmes.

La prétérition ou jouer l'humilité pour prendre de la hauteur

AFP : Comment envisagez-vous le retour annoncé de Nicolas Sarkozy ?

François Hollande : Il ne m'appartient pas comme président de commenter les éventuelles déclarations de candidatures à la présidence d'un parti, serait-ce le premier parti d'opposition en France. Si je devais ajouter - mais dois-je le faire ? - une phrase, je dirais tout simplement que ceux qui ont gouverné le pays hier et même avant-hier ont parfaitement le droit de prétendre le diriger demain et après-demain, c’est la démocratie.

Conférence bi-annuelle du 18 septembre 2014

Hollande a ici recourt à la prétérition, par laquelle l’orateur prend prétexte de ne pas être en capacité d’aborder un sujet – généralement par manque de compétence – pour en fait l’aborder. La figure permet au président d’exprimer son opinion, tout en préservant l’image d’un président au dessus des querelles de partis, comme le veut la tradition sous la Vème République.

Reframing, humour, et storytelling

ITélé : Les Français sont attachés à l'image présidentielle. On vous a vu trempé lors de votre visite en août à l'Ile de Sein. N'avez-vous pas porté atteinte à l'image présidentielle ?

François Hollande : Je ne peux pas empêcher la pluie (rires). J'avais répondu depuis longtemps à l'invitation du maire de l'Ile de Sein. Je n'allais pas renoncer parce qu'il pleuvait. Il y avait là-bas les enfants des soldats, des survivants, des anciens combattants, sous la pluie, trempés. Vous pensez que j'aurais pu aller quérir un parapluie ? Demander de me mettre moi à l'abri quand d'autres étaient rincés parce que ça aurait pu atteindre l'image du président ? Président ça consistait à être avec les Français, sous la pluie. Quand on est président, quand on fait une cérémonie d'hommage, on ne se cache pas, on ne se protège pas.

Conférence bi-annuelle du 18 septembre 2014

Ici Hollande combine plusieurs effets. Le premier, c’est son préféré : le trait d’humour. Il lui permet ici de créer une connivence avec l’auditoire et d’inspirer la bienveillance. Néanmoins, Hollande sait aussi manier l’humour comme une arme particulièrement destructrice. Ses meilleurs "sketchs" sont dignes de Raymond Devos. Il brille dans l’art de la reductio ad absurdum de l’argument de ses adversaires. On peut citer le droit opposable au logement (Villepinte, 2007) ou la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (La Rochelle, 2011). On sent cette technique poindre dans les questions rhétoriques qu’il pose ici, pour tenter de ridiculiser l’argumentaire de la journaliste.

Ensuite, il fait ce qu’on appelle du storytelling : il crée un récit pour inscrire son action dans un avant et un après qui lui donnent tout son sens. Et par là-même, il opère ce que George Lakoff appelle le reframing : il repose le cadre du débat, il en redéfinit les termes. Alors que la question de la journaliste présuppose que le président incarne une fonction quasi monarchique, au dessus de tout, qu’il est intouchable, inatteignable, tel une icône ("l’image du président"), Hollande redéfinit la fonction du président comme primus inter pares, au milieu de tous, un homme normal en somme. Une fois les termes du débat redéfinis ainsi, son action redevient légitime.

L'antiphrase, ou l'art de se commenter soi-même

LCP : "Est-ce que vous envisagez de vous représenter en 2017 ?

François Hollande : Je vais vous parler franchement : je suis président, pas candidat. Je serai président jusqu'au bout, je n'ai pas d'autre objectif, d'autre priorité, d'autre devoir, de faire tout pour mon pays. Donc l'idée de candidature n'est pas présente. Ce n'est pas maintenant que la question doit se poser, peut être qu'elle ne se posera pas. Mon sort personnel n'est pas mon objectif. Mon seul objectif c'est mon mandat que j'ai reçu, mon seul devoir c'est la France. C'est n'est pas de me protéger, de m'abriter, cela ne vous a pas échappé.

Conférence bi-annuelle du 18 septembre 2014

Encore une figure de l’antiphrase, où l’annonce première de franchise est suivie par un raisonnement très tortueux qui n’a rien de particulièrement franc. Il y aussi toujours une forme de réflexivité chez Hollande : la fonction métalinguistique est toujours très présente. Hollande commente sa propre façon de s’adresser à nous, il nous fait le commentaire continu de sa prise de parole, comme le ferait un journaliste.

Article élaboré avec Alexis Franco

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