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Libye : non, le pétrole n'a pas été 
la motivation première de la France
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Pays de l'or noir

Selon Libération, les rebelles libyens ont promis à la France de récupérer l'équivalent de 35% du pétrole brut de leur pays en échange de son soutien. État des lieux d'une reconstruction qui passe aussi par des intérêts commerciaux.

Patrick Haimzadeh

Patrick Haimzadeh

Patrick Haimzadeh a travaillé comme coopérant, analyste ou négociateur dans des contextes de crise, pour le compte de la France ou des Nations Unies, en Egypte, en Irak, au Yémen et au sultanat d’Oman.Il a été également membre de la Commission du désarmement de l'Irak de 1996 à 1999. 

Il a été diplomate, de 2001 à 2004, en Libye.

Il est l'auteur de "Au cœur de la Libye de Kadhafi" (JC Lattès, 2011). 

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Atlantico : La reconstruction de la Libye s’est-elle jouée ce jeudi à Paris au conseil des « amis de la Libye » ?

Patrick Haimzadeh : Avant de penser à la reconstruction, il faut quand même régler le problème du retour à la sécurité. Pour le moment, le premier enjeu reste le rétablissement de la paix. Avant d’envisager le retour d’entreprises étrangères, il faut d’abord sécuriser le pays, notamment la région de Syrte où se trouvent les puits de pétrole. Il y a encore des combats et la stabilité politique est loin d’être acquise. Le pari n’est pas encore totalement gagné. En 2003, George W. Bush avait crié victoire sur le pont de son porte-avions, trois mois après éclatait la grande bataille de Falloujah et le conflit irakien tournait en guerre civile.

Il est normal que les États essayent tous de se positionner. Si la France a accueilli jeudi la conférence des « amis de la Libye », c’est bien sûr pour être les premiers à prendre date et pouvoir se positionner sur le plan économique. Il n’y a pas d’amitié sur le plan international, il y a que des intérêts.


Quels sont les enjeux importants de la reconstruction libyenne ?

Tout est à reconstruire dans le pays. L’industrie pétrolière doit être remise en état de marche, elle est arrêté depuis maintenant plus de six mois, cela va prendre du temps. Il y a ensuite les infrastructures aéroportuaires où il y a beaucoup de travail dans le domaine. Les aéroports de Tripoli et de Misrata, ont été lourdement touchés.

Le secteur de la santé va être également un grand projet pour la Libye future. Même si le système de santé libyen fonctionnait relativement bien, il ne donnait pas satisfaction à beaucoup de Libyens qui choisissaient plutôt la Tunisie ou l’Europe, pour ceux qui avaient les moyens, de se faire soigner. Le secteur du bâtiment sera bien-sûr au centre du projet de reconstruction, beaucoup de bâtiments ont été détruits, ou au moins endommagés. Il y avait un certain laisser-aller dans certaines villes de Libye, notamment en matière de construction de logement. Cela va être un gros enjeu puisque c’est aussi un des phénomènes qui a accentué le mécontentement de la population. Inévitablement, le business de la sécurité et de la défense entrera aussi dans l’équation. On peut faire confiance aux grandes entreprises internationales d’armement pour proposer leur matériel à la future armée libyenne en reconstruction.

Les nouveaux dirigeants libyens, sous la pression de l’Union européenne, devront également essayer de contrôler les flux de population venant d’Afrique subsaharienne. Mais ce n’est pas évident à mettre en place, il faudra aussi instaurer des aides au développement pour les pays du sud (Mali, Niger). Il est préférable de favoriser les développements de ces régions plutôt que de bloquer par des murs ou des systèmes militaires les malheureux qui cherchent à atteindre la Libye pour améliorer leurs conditions de vie.

Au-delà de l'ambition d'instaurer la démocratie en Libye, sommes-nous intervenus en Libye pour le pétrole ?

Je ne pense pas que la France soit uniquement intervenue pour le pétrole. Le pétrole, on l’avait déjà sous Kadahfi. Total était déjà très bien placé. Bien sûr le gouvernement avait cette idée-là à l’esprit, mais ce n’était pas l’enjeu principal.

Selon moi, l’enjeu principal était de faire oublier la politique catastrophique que l’on a eu à l’égard des révoltes en Tunisie et en Égypte. En Tunisie, l’affaire Alliot-Marie avait totalement brouillée le message. En Égypte, on a été guère plus audible, les Américains ont tout dirigé en sous-main. Tout cela n’était quand même pas très bon pour l’image de la France « amie des peuples ». En Libye, la fameuse visite de Bernard Henri-Lévy et son accueil à Élysée ont donné l’occasion inespérée au gouvernement français de présenter la France comme « amie des peuples » et de redorer notre position dans le monde méditerranéen et arabe.

Mais la reconstruction libyenne peut-elle constituer un "jackpot" pour la France ?

En France, tout le monde fait déjà « cocorico ». Certes, on est parti les premiers dans cette guerre. Le Président Sarkozy a été depuis le début le moteur de cette intervention et on peut imaginer que, si les gens qui ont été favorisés par Nicolas Sarkozy restent en place, ils soient reconnaissants envers la France.

Toutefois, l'histoire nous enseigne qu'il existe des retournements de situation. Les « affaires » vont reprendre leur droit. Malgré les contrats politiques qui peuvent être actés, la Libye ne pourra pas se passer de relations commerciales avec la Russie ou la Chine même s’ils n’ont pas participé aux opérations. D’autant plus que le CNT a déclaré qu’ils honoreraient les contrats qui ont été passés sous l’ère Kadhafi.

Un schéma capitaliste traditionnel va naturellement se remettre en place, des appels d’offre vont être lancés. Kadhafi avait brisé les règles, on peut imaginer que les futurs dirigeants libyens, qui pour beaucoup ont été formés en Amérique ou en Grande-Bretagne, laisseront plus de place à un libéralisme économique dans le futur.

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