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Le vrai mensonge 
du nuage de Tchernobyl
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Legendary

La cour d'appel de Paris a prononcé ce mercredi un non-lieu qui clôt l'enquête sur l'impact du nuage de Tchernobyl en France. Ministre de l'Industrie lors de la catastrophe, Alain Madelin revient pour Atlantico sur une "légende" tenace : "jamais aucune autorité n’a prétendu que la France était épargnée par le nuage de Tchernobyl", précise-t-il.

Alain Madelin

Alain Madelin

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Il est l'auteur de Faut-il supprimer la carte scolaire ? (avec Gérard Aschieri, Magnard, 2009).

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Tout le monde le sait, ou croit le savoir, les autorités françaises ont tenté de faire croire en 1986 que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières. Ainsi « le nuage de Tchernobyl » est devenu dans le langage courant synonyme de dissimulation et de mensonge du pouvoir : « on nous cache tout » ou « on ne nous dit rien ». Pourtant  « le nuage de Tchernobyl qui s’arrête à la frontière » n’est qu’une légende. Rien n’est plus faux. Jamais aucune autorité n’a prétendu que la France était épargnée par le nuage de Tchernobyl.

Si mensonge il y a, ce n’est pas le mensonge de l’État, mais celui des média constamment répété. La genèse de cette mystification politico-médiatique est édifiante. Il suffit de consulter la presse de l’époque pour s’en apercevoir.

Rappel des faits :

  • L’accident est survenu le samedi 26 avril à 1h23 du matin. Démenti d’abord par les autorités soviétiques il a été reconnu par un simple communiqué de l’agence TASS le lundi 28 avril à 13h, après que le lundi 28 avril vers 7h du matin une augmentation de la radioactivité a été constatée par les capteurs de la centrale nucléaire suédoise de Forsmask.
  • Dès le lendemain, le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI) a annoncé l’arrivée de nuage en expliquant « on pourra certainement détecter dans quelques jours le passage des particules, mais du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque ».
  • Le 30 avril lorsque le nuage arrive aux frontières de la France, le SCPRI adresse un communiqué aux agences de presse.
  • Le 2 mai 1986, le quotidien Libération (compte tenu des délais de publication et le journal ne paraissant pas le 1er mai) écrit : « Pierre Pellerin, le directeur du service central de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI) a annoncé hier que l’augmentation de radioactivité était enregistrée sur l’ensemble du territoire, sans aucun danger pour la santé. »

Le même quotidien titrait ce même jour sur « la longue dérive européenne d’une nuée radioactive », en sous-titrant « les météorologues suivent la route du nuage de Tchernobyl sans pouvoir vraiment la prédire ». Il ajoutait « la France doit une fière chandelle à l’anticyclone des Açores qui en ramenant le beau temps qu’on n’espérait plus, a empêché aussi in extremis le vilain nuage d’envahir le territoire et éventuellement de nous pleuvoir dessus ».

  • Le quotidien Le Monde daté du dimanche 4 – lundi 5 mai 1986 explique « L’élévation relative de la radioactivité relevé sur le territoire français à la suite de l’accident est très largement inférieure aux limites recommandées par la commission internationale de protection contre les radiations. Il faudrait imaginer des élévations de 10 000 à 100 000 fois plus importantes pour que commencent à se poser les problèmes significatifs d’hygiène publique en France ». « Le professeur Pierre Pellerin a estimé qu’aucune mesure sanitaire n’était nécessaire, pas même la prise préventive d’iode ».
  • Le quotidien France-Soir titrera lui en première page « nuage radioactif sur la France mais sans danger ».
  • Le Figaro pour sa part – notait « la France touchée à son tour » et précisait : « des particules radioactives ont été détectées dans le sud-est de l’Hexagone. Mais en quantité trop faible pour présenter le moindre danger ».
  • Le samedi 10 mai, invité du journal télévisé de 13 heures sur TF1, le professeur Pellerin, Directeur du SCPRI présentait les cartes de la radioactivité en France du 30 avril au 5 mai montrant le déplacement du nuage de Tchernobyl, provoquant ainsi une dramatisation involontaire de la question des retombées.
  • Le lundi 12 mai 1986, Libération titrera à sa « une » : « le mensonge radioactif », expliquant « les pouvoirs publics en France ont menti, le nuage radioactif de Tchernobyl a bien survolé une partie de l’Hexagone : le professeur Pellerin en a fait l’aveu deux semaines après l’accident nucléaire ».

Pourtant 21 communiqués avaient été publiés par le SCPRI et la France avait été aussi la première à diffuser des cartes de la radioactivité en Europe.

Des politiques de protection différentes de part et d’autre du Rhin

L’idée du « nuage qui s’arrête à la frontière » est en fait largement liée à la différence de traitement des retombées radioactives de part et d’autre du Rhin par les autorités publiques.

Le seuil d’alerte était fixé par l’Organisation Mondiale de la Santé à 2000 Bq par litre (ce seuil ne constitue pas d’ailleurs un seuil de danger mais un seuil de précautions à prendre).

L’Organisation Mondiale de la Santé a édité le mardi 6 mai une recommandation qui précisait « qu’il n’était pas raisonnable de prendre des mesures » en dessous de ce seuil de 2000 Bq par litre.

L’Allemagne cependant sonnait l’alarme et sous la pression des écologistes, des mesures étaient prises dans les landër dirigés par les sociaux-démocrates à partir de seuils d’alertes considérablement inférieurs.

L’opinion retiendra le contraste entre les propos alarmistes des allemands et ceux rassurants des autorités françaises. Entre des mesures de prévention prises en Allemagne quand de l’autre côté du Rhin, les autorités françaises restaient inactives, comme si « le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière ».

En fait, la France avait assurément raison de ne pas surenchérir sur les normes internationales de radioprotection et de céder à l’affolement.

Car comme l’a noté alors la presse française « cette affaire n’a pas manqué d’avoir des conséquences sur les femmes enceintes : des Allemands de l’Ouest se sont fait avorter par peur des effets de la radioactivité sur leurs futurs enfants » (Libération).

Dans Le Monde du jeudi  22 mai, Alfred Grosser note « il n’y a pas lieu de suivre l’exemple de nos voisins allemands. En République Fédérale, la crainte a tourné à la hantise, et la hantise à l’affolement… On fait vider les tas de sables des jardins publics par crainte d’une contamination si improbable que, à risque égal, il faudra de toute urgence interdire toute cigarette et toutes boissons alcoolisées ».

Un seul dépassement a été constaté en France sur les épinards alsaciens (2500 Bq) et l’administration compétente, à savoir la Direction de la Concurrence de la Consommation du Ministère de l’Economie a aussitôt fait retirer ces épinards de la vente. Encore faut-il savoir que ce seuil de 2000 Bq par kilo est un seuil d’alerte largement théorique. Pour atteindre la dose de 5 rams qui signifie non un danger (il s'agit de la dose reçue par quelqu’un qui vit à 3000m d’altitude) mais un besoin de consultation médicale, il eut fallu qu’une personne mange deux tonnes d’épinard non lavés (lavés, il n’y aurait aucun problème) en quelques jours.

Le célèbre professeur Tubiana (cancérologue et spécialiste de la radioprotection) était apparu à la télévision et, montrant une cigarette, avait expliqué que les conséquences de l’accident en France étaient moins dangereuse que « ça ».

Le flottement de la communication gouvernementale

A l’occasion de la crise de Tchernobyl, il est apparu clairement qu’il n’y avait pas de structures gouvernementales apte à assurer une communication de crise.

La coordination interministérielle de la sûreté nucléaire, associant les principaux ministères intéressés (Santé, Intérieur, Défense, Industrie) était assurée par un secrétariat général du comité interministériel de la sécurité nucléaire installé à Matignon et ne disposait guère de moyens appropriés à l’information du public dans cette situation. Le conseil de l’information nucléaire, structure d’information tournée vers le grand public créé en 1979 par le président Giscard d’Estaing avait été dissous en 1980. L’information sur les risques sanitaires des retombées radioactives relevait du service spécialisé du ministère de la santé le service central de protection contre les rayonnements ionisants disposant de 150 stations sur le territoire chargé de mesurer la radioactivité de l’air, de la pluie, du sol etc., ainsi que les services du ministère de l’agriculture et du ministère chargé de la consommation. Au surplus, les unités de mesure utilisées par les spécialistes de la radioprotection (le becquerel, le curie, le gray, le rad, le rem, le sievert…) sont particulièrement hermétiques à la communication.

Il a fallu attendre le 11 mai et la décision du Premier ministre Jacques Chirac de confier au ministre de l’Industrie la coordination de l’information du public pour mettre fin à ce flottement. Une cellule d’information interministérielle sur les risques nucléaires a été aussitôt mise en place et elle a pleinement joué le jeu de la transparence des données publiques (avec une cellule d’information téléphonique et un site minitel).

Un rapport parlementaire bi partisan a dit la vérité

Les conséquences de l’accident de Tchernobyl ont fait l’objet en décembre 1987 d’un rapport circonstancié au Parlement de M. Philippe Bassinet député PS des Hauts-de-Seine et de M. Jean Marie Rausch sénateur maire de Metz ultérieurement ministre du gouvernement Rocard au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et technologique.

Le rapport a établi que « les retombées ont été extrêmement faibles sur le territoire français, tant en regard de la radioactivité naturelle que des normes de doses admissibles elles-mêmes fixées avec une grande marge de sécurité ». Le rapport souligne « qu’il est faux de soutenir que les organisations officielles, et notamment le SCPRI ont dissimulé la vérité et prétendu que le nuage radioactif avait épargné la France ». Il ajoute « la France a été l’un des pays d’Europe les moins touchés par les retombées, cette situation s’explique par l’évolution météorologique ».

Le 9 mai 1990 Roger Fauroux alors ministre de l’Industrie et de l’Aménagement du Territoire dans le gouvernement socialiste, déclarait à l’Assemblée Nationale : « je dois préciser, parce qu’il y a, me semble-t-il, une légende noire qu’il importe d’exorciser, qu’au cours du fameux week-end du 1er mai 1986, le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants a donné, heure par heure, aux populations des informations concernant le passage du nuage radioactif. J’ai là une chronologie, que je tiens à la disposition des membres de cette assemblée, qui indique que rien n’a été dissimulé ».

La thèse du mensonge d’État ne repose donc sur aucun fait. Elle est totalement fantasmagorique. D’ailleurs on ne voit pas quelles auraient été les intérêts d’un tel mensonge. Protéger la réputation du nucléaire soviétique ? Céder au lobby des épinards alsaciens ou du fromage corse ?

En revanche, il est loisible de dire que les normes de santé publique reconnues au niveau international étaient trop laxistes ou que le réseau de relevés sur la radioactivité manquait de densité, que la cartographie publiée sur des moyennes de relevés était imparfaite. Mais tel n’est pas l’objet de la polémique et on ne sache – si tel était le cas – que des modifications significatives aient été prises depuis.

Les plaintes engagées en mars 2001 par l’Association des malades de la thyroïde, la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité pour « défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de Tchernobyl » n’ont pas abouti. Et s’il y a eu augmentation des cancers de la thyroïde en France, cette augmentation est observée aussi dans des pays totalement épargnés par le nuage de Tchernobyl et elle est continue depuis 1975.

Les spécialistes s’accordent pour considérer que les retombées de l’accident de Tchernobyl n’ont causé aucun cancer supplémentaire de la thyroïde en France. Bref, comme cela fut dit à l’époque, le nuage de Tchernobyl a bien touché la France. Mais à aucun moment les populations n’ont été en danger. Ma conclusion : quand le commerce de la peur rapporte plus dans l’opinion que l’exercice de la raison, il y a un grave problème pour la démocratie.

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