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Zéro compte caché à l’étranger en 2016 : l’objectif que le gouvernement n’atteindra jamais s’il se contente de traquer la fraude
©Reuters

Mieux vaut prévenir que punir

Michel Sapin annonce la fin de l'évasion fiscale en 2016. Il assure que le renforcement des contrôles a permis de détecter 18 milliards de fraude en 2013. Au total, les redressements fiscaux ont rapporté 10 milliards d'euros, soit un de plus qu'en 2012. Des fraudes qui sont en partie les conséquences d'un système fiscal des plus archaïques.

Eric Vernier

Eric Vernier

Eric Vernier est Maître de conférences à l'ISCID-CO, Chercheur à l’IRIS, Auteur de « Techniques de blanchiment et moyens de lutte » chez Dunod, 2017, 4e édition.

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Atlantico : Entre évasion fiscale, "optimisation" ou fraude plus basique, la complexité du système fiscal français ne finit-elle par multiplier les manières de pouvoir échapper à l'impôt ?

Éric Vernier : Ce que vous exprimez n’est pas une spécificité française. Cette distinction est valable dans de nombreux pays, pour ne pas dire tous les pays. Au niveau de la problématique des rentrées fiscales, ce n’est pas la complexité qui est en jeu, c’est plutôt les processus de levée de l’impôt. En effet, nous vivons dans un monde qui évolue de manière extrêmement rapide, tant du point de vue technologique que structurel, avec les avancées informatiques et la mondialisation. Or, le système fiscal, lui, n’a quasiment pas bougé depuis un siècle. Certes, les contribuables peuvent remplir leur déclaration en ligne, mais ça ne va pas beaucoup plus loin.

Sans remettre en cause l'intégralité du système français, quels pourraient être les mesures simples qui seraient immédiatement et massivement efficace pour faire en sorte que ceux qui parviennent aujourd'hui à échapper à l'impôt ne puissent plus/aient moins intérêt à le faire ?

Il faut tout de même rester objectif et rappeler que des avancées concrètes ont eu lieu. Aujourd’hui par exemple, il est quasiment impossible pour un salarié de frauder le fisc si ses salaires sont déclarés par l’employeur. Ce qui représente quasiment le cas général. Il y a ne serait-ce que 20 ans, c’était monnaie courante. Même le contribuable le plus honnête se permettait de réduire sa déclaration de revenus de 5%, correspondant à la tolérance de l’administration.

Je pense que deux pistes principales seraient à creuser. La première consisterait à généraliser autant que possible le prélèvement à la source. Ce qui est le cas depuis longtemps pour les revenus du patrimoine financier. La seconde concernerait plus les entreprises et se traduirait par un contrôle croisé systématique entre les déclarations du fournisseur/vendeur et celles du client/acheteur. La technologie moderne permet parfaitement de systématiser ces croisements. La difficulté vient essentiellement de l’internationalisation des échanges. Ce qui se ferait en France ne se ferait pas forcément à l’étranger ou se ferait sur des standards différents. Il faut donc une approche supranationale de la réflexion et de la réglementation.

Quels sont, côté fraude, les complexités ou les lourdeurs juridiques sur lesquelles ceux qui veulent échapper à l'impôt s'appuient ? Comment les résoudre ?

Le principal problème, je viens de l’évoquer, émane des frontières. Les fonctionnaires (inspecteurs du fisc, juges, policiers) ont peu de possibilités pour s’informer à l’étranger, même si les choses bougent depuis quelques mois. Il faut donc laisser la possibilité à un pays de pouvoir facilement enquêter dans un autre. Mais se pose alors le problème, légitime, de la souveraineté des États et du principe de non-ingérence. La lenteur administrative transnationale s’oppose à la rapidité des transactions financières. Soit on trouve une solution européenne puis mondiale, soit on laisse tomber. Aujourd’hui avec les accords FATCA, un américain ne peut que difficilement frauder (il peut néanmoins profiter des montages d’optimisation fiscale de type sandwich hollandais ou double Irlandais qui lui permettent de casser les prix), mais un Français est en revanche très bien accueilli dans le plus grand paradis fiscal au monde, le Delaware, l’un des 50 États des États-Unis.

Plusieurs de nos voisins européens ont déjà mis en place de tels disposififs. Ont-ils vraiment eu de bons résultats ? Les dispositifs sont-ils aussi simples qu'il n'y paraît ?

Les résultats sont probants, du moins au niveau des salariés. La fraude ne peut plus se faire alors qu’avec la complicité de l’employeur, en minimisant les salaires officiels. Ce qui avouons-le complique les choses, même si cela existe, essentiellement dans les petites entreprises telles que les restaurants ou les commerces. Mais la retenue à la source présente un deuxième avantage : le coût de l’encaissement. Quasiment plus de déclaration, de contrôle, de gestion. On intègre l’impôt sur le revenu aux autres prélèvements déjà existants (CSG, CRDS, maladie, vieillesse, etc.). En ne retenant qu’un seul organisme pour collecter l’ensemble de ces paiements.

L'usine à gaz de la fiscalité française repose aussi sur un contrôle lourd, complexe et perçu comme arbitraire. Y a-t-il là aussi des mesures simples à mettre en place ?

J’ai une vision assez universelle de ce problème, car il n’est pas propre à la fiscalité. Prenons l’exemple de la gendarmerie en Corse ou en Guadeloupe. Il n’y a pas trop peu de militaires pour faire régner l’ordre. Il y a surtout une allocation des personnels trop irrationnelle. Faut-il tant de fonctionnaires (3 dans une voiture) pour patrouiller en rase-campagne ou pour contrôler les excès de vitesse de 10 km/h ? Il faudrait donc dans l’administration des finances publiques plus de fonctionnaires au contrôle des secteurs et des opérations à risque (échanges commerciaux internationaux, grandes entreprises, restauration, matériel d’occasion,…) et un peu moins, voire plus du tout au suivi des salariés, devenu inutile.

Les États-Unis ont une vision plus radicale : frapper là où ça fait mal, au portefeuille. La menace est simple : "si jamais vous êtes pris, l’amende sera si lourde que vous pourriez ne pas vous en remettre". Je suis un peu caricatural mais c’est l’idée. Ce n’est pas très démocratique dans le sens où ne paye que celui qui peut le faire, sinon c’est la prison. Mais en même temps il faut se dire que c’est bien celui qui peut payer qui peut frauder à grande échelle.

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