Ces méthodes d’embrigadement typiquement sectaires que révèle le témoignage choc d’une adolescente recrutée par les djihadistes<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mode de recrutement des djihadistes a des similitudes avec celui des sectes.
Le mode de recrutement des djihadistes a des similitudes avec celui des sectes.
©Reuters

Moi, Léa, 15 ans, djihadiste

Le Nouvel Observateur à paraître ce jeudi 2 octobre, relate le récit de Léa, 15 ans, arrêtée alors que des djihadistes la poussaient à commettre une tuerie en France. De nouveaux modes de recrutement qui ne sont pas sans rappeler ceux employés par les sectes : du conditionnement, avec pour canal privilégié, l'Internet.

Rodolphe Bosselut

Rodolphe Bosselut

Rodolphe Bosselut est avocat à la cour. Il intervient régulièrement dans les médias.

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Rodolphe Bosselut est avocat au barreau de Paris. Il assure plus particulièrement la défense pénale de victimes de sectes et intervient dans de nombreux dossiers de dérives sectaires. A travers le récit de Léa, il analyse pour nous les différentes phases des nouveaux modes de recrutement menés par les réseaux djihadistes sur le web.

" Un jour où je ne me sentais pas très bien, j'ai laissé sur ma page Facebook un message disant que j'aimerais pouvoir me faire pardonner toutes mes bêtises. Là, des gens m'ont ajoutée dans leurs amis et puis ils sont venus me parler. Ils sont arrivés tout seuls, très vite. Comme j'avais écrit que je souhaitais devenir infirmière, ils m'ont dit que je pouvais venir aider en Syrie, pour faire de l'humanitaire, et qu'il n'y avait rien de mieux au monde que de se faire pardonner au Sham [le Levant, où se trouve la Syrie, NDLR] "

Léa, 15 ans.

Rodolphe Bosselut : Les similitudes sont flagrantes avec les modes de recrutement des sectes. Un processus de conditionnement est mis en œuvre, et il est évident à la lecture du récit de la jeune femme que cette dernière est fragilisée, qu'elle souhaite se faire pardonner. Cette fragilité est immédiatement repérée et utilisée par la voie du net. Les recruteurs s'approchent d'elle en la rassurant sur son caractère formidable, qu'elle n'a pas à culpabiliser autant, qu'elle a un rôle formidable à tenir.

Le profil des victimes est toujours celui de personnes fragilisées sur le plan affectif, qui ont besoin d'être utiles aux autres. Le contact se noue sur ce constat là.

Il ne faut pas s'imaginer forcément des profils types d'un point de vue de l'appartenance sociale, des capacités intellectuelles...etc. mais les victimes sont toujours des personnes en fragilité émotionnelle, point de départ nécessaire pour mettre en place le dispositif de conditionnement.

Vient ensuite la phase de séduction. La personne est valorisée, magnifiée et voit ainsi disparaître toutes ses incertitudes initiales. Les recruteurs lui disent qu'elle est un être voué à un grand destin, avec une grande potentialité, ici dans l'humanitaire en Syrie. C'est très insidieux. Il est question d'éveiller en la personne une conscience orientée. La personne devient le sauveur, l'élu.

" Ils m'ont envoyé des vidéos sur les enfants gazés par Bachar [al-Assad, NDLR], sur les mensonges des politiques,
sur l'islamophobie... […] Ils disaient que je ne devais pas obéir à mes parents, parce qu'eux n'obéissaient pas à Allah et qu'il ne fallait obéir qu'aux lois d'Allah sinon on était un mécréant, un ignorant, un infidèle... […] "

Léa, 15 ans.

Rodolphe Bosselut : Lorsqu'un jeune adolescent se voit promettre une utilité sociale élevée (sauver des enfants en l'occurrence), les parents ne sont plus forcément en mesure de lutter. D'autant que le quotidien avec leur enfant est fait de rapports de force, sur la question des devoirs, de l'école, etc.

De façon insidieuse et méthodique s'opère une coupure avec ses proches, ses parents, ses amis. Elle est d'autant plus insidieuse dans ce cas (moins brutale que dans les sectes), car les recruteurs du net lui demandent de maintenir une apparence de normalité. Le conditionnement peut donc se poursuivre sans que les parents puissent noter des changements notables qui sont les signes d'alarme. En apparence la victime reste normale, alors qu'elle est en réalité ailleurs.

Tous ces processus de manipulation sont progressifs - même s'ils semblent rapides -, et problème, s'adressent toujours à la dimension affective du cerveau. Quand la victime est suffisamment préparée dans la phase de séduction, de renarcissisation, la possibilité de libre arbitre et de critique est anihilée. C'est là que le processus est remarquablement efficace. La victime n'est plus sur un terrain rationnel.

" Petit à petit, je me suis mise à ne plus parler à personne, ni à l'école ni à la maison, je restais dans ma chambre, volets fermés. Et je me connectais. Ils sont venus encore plus nombreux quand j'ai pris un "blase" [pseudo, NDLR] musulman, ils étaient au moins cinquante, d'abord des hommes, après des femmes, de France, de Belgique, de Syrie... […] "

Léa, 15 ans.

Rodolphe Bosselut : La victime est désormais ultra réceptive. Vient alors le temps des discours répétés à l'infini, ad nauseam. Et ces derniers lavent le cerveau de la victime. Les anciennes références, codes et habitudes disparaissent. La coupure de la victime avec son environnement est désormais pleine et entière. Le lavage de cerveau va suivre son cours tranquillement, car la victime a accepté l'idée selon laquelle elle devait se couper de son environnement, et notamment ne rien dire à ses parents.

La reconstruction de la personnalité avec les nouveaux principes et concepts peut opérer. Dans un phénomène de conditionnement, les recruteurs doivent submerger la victime pour lui laisser le moins de temps possible pour réfléchir par lui-même. Il faut saturer l'espace de réflexion par des discussions à n'en plus finir (comme avec les gourous dans les sectes jusqu'à 3H du matin par exemple). Ici, l'espace cérébral de la victime est totalement envahi par des vidéos, de nouveaux amis qui tiennent le même discours, d'hyperliens, de connexions qui ramènent aux mêmes contenus.

Par cette multiplication des contacts et des informations données, la victime ne peut développer une autre vision.

Le cerveau de la victime n'est plus alimenté par autre chose que la même nourriture, un mouvement compulsif, permanent, d'informations qui vont dans le même sens. La reconstruction est achevée, même si elle n'est pas permanente.

"C'est très facile de trouver des passeurs. On les appelle ou on leur donne un numéro de téléphone sur internet.
Ils m'ont expliqué qu'il fallait d'abord que j'aille en Turquie, que je me marie là-bas, puis que je tombe enceinte pour qu'on puisse m'emmener en Syrie avec l'enfant "

Léa, 15 ans.

Rodolphe Bosselut : Une fois la personne conditionnée avec de nouveaux principes et critères, il lui est désormais évident face à la situation qu'on lui présente de la Syrie - et eut égard à l'injustice de celles et ceux qui souffrent - que la seule mission humanitaire ne suffira pas. Il faudra aller plus loin et par exemple punir les ennemis.

Même si le projet de départ en Syrie avorte du fait que les parents de Léa découvrent le contenu de son ordinateur, et qu'un juge des enfants la place sous mesure éducative, assortie d'une interdiction de quitter le territoire, rien ne change en réalité pour la victime. L'emprise se poursuit et la jeune fille est toujours prisonnière de son conditionnement. Il n'y a pas de retour à la réalité. C'est là toute la puissance de la manipulation mentale.

"Dis-leur que tout va bien, que tu as arrêté tout ça, que tu ne veux plus partir et que c'étaient des bêtises. Ils finiront par te lâcher et tu seras tranquille."

"Un jour on m'a dit : 'C'est mort, avec ce que tu as sur le dos, tu ne pourras jamais venir, alors maintenant il faut passer à l'acte en France." Ils ont commencé à me montrer des vidéos des enfants morts en Palestine, à me parler de la nécessité d'agir contre les juifs. Quand on est fiché à la frontière, ils nous mettent la pression pour qu'on fasse des attentats kamikazes ou "à la Merah" [du nom de Mohamed Merah, le tueur de Toulouse, NDLR].  C'est une femme qui m'en a parlé la première. J'avais trouvé le lieu, le moyen de me procurer des armes. "

Léa, 15 ans.

Rodolphe Bosselut : Dans les sectes, la coupure avec la famille est physique. Mais là, c'est plus pernicieux. Ici, rejoindre la secte, c'est partir en Syrie... Même si elle ne part pas, le conditionnement ne disparaît pas pour autant. Les parents sont diabolisés, ce sont des mécréants. Les recruteurs sont les seuls amis sincères, ceux qui la comprennent et la soutiennent. Quelque soit le discours des parents, ce dernier ne pourra pas atteindre la victime. Au sein du groupe, c'est la sécurité, à l'extérieur, l'insécurité. La victime continue à préserver les apparences. Et les recruteurs vont poursuivre leur action, en créant dans l'esprit de la victime un bastion inexpugnable.

Le déclic ne viendra pas des parents. Plus la victime est pointée du doigt, plus elle est confortée dans son choix.

Comme dans une secte, les fidèles préparent la victime aux remises en causes extérieures par des gens présentés comme mauvais et dangereux.

Ce n'est qu'à un moment donné où la victime peut être aidée que le déclic s'opère. Et là le processus semble plus rapide. Contrairement à une personne qui a passé 10 à 15 ans dans une secte et qui s'accroche à l'idée selon laquelle il ne peut avoir perdu autant d'années de sa vie.

Certaines sectes ont pignon sur rues et s'adonnent à un prosélytisme habituel. Dans le présent cas, la spécificité repose sur l'utilisation combiné du net et du harcèlement pour la création d'un nouveau monde intérieur. La victime est coupée da sa famille sans que cette dernière s'en aperçoive, parce qu'elle est immergée dans la toile. Le nouveau monde de la victime est virtuel mais réel.

L'utilisation du net permet également de violer l'espace intime, familial, pour recréer un groupe à l'intérieur de la famille, au sein même de la chambre de l'adolescent victime. Un cheval de Troie au domicile !!

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