Comment les Saoudiens ont largement contribué à enflammer le Moyen-Orient à grands coups de wahhabisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Abdallah
Le roi Abdallah
©Reuters

De l'huile sur le feu

En contribuant au développement d'un islam radical dans le monde, l'Arabie saoudite s'est rendue responsable de la montée en puissance de l'Etat islamique en Irak et au Levant, celui-là même qui la menace aujourd'hui.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Depuis la fin de la Guerre Froide, de nombreuses mosquées et écoles coraniques wahhabites ont été financées par l'Arabie saoudite dans les Balkans, modifiant ainsi la culture musulmane locale d'inspiration soufie vers le wahhabisme, pratique radicale de l'islam, rapporte un article du Financial Times (lire ici en anglais). Dans quelle mesure l'Arabie saoudite, dans son approche du wahhabisme, a-t-elle participé au développement d'un terrain favorable pour des groupes comme l'Etat islamique en Irak et au levant ? Quels sont les précédents historiques ?

Alain Rodier : Le financement des groupes djihadistes par l'Arabie saoudite a débuté lors de la guerre menée contre les soviétiques qui ont envahi l'Afghanistan en 1979. Le but était de bouter les infidèles russes hors de ce pays musulman. Cela s'est fait avec la coopération des Pakistanais avec lesquels Riyad a toujours entretenu d'excellentes relations. Toutefois, les Saoudiens ont également soutenu par la suite des mouvements islamistes opposés au pouvoir en place à Islamabad. Il est vrai que cette aide destinée aux populations des zones tribales pakistanaises (situées au nord-ouest du pays) était parfois détournée à l'insu de ses donateurs.

Par contre, Riyad n'a pas apprécié le fait qu'Oussama Ben Laden, qui était en contact avec les services spéciaux saoudiens, commence à "ruer dans les brancards" après la fin de la guerre. A noter que sa notoriété de l'époque venait du fait de son appartenance à une importante famille qui était proche de la famille royale saoudienne. Son passé "héroïque" n'est qu'une construction qui est venue étayer sa légende après coup. Riyad l'a déclaré indésirable et il est allé se réfugier au Soudan en 1993. La rupture totale est intervenue lorsque les Américains se sont installés en Arabie saoudite lors de la guerre du Golfe en 1990/1991. Il n'a pas compris la realpolitik menée par la famille royale qui avançait son wahhabisme pur et dur mais tolérait la présence de soldats impies en terre sainte.

Parallèlement à cela, l'Arabie saoudite finançait dans l'ensemble du monde musulman la construction de mosquées via des organisations caritatives afin d'y étendre son influence, en particulier pour contrecarrer celle de Téhéran et des Frères musulmans, déjà considérés comme des adversaires. Ces opération se sont poursuivies jusqu'à ce jour, même en Occident. Il convient de comprendre ce fait dans la lutte sourde que Riyad mène contre les Frères musulmans (en particulier bien représentés au Qatar).

En Syrie, Riyad s'est vite rendu compte du danger représenté par l'EIIL et a créé le "Front Islamique" (FI) pour faire barrage. Force est de constater que cette initiative n'a pas été couronnée de succès malgré la campagne de désinformation qui a eu lieu en 2013. A savoir que la propagande de la rébellion prétendait que l'EIIL était en retrait alors que ce mouvement qui s'était étendu géographiquement très (trop?) rapidement, ne faisait que se regrouper sur des positions où il était en force. Depuis, il est reparti à l'offensive et devrait encore gagner du terrain dans ce pays. A noter que Damas, qui avait favorisé l'émergence de l'EIIL à des fins tactiques (pour affaiblir les rebelles en les divisant) en libérant nombre de prisonniers qui l'ont rejoint et en ne le combattant pas énergiquement, s'en mord les doigts aujourd'hui. Il faut dire qu'au départ, l'EIIL n'était pas présent dans des zones jugées comme stratégiques par le régime syrien. 

En quoi le califat menace-t-il aujourd'hui l'Arabie saoudite ? 

Comme Al-Qaida, l'EI conteste la famille royale saoudienne en prétendant que ses membres sont des corrompus aux ordres des Etats-Unis et d'Israël. Le souhait du calife Ibrahim est de renverser la famille royale pour y étendre son califat. Cette terre de djihad n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour du califat qui essaye de consolider sa "base arrière"située à cheval sur la Syrie et l'Irak. Ses objectifs à moyen terme sont plus le Liban, la Jordanie et le Sinaï. De cette dernière terre, il pourra s'en prendre au régime égyptien et à Israël, la cause palestinienne semblant être un de ses moteurs alors qu'Al-Qaida ne s'y est jamais vraiment intéressé. Le problème pour l'EI est qu' Al-Qaida est encore très influent au Yémen, qui sera la "base d'assaut" pour conquérir l'Arabie saoudite. Il est possible que l'EI tente de faire basculer les forces djihadistes qui y sont actives pour récupérer cette bataille à son compte. Il ne faut pas oublier que c'est un combat de longue haleine. La notion du temps n'est pas la même en Orient qu'en Occident. Ce n'est pas un hasard si l'on voit des jeunes enfants dans les rangs de l'EI. Ils constituent la génération qui poursuivra le djihad de leurs pères. Ces derniers n'ont aucun espoir d'en voir le bout.

En revanche, ne peut-on pas considérer que l'Arabie Saoudite joue avec le feu, sachant que certains de ses citoyens financent le califat ?

Riyad a décidé, depuis un an environ, de condamner ceux qui vont mener le djihad en Syrie sans son approbation. Il faut inclure les combattants mais aussi les financiers. La menace est considérée comme trop importante par le régime pour qu'il persiste à tergiverser. D'ailleurs, il semble que les "riches donateurs" sont maintenant plus issus du Koweït que de l'Arabie saoudite. Cela dit, il est difficile de contrôler étroitement tous les cheikhs saoudiens dont certains ne portent pas la famille royale dans leur coeur.

Si le djihad mené par Abou Bakr al-Baghdadi, le calife autoproclamé, menace l'Arabie Saoudite, d'un point de vue théologique, l'islam revendiqué par le califat est-il réellement différent de l'orthodoxie wahhabite ?

Sur le plan théologique, c'est identique. Riyad fait preuve de pragmatisme, c'est tout. La différence entre wahhabisme et salafisme est ténue.

Quelles sont les autres sources du développement d'un islam radical au Moyen Orient ? 

De moins en moins d'instances étatiques soutiennent l'islam radical combattant au Moyen Orient car elles savent qu'elles sont considérées comme "corrompues". L'objectif des djihadistes internationalistes est de les abattre. Cela dit, des individus isolés semblent encore y trouver leur compte. L'EI tire beaucoup de ses revenus des productions des installations pétrolière qu'il a saisies.

Quelle importance les tensions entre les chiites et les sunnites ont-elles dans ce développement ?

Globalement, les sunnites haïssent les chiites, considérés comme des "apostats", c'est-à-dire des traîtres à l'islam. L'inverse n'est pas vrai, mais les chiites, via l'Iran, ont tenté d'étendre leur influence dans le monde, ce qui a été très mal perçu par les sunnites. Ces derniers se sont sentis agressés. Le phénomène de "peur" est une récurrence dans l'Histoire.  

Quel fut le rôle joué par la révolution islamique chiite de 1979 en Iran dans l'attitude prosélyte de l'Arabie saoudite ? Qu'en est-il de l'invasion de l'Irak en 2003 ?

L'Arabie saoudite n'a pas apprécié la volonté expansionniste de l'Iran après la révolution de 1979. En réalité, sa première réaction a été défensive (le fameux phénomène de "peur"). Mais la meilleure défense étant dans l'attaque ...

L'invasion de l'Irak en 2003 par les Etats-Unis a été provoquée et aidée par les services de renseignement iraniens. Le pouvoir en place à Téhéran était ravi de voir les Etats-Unis s'embourber en Irak (la menace que Washington faisait peser sur l'Iran avait diminué d'autant) et surtout, cela leur permettait de se débarrasser de leur vieil ennemi Saddam Hussein.

Les Etats-Unis, et plus largement l'Occident, alliés de Riyad, n'ont-ils pas également une part de responsabilité dans la situation actuelle ? 

Tout le monde a une responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui. La vision droit de l'hommiste sélective occidentale (qui s'est inquiété d'un quelconque respect des règles démocratiques en Arabie saoudite et dans les Etats du Golfe persique ?) a provoqué des déstabilisations de bon nombre d'Etats. En fait, les dirigeant occidentaux raisonnent à l'émotion, ce qui ne fait pas la base d'une politique étrangère. La prospective à long terme semble être absente des préoccupations des dirigeants occidentaux.  

Propos recueillis par Carole Dieterich

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