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L'euro ne mourra pas, la volonté politique le sauvera
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Anti-catastrophisme

Alors que la crise n'en finit plus de toucher les pays européens, beaucoup prédisent la fin de la monnaie unique telle que nous la connaissons aujourd'hui. Une vision catastrophiste que contredit une observation attentive de la situation politique du continent...

Il se fait grand bruit ces derniers mois d’un possible éclatement de la zone Euro. Des économistes évoquent, pour certains d’entre eux avec une délectation presque morbide, ce scénario qui mettrait fin à l’aventure européenne engagée dans les années 1950. Le plus grand nombre de ces Cassandre envisagent la sortie de la Grèce de l’Euro, afin qu’elle restaure ainsi sa compétitivité telle une Argentine se désamarrant du dollar au début de la décennie 2000.

Certains ajoutent à ce premier scénario un effet domino, avec une sortie en cascade de tous les membres un peu faiblards ces temps-ci de la zone Euro (Portugal, Espagne, Italie, etc.). Quelques-uns se font peur en supposant à l’inverse que ce sont les forts qui abandonneront les premiers le navire :  l’Allemagne, lasse de payer pour les fainéants du sud, quitterait en premier l’Euroland un « Club Med » en détresse fiscale avancée, suivie sans doute par les autres membres vertueux de la zone Euro (Autriche, Finlande, Pays-Bas, etc.).

D’autres enfin, plus imaginatifs encore, font l’hypothèse de la division de la zone Euro en deux zones monétaires, un « Euro fort » au nord du continent, un « Euro faible » au sud, la question subsidiaire portant alors sur la place de la France dans ce scénario, leader de la nouvelle « Union latine » ou junior partner de la nouvelle « zone Mark » ?  Du point de vue du politologue, tous ces scénarios paraissent, en dépit même de leurs logiques économiques  respectives, quelque peu délirants.

La fin de la zone euro : un scénario juridiquement compliqué...

En effet, sauf à supposer qu’un changement aussi important que celui de la monnaie en usage sur un territoire  et que la fin d’une zone monétaire puissent s’effectuer dans une sorte de vide politique où seuls compteraient les logiques économiques, ces Cassandre négligent totalement la question de la transition de la situation actuelle (une zone Euro) à la nouvelle situation (un pays sort, plusieurs pays sortent, deux zones Euros se créent, etc.).

De fait cette transition devrait être le fruit de décisions étatiques. Comme les spécialistes de droit européen s’épuisent à le rappeler depuis deux ans, absolument aucune procédure n’a été légalement prévue pour la sortie d’un pays de la zone Euro. Depuis le Traité de Lisbonne, qui a introduit cette nouveauté, on peut certes sortir de l’Union européenne, selon une procédure plutôt compliquée et dilatoire qui dure au moins deux ans, mais pas de la zone Euro. Comme au cinéma, toute entrée est définitive.

... et éminemment politique

Certes, comme le montre à l’envi l’histoire des relations internationales, les États savent à l’occasion rompre, s’ils le croient nécessaire pour la préservation de leur intérêt national, leurs engagements les plus sacrés vis-à-vis de leurs partenaires d’hier. Il n’y a pas de raison fondamentale de croire que la trahison des promesses entre États ne serait plus possible, mais encore faut-il que les dirigeants de l’État décident et assument ce nouveau cours.

Plus le bouleversement de la politique suivie se trouve  important, plus il est probable qu’il faille changer d’abord de personnel politique. Peut-on donner ici l’exemple du retour au pouvoir du Général De Gaulle qui s’est avéré nécessaire pour résoudre une question algérienne que les forces politiques dominantes de la IVème République étaient incapables de traiter ?

Or la modification du périmètre de la zone Euro n’est pas, pour le moins, une mince affaire : c’est tout le récit européen qui s’écroulerait. Pour la première fois dans son histoire, l’intégration européenne serait confrontée à un échec patent. Il y en a eu certes d’autres, qu’on pense par exemple à Euratom, communauté européenne de l’énergie atomique qui n’a pas donné les fruits qu’on attendait d’elle, mais ces échecs sont restés discrets, et seuls les spécialistes s’en rappellent.

Mais, en l’occurrence, qu’un seul pays doive abandonner l’Euro, que la zone Euro se divise en deux blocs, ou que la zone Euro se disloque entièrement, importe peu. Un tel événement voudrait dire aux yeux du profane comme du spécialiste que tout le récit européen depuis au moins le Traité de Maastricht était erroné. Au minimum, en cas de sortie de la Grèce de la zone Euro, c’est toute la réflexion sur la convergence économique entre États européens qu’il faudrait revoir de fond en comble.  La décision à prendre est donc grave. Qui serait donc à même de prendre une telle décision, pas les économistes en tout cas, sinon les partis de gouvernement des différents Etats concernés ?

Tous les partis au pouvoir en Europe sont favorable au maintien de la zone euro

Il se trouve que, dans l’Union européenne,  l’immense majorité des partis de gouvernement, c’est-à-dire des partis qui ont l’habitude, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale à l’Ouest ou de la domination soviétique à l’Est, de gouverner leurs pays respectifs, qu’ils soient actuellement au pouvoir ou dans l’opposition, sont pro-européens. Aucun ne remet radicalement en cause l’intégration européenne en général. Aucun n’est en réalité sur la ligne extrémiste d’un UKIP (le « Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni »). 

Cette allégeance au consensus intégrationniste représente d’ailleurs pour un parti une condition sine qua non de la participation gouvernementale : en 2000, quand l’extrême droite arrive au pouvoir en Autriche comme partenaire minoritaire du parti conservateur, le Chancelier W. Schüssel prend soin de faire signer par J. Haider un texte où ce dernier va à Canossa sur les affaires européennes. En dépit des déclarations tonitruantes de certains leaders « eurosceptiques » arrivés au pouvoir dans leur Etat, la règle n’a pas changé tout au long des années 2000 : pour paraphraser le bon roi Henri IV, « Paris vaut bien une messe », et l’accès au gouvernement vaut bien d’agir en bon européen. Les Verts irlandais se sont ainsi convertis à l’Europe avant leur passage malheureux dans la défunte coalition irlandaise. En Italie, la Ligue du Nord, tout en continuant à faire des déclarations eurosceptiques, a fini, par exemple, par voter le Traité de Lisbonne.

Plus généralement, tous les partis des grandes familles politiques européennes (libéraux, sociaux-démocrates, démocrates-chrétiens, et même conservateurs) ont lié leur sort depuis les années 1950 à celui de l’Europe communautaire, puis à celui de l’Union européenne. Cette situation de fait signifie qu’en cas de catastrophe autour de l’Euro, tous les partis de gouvernement en seraient les victimes collatérales. Les électeurs auraient du mal en effet à ne pas leur attribuer le blâme de la catastrophe, surtout s’ils étaient au pouvoir au moment de l’apocalypse ici envisagée. Les partis de gouvernement, actuellement dans l’opposition, auraient au moins la ressource de prétendre que, auraient-ils été au pouvoir, ils l’auraient sauvé cet Euro si cher à leur cœur. Tous les opposants à l’Euro et à l’intégration européenne s’en trouveraient, au contraire, justifiés. Comme il est fort probable qu’aucun dirigeant d’un grand parti de gouvernement ne cherche à dessein l’écroulement électoral de son parti, cela laisse peu de place à une disparition de l’Euro. Au contraire, les dirigeants de ces partis, au pouvoir, feront tout ce qu’ils pourront pour le sauver dans sa forme actuelle. Peut-on même envisager un Nicolas Sarkozy devant se présenter à l’élection présidentielle de 2012 avec l’avis de décès de l’Euro dans son bilan ?

Le périmètre de la zone ne peut pas être modifié

Enfin, prenons le cas de la sortie de la Grèce : imagine-t-on vraiment le PASOK, actuellement au pouvoir, membre du Parti socialiste européen et de l’Internationale socialiste, prendre une telle décision de quitter la zone Euro, même au prétexte d’y revenir plus tard dans de meilleures conditions ? Peut-être alors « Nouvelle Démocratie », membre du Parti populaire européen, dont le leader se trouve, semble-t-il, sur une ligne plus nationaliste, mais encore lui faudrait-il remporter des élections anticipées sur ce thème de la rupture avec l’Union européenne. Dans le fond, seuls les ailes extrêmes de l’échiquier politique grec pourraient éventuellement assumer une telle décision,  encore faudrait-il que l’une ou l’autre obtienne la majorité dans les urnes. Cependant, la probabilité d’un tel développement électoral est, avouons-le, faible.

Prenons inversement le cas de l’Allemagne : qui peut croire un instant que toute la CDU de K. Adenauer et d’H. Kohl se découvre tout d’un coup une âme anti-européenne, que tous les intérêts sociaux et économiques qu’elle agrège tournent en un instant le dos à l’Europe ? L’hypothèse la plus probable à ce jour, au regard des récentes élections régionales allemandes et des sondages disponibles,  est au contraire que, lors des prochaines élections générales dans le premier pays de l’Euroland, le SPD et les Grünen, l’emportent. Or ces deux partis ont plutôt renforcé ces derniers temps leur profil proeuropéen en faisant (ou en réitérant) des propositions  fédéralistes. On peut certes imaginer qu’à l’élection d’après, la CDU et le FDP auront été remplacés par un grand parti nationaliste demandant à toute force la sortie de l’Euro.

Même réflexion sur la France, en dehors de la victoire fort improbable de Marine Le Pen à l’élection présidentielle et aux législatives de l’année prochaine, le pouvoir restera fermement dans les mains de partis proeuropéens, l’UMP et ses alliés ou le PS et ses alliés. Seuls des petits pays (Pays-Bas, et éventuellement Finlande) semblent pouvoir basculer rapidement dans les mains de majorités vraiment décidés à en finir avec la configuration actuelle de la zone Euro. S’agissant toutefois de systèmes électoraux proportionnels dans les deux cas, un tel basculement supposerait, soit que le parti extrémiste dépasse seul le seuil de 50% des voix, soit qu’il se trouve des alliés prêts à l’accompagner dans cette rupture.

Bref, pour modifier le périmètre de la zone Euro, comme l’envisagent trop légèrement des économistes, il faudrait déjà trouver des acteurs politiques prêts à une telle aventure – et des majorités citoyennes pour les soutenir. En tout cas, parmi les partis de gouvernement, il me semble qu’il y en a bien peu qui sont prêts à ce qui ressemblerait fort pour eux à une mission suicide.

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