Crise économique : un détonateur pour une Europe plus fédérale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment les dirigeants politiques appréhendent-ils les risques d'éclatement de l'Europe ?
Comment les dirigeants politiques appréhendent-ils les risques d'éclatement de l'Europe ?
©Reuters

L'union fait la force

La crise grecque risque de se propager à d'autres pays européens. Une Europe plus fédérale peut-elle empêcher cet effet domino ?

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : Comment les dirigeants politiques appréhendent-ils les risques d'éclatement de l'Europe ?

Guillaume Klossa : Les dirigeants européens des principaux partis politiques sont rentrés dans une démarche de raison, où ils se sont rendu compte de la nécessité d’une solidarité européenne sans faille pour éviter un risque systémique. En effet, commencer à faire sortir un Etat de l’Euro a des conséquences que personne n’est capable d’évaluer ni de mesurer, sans que cela offre pour autant d’avantages... C’est ce débat qui a commencé début septembre en Allemagne où l’ensemble des leaders historiques de la CDU et du SPD ont successivement pris des positions fortes pour une solidarité sans réserve. La chancelière Angela Merkel a d’ailleurs été sans ambigüité sur ce sujet après le dérapage de son ministre de l’Economie qui avait laissé entendre la possibilité de la sortie de la Grèce de l’euro.

Un éclatement de la zone euro avec plusieurs pays revenant à leur monnaie nationale serait la fin de l’esprit européen. La fin de l’Euro, c’est la fin du marché unique, la fin de la Banque centrale européenne, la fin de l’intégration européenne et du rêve d’une puissance européenne globale.

Soyons conscients que l’Euro est la seule réalisation concrète fédérale, au sens américain du terme. C’est le symbole le plus identifiable de la construction européenne sur le vieux continent comme dans le reste du monde. Globalement, l’Euro marche, c’est la deuxième monnaie de réserve du monde. C’est une monnaie recherchée - dans une compétition globale pour attirer les capitaux, c’est un atout majeur - même si cet atout serait renforcé par l’existence d’un marché européen de la dette et d’obligations européennes. Derrière l’Euro, il y a la Banque centrale européenne, la seule institution fédérale européenne puissante mais aussi une des institutions bancaires publiques les plus respectées et influentes du monde.

La Banque centrale européenne joue d’ailleurs un rôle majeur dans la régulation des crises financières et monétaires internationales depuis 2008. Sans la BCE, la gestion de crise réalisée par la présidence française de l’Union européenne aurait été beaucoup plus difficile voire impossible. La BCE a d’ailleurs joué un rôle inattendu de conseil auprès de la FED, la Banque centrale américaine, au moment le plus intense de la crise, mi-septembre 2008 lors de la faillite de Lehman Brothers. Cela a contribué à faire de l’Europe un acteur central dans la gestion de crise mondiale. La fin de l’Euro marquerait donc aussi la fin de la capacité des Européens à agir sur les règles du jeu monétaire international, à un moment où les Américains et les Chinois utilisent leur monnaie comme un levier de puissance et de négociation.

L’Euro a eu d’autres avantages que l’on oublie : il a mis fin au cercle vicieux des dévaluations compétitives en chaîne que nous avons connues au début des années 1990 où pour retrouver sa compétitivité, un Etat dévaluait sa monnaie, poussant ses voisins pénalisés à faire de même, neutralisant une partie du bénéfice attendu et créant de l’incertitude pour l’ensemble des acteurs économiques.

La crise actuelle n’est-elle pas avant tout une crise politique nationale et européenne, qui traduit une crise de gouvernance européenne ?

Il y a une crise de la politique nationale dans la mesure où les politiques nationaux n’ont pas les clefs du problème même s’ils peuvent apporter des éléments de réponse. Il y a une crise politique européenne dans la mesure où l’Union européenne, qui a la bonne taille pour apporter des solutions, n’a pas les institutions, la capacité de décision et l’agilité pour apporter des réponses satisfaisantes. Ainsi, sur des sujets où les interdépendances entre Etats sont immenses, les Etats ne sont pas en mesure d’apporter seuls des solutions et la concertation des chefs d’Etat ne suffit plus. Nous savons depuis le débat de Maastricht que la zone euro, n’étant pas ce que l'on appelle une zone monétaire optimale, doit dès lors qu’elle se dote d’une monnaie unique mettre en place des mécanismes de solidarité, de convergence, et de coordination en matière économique, budgétaire, fiscal et social.

La crise de la dette grecque et le débat sur la sortie de ce pays de l’Euro posent ainsi la question d’un gouvernement économique européen pour la zone euro. Ce gouvernement économique, si nous le mettons en place, devra être un gouvernement avec une dimension fédérale et des ressources propres. Cela amène à se poser la question d’un nouveau transfert de souveraineté qui n’est acceptable que s’il s’accompagne d’un contrôle démocratique accru associant à la fois des parlementaires européens des pays de la zone euro et des représentants des commissions pertinentes des Parlements nationaux.

La construction européenne est restée, sauf sur la dimension monétaire, largement inter-étatique. L’organe suprême de l’Union européenne, c’est le Conseil européen qui comprend les chefs d’Etat et de gouvernement. Ce n’est pas un organe fédéral, c’est un collectif d’Etats-nations. Ils demeurent les décideurs finaux dans ce système. La question que pose le nouveau transfert de souveraineté en matière budgétaire, économique, fiscale et sociale, c’est le passage d’une Europe des Etats qui n’est pas suffisamment efficace et qui est trop réactive, à un mode de fonctionnement plus fédéral mais qui devra continuer à associer les Etats.

Il faut un pilote dans l’avion qui ait une véritable capacité d’anticipation, de décision et d’engagement visant à gérer et mieux prévenir les crises mais aussi un pouvoir de contrôle. Le système actuel qui est essentiellement réactif ne permet pas tout ceci. Concrètement, cela veut dire un renforcement des pouvoirs de Van Rompuy mais aussi la création d’un poste de ministre de l’Economie et des Finances européen dont il faudra définir avec soin les compétences. Ce ministre devra être également vice-président de la Commission européenne en charge des portefeuilles économiques, monétaires, budgétaires et fiscaux. Cela veut dire une refonte de l’organisation de la Commission européenne.

Mais encore faut-il savoir pourquoi l’on veut un gouvernement économique ? quels doivent être ses objectifs, ses principes ? Dans quelle perspective démocratique, économique et sociale s’inscrit-il ? Les réponses n’ont rien d’évident et cela mérite un vrai débat public comme il s’est enclenché en Allemagne.

Quelles seraient les conséquences d’un abandon de l’Euro sur la politique intérieure des pays européens  ?

C’est une perspective à laquelle je ne crois pas. Mais le pire est toujours possible. L’abandon de l’Euro, et donc de l’esprit européen, laisserait les portes grandes ouvertes au reflux nationaliste ou populiste dans les grands partis de gouvernement où la tentation, sous la pression des extrêmes, est souvent forte et l’engagement européen parfois faible. Surtout cela donnerait raison aux partis extrémistes de droite comme de gauche.

Avec la crise avons-nous raté un tournant fédéral ?

Non, au contraire, l’accélération de la crise est l’opportunité d’un tournant. Mais attention à ne pas faire de dogmatisme avec le fédéralisme. Le terme renvoie à des réalités très différentes. Ce qui est certain, c’est que la crise ouvre aujourd’hui un débat sur une intégration économique, fiscale, sociale accrue. Il faut que ce débat soit mené à la fois de manière démocratique mais aussi dans une perspective de gouvernance mondiale. Si les Européens inventent un modèle fédéral adapté à leur histoire et leur culture, ils deviendront à nouveau le laboratoire concret d’une gouvernance mondiale et redeviendront une source d’inspiration pour le reste du monde. C’est un enjeu de civilisation. Il s’agit de prouver que l’on peut penser simultanément intérêt national, intérêt européen et intérêt global.

Aurait-on pu éviter cette crise avec une Europe fédérale ?

Des mécanismes fédéraux n’auraient sans doute pas éviter la crise financière que nous vivons. C’est une crise plus profonde qui traduit des perspectives de croissance moindre de l’Europe en raison à la fois d’un vieillissement mal préparé de la population européenne et d’un défaut relatif d’innovation ( par rapport notamment aux grands émergents qui ont des perspectives de croissance forte dans la durée, ce qui est normal dans la mesure où ils sont dans une phase de rattrapage accélérée).

En revanche, une vraie solidarité européenne et des mécanismes de décision plus rapides et crédibles auraient évité un risque de propagation de la crise grecque. Quand la Californie fait faillite, l’ensemble des Etats fédérés n’est pas menacé par une crise systémique et les spéculateurs ne s’attaquent pas au dollar. Nous payons le coût de l’absence de mécanismes de solidarité forts, simples et crédibles. Nous payons aussi le coût d’une absence de régulation financière et bancaire véritablement européenne et cohérente alors que nous ne manquons pas de régulateurs !

On parle de plus en plus de l’organisation d’une Conférence inter-gouvernementale (CIG) à court terme. Celle-ci peut-elle aboutir à une Europe fédérale ?

La CIG - qui pourrait être décidée lors du prochain Conseil européen -, peut très bien déboucher sur un noyau dur quasi-fédéral, en tout cas la création d’un gouvernement économique pour la zone euro avec un vrai patron, une coordination économique et une capacité de sanction. Mais cela ne pourra fonctionner sur la durée que si d’une part on invente de nouvelles modalités de contrôle démocratique et que la dimension sociale est prise en compte.

Je suis personnellement convaincu qu’il faut un gouvernement socio-économique avec une ambition claire : promouvoir des emplois de qualité et une croissance forte bien répartie sur l’ensemble de la zone euro. Il ne devra pas se contenter de prévenir ou gérer les crises et coordonner des politiques économiques conjoncturelles. Il devra donc avoir une stratégie offensive de production, d’innovation et donc d’investissement pour la zone euro.

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