Des cartes grises… comme s’il en pleuvait ! Toutes délivrées frauduleusement<!-- --> | Atlantico.fr
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C’est un gigantesque trafic de cartes grises qui est jugé ce lundi 1er septembre par le tribunal correctionnel de Nanterre.
C’est un gigantesque trafic de cartes grises qui est jugé ce lundi 1er septembre par le tribunal correctionnel de Nanterre.
©Reuters

Une administration pas toujours lente

C’est un gigantesque trafic de cartes grises qui est jugé ce lundi 1er septembre par le tribunal correctionnel de Nanterre. Sur la sellette, une dizaine de sous-préfectures dont celle de Boulogne-Billancourt. Et dont le cerveau est un revendeur de berlines qui travaillait en famille.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Un énorme  trafic de cartes grises est jugé devant le Tribunal correctionnel de Nanterre
  • Une dizaine de sous –préfectures –dont celle de Boulogne-Billancourt sont impliquées
  • Le cerveau : un revendeur parisien qui aurait fait établir 533 cartes grises pour des Berlines étrangères de luxe

C’est une affaire  hors norme qui est examinée -pendant dix jours- à partir de ce lundi 1er septembre, en début d’après midi, par la 15 ème chambre du tribunal correctionnelle de Nanterre présidée par Isabelle Prevost-Deprez : un gigantesque trafic de cartes grises où apparaissent plusieurs sous –préfectures de la région parisienne : celles de Boulogne-Billancourt, de L’ Haÿ-les-Roses, de Sarcelles, et de Chartres etc… La première étant  la plus impliquée, puisqu’au cours des années 2010 et 2011, 435  véhicules ont été immatriculés de façon illégale, grâce à la bienveillance –pour ne pas dire plus- du chef du service des cartes grises. Le cerveau de ce trafic ? David Méril, animateur de  plusieurs SARL spécialisées dans le commerce de berlines de luxe, toutes d’origine étrangère. Autant  d’entités implantées à  Paris qui avaient nom :  Sarl Auto 16, Sarl California Motosport, CM Occasions, Le Garage. Leur chiffre d’affaires ? Officiellement, un peu plus de 88 000 euros déclarés entre janvier 2010 et 2012.  Somme largement sous-évaluée : selon les enquêteurs, elle dépassait les 10 millions d’euros !    

Aux côtés de Méril, mis en examen entre autres, pour blanchiment de fraude fiscale et escroquerie, sont  également renvoyées en correctionnelle, 18 personnes, mises en examen pour certains, pour escroquerie en bande organisée et association de malfaiteurs. Pour comprendre cette entourloupe, il faut savoir que l’immatriculation en France d’une Aston Martin, Porsche,  Dodge,  Bentley, Chrysler ou d’un 4X4 Hummer, ne  peut avoir lieu qu’à condition de respecter des formalités qui n’ont rien à voir à celles exigées pour une voiture française. Elles sont longues, complexes et coûteuses. Songez que la mise aux normes françaises d’un 4X4 américain de type Hummer peut coûter jusqu’à 10 000 euros. En effet, de nombreux éléments du véhicule, que ce soit ceux ayant  trait à la sécurité (freinage, champ de rétrovision), la pollution, aux normes sonores, doivent être vérifiés par la Direction régionale et interdépartementale de l’Environnement de l’ Energie (DRIEE). Puis les propriétaires des voitures –généralement les garagistes revendeurs- reçoivent  un procès-verbal de réception. A l’issue de ce parcours, une carte grise peut être délivrée.

David Méril a trouvé une solution pour éviter tous ces tracas coûteux : produire de faux documents fabriqués grâce à un matériel informatique sophistiqué, entretenir de bonnes relations avec les services compétents, notamment celui des cartes grises d’une sous-préfecture. En deux ans, notre homme aurait permis à 533  véhicules étrangers d’obtenir le fameux sésame d’immatriculation  en un délai record, ce qui lui aurait rapporté, selon l’ordonnance de renvoi des  juges d’instruction, plusieurs centaines de milliers d’euros. Jusqu’au jour où ce petit monde, un peu trop sûr de lui, commet une boulette. Une grosse. Il se met  à usurper l’identité d’un fonctionnaire du service des mines, travaillant à la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt. Erreur fatale. On suppute alors des pratiques peu orthodoxes.

Le Parquet de Nanterre ouvre une information judiciaire. De fil en aiguille, les limiers de la PJ découvrent que Méril exerce sa lucrative activité en famille, aidé de deux garagistes du 16ème arrondissement ainsi que d’un collègue établi à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine). L’un des associés de David Méril, un dénommé Tabla Gosse, laissera même entendre que l’immatriculation, via des documents tronqués, s’obtient  grâce à la complicité d’un prénommé "Loïc, de la sous-préfecture",  qui contre 1 000 euros,  aurait l’habitude de faire valider les dossiers. Ce dernier n’était autre que Loïc Roulleau, chef du service des cartes grises à la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt avec lequel Tabla Gosse, était très souvent en communication téléphonique. C’est ainsi que  l’équipe Méril, fait immatriculer dès 2010, trois véhicules Dodge, 4 Porsche, une Aston Martin, une Jaguar, deux Ford. Toutes importées par des amis de Méril. Le 7 février 2011, premier pépin : ce dernier est arrêté  et incarcéré jusqu’au 24 février 2011. Le 14 avril, il replonge jusqu’au 18 août. Qu’importe ! La mère de Méril et son cousin prennent le relais. Les enquêteurs ne sont pas au bout de surprise, puisque leurs investigations les conduisent à s’intéresser à une autre sous-préfecture, celle de L’ Haÿ-les-Roses (Val –de- Marne) où la bande peut compter sur la compréhension  d’un agent administratif des cartes grises. 

Jusqu’à ce que le responsable du service contentieux découvre le pot-aux-roses et évite qu’une Ferrari ne soit immatriculée frauduleusement. Une fois encore, on trouve dans ce nouveau tripatouillage la trace d’un associé de Méril… qui n’est autre que Tabla Gosse. En novembre 2011, survient un coup d’arrêt à trafic avec l’interpellation de l’employée  du service des cartes grises de la sous-préfecture de L’ Haÿ-les-Roses. Affaire terminée ? Eh bien non, de nouvelles surprises attendent les enquêteurs de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO). Ils découvrent que d’autres sous-préfectures ont délivré illégalement des cartes grises : 21 dans l’arrondissement de Versailles, 8 à Sarcelles, 5 à Chartres, 6 à Etampes et Palaiseau, 3 à Dreux, et 2 à Montbard (Côte d’Or). Au terme de leurs investigations, les policiers parviennent à reconstituer les étapes de cette histoire. D’abord, les voitures sont généralement importées depuis Miami (Floride)  par un contact de Méril, puis affectées dans les garages déjà nommés, qu’il dirige soit lui-même, soit via des proches. Ensuite, toute une logistique est mise en place : confection de faux documents,-dans un appartement parisien avenue Mozart -  puis entrée en lice de "préfecturiers" chargés d’effectuer les démarches et bien sûr, développement de relations amicales avec le service de cartes grises. Amicales… On pourrait presque dire intimes. C’est ainsi que le fameux Tabla Gosse, à en croire les écoutes téléphoniques délivrées  par les juges d’instruction, passera 4 800 coups de fil en un an à un employé du service des cartes grises de la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt !

Avril 2012. L’enquête effectuée conjointement par les policiers de l’OCLCO et le GIR. Le centre est presque bouclée, quand surgit un nouveau coup de théâtre : l’interception d’une conversation téléphonique entre David Méril et un de ses lieutenants. Edifiante. Le premier interroge : "Ca passe plus avec ton pote à Sarcelles ?" Réponse : "C’est mort." Sous-entendu, nous n’avons plus de contact à la sous-préfecture. Et l’interlocuteur de Méril de lancer : "Va falloir passer par Mantes ou Creil, [deux sous-préfectures] voire Metz !". Bref, se dégageait dans une dizaine de sous-préfectures de France, comme un détestable parfum de corruption.

Au cours de ces dix jours d’audience, le Tribunal parviendra-t-il à avoir une idée précise des enveloppes qui, le cas échéant, auraient pu être versées à certains fonctionnaires  ou ont circulé entre divers intermédiaires ? Loïc Roulleau, l’ancien chef du service des cartes grises de la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt, qui a affirme n’avoir reçu que du parfum pour services rendus, pourra-t-il expliquer les raisons des liens d’amitié tissés avec les demandeurs de cartes grises ? Pourquoi n’a-t-il pas tenu compte des mises en garde de sa hiérarchie ? De même, le Tribunal sera curieux de savoir comment étaient alimentés les comptes bancaires de David Méril à Hollywood puis à Los Angeles (253 708 dollars entre 2010 et 2012) et au Luxembourg (876 569 euros entre 2009 et 2012). Pour quelles raisons encore, il a multiplié, entre 2009 et 2012, les voyages aux Etats-Unis (7), en Thaïlande (2) , en Israël (2) et au Mexique (1). Enfin, le Tribunal ne devrait pas manquer de s’interroger sur le fonctionnement chaotique de cette dizaine de  sous-préfectures promptes –un peu trop- à délivrer les sésames bidon pour que de luxueuses berlines puissent circuler sur le sol français… Pourquoi le système de contrôle a –t-il été défaillant ? Espérons que ces histoires de cartes grises délivrées frauduleusement ne se transforment pas en épidémie. En effet, une dizaine de personnes dont un garagiste de Sanary (Var) sont actuellement mis en cause pour des faits identiques. Là, c’est un prince saoudien qui souhaitait immatriculer ses limousines étrangères qui s’est fait berner par des intermédiaires…

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