Conversations intimes : comment Clémentine Churchill influençait les décisions de son mari pendant la Seconde guerre mondiale <!-- --> | Atlantico.fr
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Clementine et Wiston Churchill étaient très proches.
Clementine et Wiston Churchill étaient très proches.
©Wikipédia commons

Bonnes feuilles

Parmi les milliers de lettres, notes personnelles et télégrammes échangés entre Churchill et son épouse entre 1908 et 1964, ce recueil unique, naturellement destiné à rester confidentiel de leur vivant, donne un aperçu incomparable, non seulement de leur vie de couple et de famille, mais aussi de leurs jugements sur la politique nationale et internationale, sur les grandes personnalités du moment, sur le cours de deux guerres mondiales, sur leurs espoirs, leurs ambitions et leurs déceptions pendant plus d’un demi-siècle. Extrait de "Conversations intimes", publié chez Tallandier (2/2).

De Clementine

10 Downing Street 27 juin

Mon chéri, J’espère que vous me pardonnerez si je vous dis quelque chose qu’à mon avis, il faut que vous sachiez. Quelqu’un de votre entourage (un ami dévoué) est venu me voir & m’a dit que vous courriez le danger d’être universellement détesté par vos collègues & subordonnés du fait de vos manières rudes, sarcastiques & arrogantes – Il semble que vos secrétaires particuliers aient décidé de se conduire comme des écoliers, « d’accepter ce qui leur tombait dessus » & de disparaître hors de votre vue en haussant les épaules – À un niveau plus élevé, lorsqu’une suggestion est faite (à une conférence par exemple), vous avez la réputation d’être si méprisant que bientôt plus personne n’avancera aucune idée, bonne ou mauvaise. J’ai été surprise & chagrinée, car toutes ces années, j’ai été habituée à ce que tous ceux qui travaillaient avec & pour vous vous adorent – C’est ce que j’ai dit & il m’a été répondu « C’est sans doute la tension » – Mon Winston chéri – je dois avouer que j’ai remarqué une détérioration dans votre attitude ; & vous n’êtes plus aussi gentil qu’autrefois. C’est votre rôle de donner des ordres & s’ils sont mal exécutés – mis à part le roi, l’archevêque de Cantorbéry & le président de la Chambre –, vous pouvez virer tout le monde et n’importe qui – À ce pouvoir terrifiant, il vous faut donc associer civilité, gentillesse et, si possible, un calme olympien. Vous vous plaisiez à citer la maxime : « On ne règnesur les âmes que par le calme » – Je ne peux pas supporter l’idée que ceux qui servent le pays & vous-même ne vous aiment pas autant que je vous admire et vous respecte – Et qui plus est, vous n’obtiendrez pas de meilleurs résultats en étant irascible & impoli. Une telle attitude ne peut que susciter l’antipathie ou une mentalité d’esclave – (La rébellion étant hors de question en temps de guerre !) Je vous en prie, pardonnez votre Clemmie dévouée & vigilante qui vous aime J’ai écrit cette note aux Chequers2 dimanche dernier et je l’ai déchirée, mais la voici de nouveau.

1. Ceci est la seule lettre existante entre WSC et CSC pour l’année 1940.

2. Résidence officielle de campagne des Premiers ministres britanniques. Voir également p. 293 n. 1 (lettre du 6 février 1921).

Il n’existe pas de réponse à la lettre de Clementine. Peut-être en ontils parlé ensemble. Mais Winston a très certainement pris la chose à coeur car, même si, pendant ces années où il était au sommet de son pouvoir, il pouvait sans nul doute se montrer redoutable et déraisonnable, beaucoup de ceux qui ont travaillé pour lui, à tous les niveaux au cours de ces terribles années, ont exprimé publiquement non seulement leur admiration pour lui en tant que chef, mais aussi leur affection pour un homme qu’ils considéraient comme chaleureux et attachant. Septembre 1940 vit les débuts du Blitz sur Londres et les bombardements nocturnes intensifs continuèrent jusqu’en novembre. À la mi-septembre, Winston et Clementine déménagèrent du 10 Downing Street1 pour s’installer dans l’appartement de l’« Annexe », qui avait été spécialement aménagé au premier étage du bâtiment de Storey’sGate, dans d’anciens bureaux du gouvernement qui surplombaient Saint James Park. La structure d’ensemble du 10 était fragile et l’abri antiaérien d’une taille et d’une efficacité insuffisantes pour ses habitants et les gens qui y travaillaient. L’« Annexe », un bâtiment moderne et résistant en pierre et en béton, avait été renforcée et des volets en acier installés aux fenêtres. Elle se trouvait directement au-dessus du centre de Commandement souterrain2. Le 22 juin 1941, l’Allemagne envahit la Russie, donnant au conflit une dimension beaucoup plus vaste. Au cours du mois de juillet, les armées allemandes pénétrèrent très en avant en Russie, se livrant à des actes d’une cruauté épouvantable sur la population civile.

De Winston [dactylographié]

Casablanca 24 janvier 1943

Ma très chère Clemmie Chérie, Après dix jours de travail sans relâche pour les États-majors, et pas mal de travail pour moi et le Président, nous avons désormais couvert l’ensemble du vaste champ de la guerre et sommes parvenus à un parfait accord à la fois entre les deux pays et entre les responsables politiques et militaires. Cela impliquait non seulement la stratégie générale mais la répartition des ressources entre 5 ou 6 différents théâtres d’opérations aux quatre coins du monde ainsi que la chronologie et les priorités liées au programme d’action. [ C’est en tout point ce que j’espérais& proposais.]

Bien sûr j’ai vu constamment le Président et nous avons pris presque tous nos repas ensemble. Il est venu dîner ici un soir, et au préalable le Génie américain avait rapidement installé les plans inclinés spéciaux qui lui permettent de se déplacer. Nous avons passé une soirée très réussie et très agréable et lui avons montré notre Salle des Cartes1 qui est parfaitement organisée et enregistre tous les mouvements, aussi bien des troupes que des navires, jour par jour, où qu’ils soient. Ensuite Harry Hopkins a fait venir cinq soldats nègres qui nous ont chanté les plus belles mélodies.

L’interlude comique a été fourni par la tentative d’amener de Gaulle devant l’autel où Giraud2 l’attendait avec impatience depuis plusieurs jours ! Giraud a fait ici bien meilleure impression sur tout le monde qu’on ne s’y attendait. On a réussi à persuader de Gaulle de venir ici, après de fortes pressions de ma part, et il est arrivé avant-hier avec son entourage. Il se prend pour Clemenceau (après avoir laissé tomber Jeanne d’Arc pour l’instant), et voudrait que Giraud soit comme Foch, c’est-à-dire susceptible d’être limogé à tout moment selon le bon plaisir du Premier ministre Clemenceau ! Bon nombre de ces Français se haïssent bien davantage qu’ils ne haïssent les Allemands, et tous ceux que j’ai rencontrés sont bien plus intéressés par le pouvoir et les places que par la libération de leur pays. Lorsqu’un pays subit une catastrophe aussi effroyable que la France, tous les autres maux s’abattent sur lui comme des charognards. Nous avons eu un temps exquis ici…. J’ai fait plusieurs promenades sur la grève et il y a un récif avec trois remblais de rochers d’où l’on peut observer le déferlement des splendides vagues qui viennent s’y briser…. Dickie Mountbatten a fait venir Randolph3 de sa propre initiative, avec l’idée d’étendre le rayon d’action du groupe de David Stirling jusqu’au nouveau théâtre de Tunisie. J’ai été très content de le voir et d’avoir de longues conversations avec lui, ainsi que beaucoup de parties de Bésigue. Il va très bien, et le Président, qui a ses deux fils4 ici, l’a invité à assister à plusieurs des Conférences sur la question de Gaulle- Giraud, où il a fait bonne figure [ Il refuse de parler de ses propres affaires, mais il a été enchanté de recevoir vos photos.] J’attends incessamment la visite des Généraux Giraud et de Gaulle. Je crains que tout ce qu’ils seront capables d’établir c’est une sorte de liaison, mais peut-être qu’à partir de cela d’autres choses pourront se développer. [ (Plus tard : Ils se sont fait photographier ensemble en se serrant la main.)]

À midi le Président et moi devons tenir une Conférence de Presse, à laquelle tous les journalistes d’Afrique du Nord ont été conviés. Ils sont d’une humeur absolument exécrable [en marge : Nous avons réussi à les amadouer] et ont fait de leur mieux pour monter en épingle les turpitudes du monde politique en Afrique du Nord. Après la Conférence [de Presse] le Président et moi partons à Marrakech en voiture et nous piqueniquerons en route. Il s’en retourne demain avec un trajet de cinq jours en avion. Je m’envolerai vraisemblablement demain soir pour Le Caire, où je dois voir Alexander qui sort de ses entretiens avec Eisenhower5, et également le Général « Jumbo » Wilson6, qui arrivera de Perse. [ C’est un vol facile& simple au-dessus de l’Atlas pdnt 37 minutes & ensuite le Désert qui est de loin préférable à la mer.]

J’ai fait en sorte qu’Alexander soit nommé Commandant en Chef Adjoint auprès du Général Eisenhower [pour la campagne de Tunisie], avec la planification et la direction effectives de l’offensive principale. Wilson lui succédera à la tête des forces du Moyen-Orient. L’entrée triomphale de la Huitième Armée à Tripoli nous a permis d’obtenir pratiquement tout ce que nous souhaitions de la part de nos amis américains. Il ne fait aucun doute que ces officiers de haut rang, qui ont passé pratiquement douze heures par jour en compagnie les uns des autres et parlent la même langue, ont eu l’occasion de faire connaissance d’une manière jamais atteinte entre Alliés.

J’ai reçu une gentille lettre de Mary. Remerciez-en-la beaucoup. Mon indigestion va nettement mieux, et contrairement à tous les pronostics, mes douleurs articulaires au coude s’en vont toutes seules. La levée va partir Avec mon plus tendre amour Votre mari dévoué qui vous aime W.

Extrait de "Conversations intimes,Winston et Clémentine Churchill", publié chez Tallandier. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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