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François Hollande et l'OTAN : la fin de l’exception française ?
©REUTERS/Leon Neal/Pool

Bonnes feuilles

En mutation permanente, le domaine d'action de l'Alliance Atlantique va bien au-delà de la relation entretenue avec la France. Les enjeux liés à l'OTAN sont bien plus intéressants que ce prisme réducteur, et il est temps de comprendre enfin comment s'est transformé ce qui était un héritage de la guerre froide. Extrait de "L'Otan au XXIe siècle", de Olivier Kempf, publiés aux Editions du Rocher (2/2).

Olivier Kempf

Olivier Kempf

Olivier Kempf est chercheur associé à l'IRIS et directeur de la lettre stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com). Il a publié "L'OTAN au XXIe siècle" (Le Rocher, 2014, 2ème édition).

 

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L’Otan avait été le seul sujet de défense du programme du candidat Hollande, puisqu’il annonçait le retrait des troupes d’Afghanistan. La différence avec le président Sarkozy ne portait que sur la date : fin 2012 pour le challenger, fin 2013 pour le président sortant. Les urnes ayant tranché, la décision fut prise et annoncée lors du sommet de Chicago. Finalement, cela ne représentait pas une grande signification. Au fond, chacun s’interrogeait : y aurait-il une « surprise Hollande » comme il y avait eu une surprise Sarkozy ? ce retrait opérationnel cachait-il un retrait plus marqué, qui aurait finalement été la suite logique d’une position traditionnelle des socialistes, défendue par MM. Jospin, Fabius, Védrine, Quilès, entre autres ?

À l’été, le président organisa une commission du Livre Blanc, appelée à réviser celui de 2008. Toutefois, une mission est donnée simultanément à M. Védrine, à charge pour lui d’évaluer les suites de la décision de réintégration. Tout semblait alors possible.

Le rapport de M. Védrine commence donc par un rappel historique, avant d’évoquer l’évaluation des conséquences du retour. Mitigé mais pas nul, aussi bien en ce qui concerne l’influence, la réforme de l’Otan, la stratégie ou les opérations. Concernant la stratégie, H. Védrine constate que le primat nucléaire est maintenu, mais que la DAMB a été avalisée,et il rappelle toutes les questions et difficultés soulevées par celle-ci. En conclusion de cette partie d’évaluation, H. Védrine constate logiquement qu’une « (re)sortie du commandement militaire intégré n’est pas une solution », puisqu’« une situation nouvelle a été créée ». Ainsi, il n’y a aura pas de changement.

Le LB, publié en 2013, ne dit pas autre chose, et affirme que « la France est attachée à conforter la solidité de l’alliance militaire » en insistant sur « le cadre politique de l’Alliance ». On réaffirme que « L’OTAN et l’Union Européenne ne sont pas en concurrence » et qu’ « une coopération étroite et pragmatique entre ces deux organisations est un objectif important pour la France ». Mais le paragraphe sur l’OTAN est écrit avant celui sur l’Union Européenne : signe inconscient du pragmatisme français. Il reste qu’il y a là l’expression d’un nouveau consensus de défense.

44.3 la fin de l’exception française ?

L’Alliance Atlantique a été longtemps le dernier bastion de « l’exception française ». Cette « attitude au monde » permettait une grande visibilité de la diplomatie française. Nombreux ont été les travaux qui ont cependant expliqué que la position gaullienne vivait au-dessus de ses moyens et reposait sur la force du discours et la magie du verbe. En clair, la France se payait de mots. Certes, elle disposait de l’arme nucléaire et avait un siège permanent au conseil de sécurité des Nations-Unies. Mais elle n’était pas la seule. D’autres ont au contraire loué cette indépendance et ce souci de souveraineté, admiré par les Russes, les Chinois ou d’autres grandes nations et qui donnait à la France une image différente de celle de ses voisins.

Y a-t-il encore une exception française ? Avec la réintégration, qu’en reste-t-il ?

Ce ne sont pas la non-participation au Groupe des plans nucléaires ou au Groupes maritimes permanents qui constituent vraiment des surprises. À bien des égards, la France est rentrée dans le rang.

Toutefois, à discuter avec les officiers qui servent à l’Otan, et notamment ceux qui ont à défendre les positions françaises, la France demeure un acteur à part. Ceci est dû principalement à une ambition, celle de couvrir tous les dossiers. Finalement, la majorité des pays laissent la structure (nom poli pour désigner la bureaucratie alliée) faire son travail, et n’engagent pas leurs forces à lire ces documents avec un esprit critique. La France continue de le faire, quitte à s’opposer aux autres. Quitte aussi à ce que « les autres » laissent la France élever une voix discordante mais qui les arrange. Il y a l un certain jeu de rôle, mais il ne saurait être réduit à cela : il y a aussi une volonté française, une ambition de puissance et de lecture autonome de l’environnement stratégique.

Car voici probablement une des exceptions françaises. On a souvent opposé les Français aux Américains. Force est de reconnaître qu’en Europe, les Français sont désormais les plus proches des Américains : non pas sur tous les points de vue politiques, bien au contraire ; mais Paris et Washington partagent une même appréhension de la puissance, une même conviction que celle-ci repose aussi (d’abord) sur du « hard power », quand l’immense majorité des Européens a abandonné toute ambition stratégique, et oublié ce que veut dire le mot « puissance ».

De ce point de vue, la France est plus proche des Anglo-saxons que du reste des Européens : sa promotion de « l’Europe de la défense199 » témoigne d’une certaine schizophrénie. Voici en fait la vraie exception française : celle de croire encore (un peu) à l’utilité des armes quand tous ses voisins en ont abandonné l’idée.

Conclusion

La France ne regarde plus le monde de façon très différente de ses voisins (hormis peut-être son rapport à la puissance). Il a profondément changé depuis 1966, et une sorte d’antiaméricanisme ne suffit pas à fonder une politique étrangère en Europe. Ce constat pragmatique explique en grande partie la décision française du printemps 2009. En rejoignant la structure intégrée, elle faisait plusieurs paris :

– celui de gagner une influence à la hauteur de ses contributions. Toutefois, la question des postes d’influence qui constituerait l’objectif premier doit également être relativisée. Au temps de l’intégration, la France avait ces postes et se plaignait déjà de ne pas influencer suffisamment les Américains, ce que remarque H. Védrine200. Remarquons enfin que c’est surtout la personnalité qui fait le poste. Mais en contrepoint, l’obtention des commandements d’ACT et de Lisbonne n’est pas négligeable, à condition que la France conserve son autonomie de pensée ;

– celui de relancer l’Europe de la défense. Là encore, un journaliste spécialisé des questions de défense a pu publier, au printemps 2009, un livre201 qui postule que, derrière les incantations de succès, l’Europe de la défense donne peu satisfaction. Les difficultés politiques européennes (échec de la Constitution, ratification lente du traité de Lisbonne, retards importants de l’Airbus A 400M, faible participation aux élections européennes du printemps 2009, réactions dispersées à la crise économique) n’incitent pas à l’optimisme européen, tout particulièrement dans le domaine de la défense. Quatre ans plus tard, la Revue Défense Nationale publie un dossier spécial sur l’Europe de la défense qui expose un pessimisme généralisé202. Mais en contrepoint, cette langueur européenne, si elle se révélait exacte (ce qui reste à démontrer), peut justifier précisément le retour dans l’OTAN ;

– celui de bénéficier de l’importance de l’Alliance comme véhicule de la relation transatlantique. Or, le calendrier ne se prête pas forcément à beaucoup d’ambitions : après le désintérêt bushien, le président Obama, malgré toutes les politesses envers les Européens en général et l’Alliance en particulier, semble intéressé par d’autres objectifs, et tout d’abord l’Asie.

L’Alliance, considérée comme le meilleur vecteur des relations politiques transatlantiques, se heurterait à un double processus : celui de l’affaiblissement relatif de la puissance américaine, celui de son intérêt prioritaire pour d’autres régions du monde (Chine, Asie centrale), ce qui entraînerait mécaniquement une indifférence envers l’Alliance, et par voie de conséquence une moindre utilité de celle-ci. Mais en contrepoint, l’Alliance même affaiblie demeure un outil essentiel, et il n’est pas absurde de vouloir y prendre une place plus importante.

En fait, tout se passe comme si la France réinvestissait l’Alliance à mesure que l’Amérique s’en déprenait. La seule audace tiendrait à la volonté d’accélérer des processus inévitables. D’une certaine façon, le retour de Paris ne marquerait pas la faiblesse de la France, mais celle de l’Alliance203.

Cette faiblesse est-elle due à l’émergence européenne ? C’est ce qu’il faut examiner à présent.

Extrait de "L'Otan au XXIe siècle", de Olivier Kempf, publiés aux Editions du Rocher, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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