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Déflation : les libéraux français sont-ils les plus bêtes du monde ?
Déflation : les libéraux français sont-ils les plus bêtes du monde ?
©Reuters

Aveuglés

La position libérale française sur la déflation, cause puissante de la récession, est généralement d'établir que la responsabilité est d'ordre conjoncturelle en niant les causes structurelles. Or si elle augmente, c'est davantage parce qu'elle traduit une demande insuffisante. Un mécanisme qui sort étonnamment du cadre de pensée de nos libéraux.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : A Jackson Hole, Mario Draghi a déploré le chômage, le manque de croissance et les risques de déflation en Europe. Il a aussi affirmé que la BCE avait été impuissante et limitée dans son action à cause des politiques d'austérité menées par les gouvernements de la zone euro. S'il prône toujours une politique centrée sur l'offre, ses propos représentent une inflexion dans la doctrine officielle de la BCE. En quoi cette déclaration peut-elle être interprétée comme un changement de cap dans la politique de la BCE ?

Philippe Waechter : Le président de la BCE a effectivement ouvert de nouveaux horizons. Il a présenté plusieurs éléments clés. Le premier est la nécessité d'une coordination active des politiques économiques. Cela veut dire une politique budgétaire plus volontariste pour pouvoir enfin redonner de l'allant à la demande adressée aux entreprises. Le deuxième point est qu'il indique sans ambiguïté que cette politique budgétaire doit être celle de la zone euro et non la somme des politiques de chacun des pays. Cela suggère une forme institutionnelle nouvelle pour la zone Euro avec davantage de fédéralisme. Elle s'inscrirait alors sans ambigüité en complémentarité de la politique monétaire. Il y aurait un jeu plus équilibré. Le troisième point porte sur l'investissement public qui est son instrument préféré pour soutenir la demande car celle-ci évoluera d'abord sous l'influence de l'investissement plutôt que de la consommation. L'investissement public doit dès lors être une source d'impulsion, un moyen de modifier l'allure de l'économie de la zone Euro. Le dernier point est la mise en place de politiques structurelles. La crise a été longue, l'économie de la zone Euro a subi deux chocs de grande ampleur et elle est un peu KO. En conséquence, les règles qui fonctionnaient auparavant ne sont plus aussi efficaces. Il faut les aménager et  faciliter les transferts entre les secteurs qui vont moins bien et ceux qui se développent. Lors d'une crise, les secteurs d'activité qui progressent à la sortie ne sont pas ceux sur lesquels on pouvait compter avant celle-ci. Il faut donc réallouer des ressources pour que les secteurs qui vont bien puissent se développer plus rapidement et créer de l'emploi et des revenus. C'est cela l'objectif des réformes structurelles.

Il y a changement de doctrine. Cela peut être circonstanciel. Draghi ouvre le choix des possibles car il perçoit que la seule politique monétaire, aussi accommodante soit elle, ne réussira pas à réduire la probabilité d'une déflation. Il l'indique de façon claire en notant que les anticipations d'inflation se dégradaient. Pour sortir la zone Euro du risque de déflation, il veut une politique plus coordonnée à court terme entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Pour améliorer les perspectives de croissance, il privilégie les réformes structurelles. Il sort ainsi de la discussion parfois stérile entre politique d'offre et politique de demande. Il dit clairement qu'il faut les deux mais avec des temporalités différentes.

Les déclarations de Mario Draghi ne viennent-elle pas contredire, sinon démentir, la position des libéraux français sur la rigueur budgétaire contre la détente ?

La rigueur budgétaire lorsque la demande privée est très faible est stupide car elle réduit encore davantage la demande adressée aux entreprises. Les Espagnols, les Italiens, les Portugais et d'autres en ont fait l'amère expérience en 2012 et 2013 avec des récessions profondes et une hausse très rapide du taux de chômage. Bill Clinton nous avait bien montré à la fin des années 1990 que les politiques de rigueur et d'austérité n'avaient de sens que lorsqu'il y avait de la croissance.

Dans le cas français plus spécifiquement, on note que depuis 2008 lorsque l'on cumule dans le temps les contributions à la croissance du PIB on s'aperçoit que les dépenses gouvernementales ont une contribution positive alors que la demande privée a une contribution négative. Réduire trop rapidement et trop fortement les dépenses publiques c'est prendre le risque de voir la France repartir en récession. Ce n'est pas utile et certainement contre-productif si l'on cherche à améliorer l'emploi et les revenus.

Les libéraux français ont souvent tendance à considérer la déflation comme liée principalement à des questions conjoncturelles. Pourquoi un tel "aveuglement" alors même que Mario Draghi en reconnaît aussi le caractère structurel ?

La déflation traduit une demande insuffisante. Le risque s'il n'y a pas d'actions rapides est de rentrer dans une logique complexe et pénalisante. Si elle se prolonge elle se traduit par une réduction des revenus et une hausse des taux d'intérêt réels. Ce dernier point est le plus problématique lorsque les acteurs de l'économie sont très endettés. C'est le cas notamment des ménages dans des pays comme l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas ou encore l'Irlande. Certains de ces pays ont déjà une inflation négative ce qui se traduit par une hausse des taux d'intérêt réels. C'est pénalisant. On comprend pourquoi Mario Draghi veut peser sur l'ensemble de la structure des taux d'intérêt; cela permet de réduire les taux nominaux et de fait les taux d'intérêt réels. Comme la sortie du risque de déflation prend du temps, il faut se préparer à avoir des taux d'intérêt très bas pendant très longtemps.

Si Mario Draghi s'est bien gardé d'invoquer un prochain QE européen (quantitative easing), c'est aussi parce que selon lui ce QE n'aurait de sens que dans le cadre d'un effort partagé entre la BCE et les gouvernements. "Le conseil des Gouverneurs surveillera ces développements et utilisera tous les outils nécessaires qui s’inscrivent dans son mandat pour garantir la stabilité des prix à moyen terme", a-t-il déclaré. Ces propos augmentent-ils les probabilités d'une prochaine détente monétaire ?

Chacun pourra comprendre ce qu'il souhaite, et interpréter des propos déjà tenus comme une possibilité de mesures supplémentaires. Cela dépendra de l'évolution de l'inflation notamment.

Sur ce point il faut souligner son propos sur l'impossibilité pour la BCE de garantir la dette publique. Généralement la banque centrale est le garant de la dette émise par le gouvernement du pays (prêteur en dernier ressort). C'est aussi le fondement des mesures de Quantitative Easing. Draghi regrette cette impossibilité qui est faite à la BCE. Il indique ainsi qu'avec une politique budgétaire pour l'ensemble de la zone Euro et la structure institutionnelle qui l'accompagnerait (voir le point 1) alors il y aurait la possibilité de mettre en œuvre des Eurobonds donnant ainsi à la BCE la capacité de garantir la dette et finalement d'être véritablement un prêteur en dernier ressort. La banque centrale de la zone Euro aurait ainsi la possibilité de mettre en œuvre une stratégie de Quantitative Easing.

>> Lire également : "Quantitative easing, l' "autre politique", la vraie (pas celle des déficits à la Montebourg-Hamon)

Draghi estime qu'une meilleure coordination des politiques budgétaires est aussi nécessaire. Autrement dit, ceux qui le peuvent doivent dépenser plus pour compenser la consolidation des autres et soutenir la demande. Si Draghi ne peut accepter la remise en cause du pacte de stabilité, il appelle en revanche à faire preuve de "souplesse" et prendre en compte le "coût de réformes". Draghi pourrait-il défier la doxa allemande sur la consolidation budgétaire ?

Cela va être un point clé des mois à venir. La stratégie prônée par le président de la BCE suppose un organisme central capable de maitriser la gestion de la politique budgétaire. Draghi dit aussi qu'une telle centralisation en renforcerait l'efficacité. C'est sur ce point que l'affrontement avec l'Allemagne sera intéressant.

Le 16 août 2011, lors d'une réunion à l'Elysée Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient tranché sur la philosophie de la construction européenne. Chaque Etat devait tendre vers l'équilibre budgétaire pour favoriser les conditions de fonctionnement de l'ensemble de la zone Euro. Angela Merkel avait gagné son bras de fer avec Sarkozy.

C'est cette doctrine qui est remise en cause, cette façon de construire la zone Euro. L'une est centralisée, l'autre plutôt décentralisée ; cela va bien au-delà de la régulation conjoncturelle.

En Allemagne, le ministre des Finances a tempéré la déclaration en parlant de "surinterprétation". Pourtant l'Allemagne est elle aussi au début du processus de déflation. Pourquoi donc cette réticence à accepter les propos de Mario Draghi ?

Comme évoqué à la réponse précédente, ce n'est pas sa philosophie de fonctionnement. Elle évoluera certainement et cela est souhaitable mais cela prendra du temps. N'imaginons pas que les changements puissent se faire dans l'instant.

Arnaud Montebourg a critiqué la politique économique menée par le gouvernement. Ce qui lui a valu son départ précipité de Bercy. Mario Draghi, le président de la BCE, a pourtant appuyé les déclarations de l'ex-ministre de l'Économie, surtout en matière de déficit et d'austérité. Pourquoi Hollande n'a-t-il pas choisi de capitaliser sur les propos de Draghi pour justifier une réorientation de sa politique, réclamée par Montebourg et Hamon ?

La différence est que Draghi s'est positionné sur une stratégie pour l'ensemble de la zone Euro. Il n'a pas fait de particularisme pour tel ou tel pays. La zone à cibler c'est la zone Euro. Chaque pays devra faire des efforts mais le leadership sera tenu par l'ensemble de la zone Euro. Les ministres français étaient parfois dans une conception qui se rapproche du rapport de force et la concurrence entre les pays. Dans ce type d'approche les pays sont en rivalité, Draghi propose la coordination ce qui n'écartera pas la concurrence malgré tout. Les règles sont alors très différentes même s'il y a des ressemblances notables.

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