Le Topless Tour : seins nus, oui, mais de nos jours c’est seulement de dos<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Topless Tour envahit peu à peu les réseaux sociaux
Le Topless Tour envahit peu à peu les réseaux sociaux
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Cachez ce sein que je ne saurais voir

Le Topless Tour envahit peu à peu les réseaux sociaux. Les femmes posent de dos, seins nus, devant des paysages grandioses. Cette tendance serait l'expression de la liberté et de la générosité du corps féminin. Faire ce projet de dos peut être révélateur quant à notre rapport à la nudité. Il existe toujours une crainte de s'exposer aux critiques en montrant ses seins et des tabous persistent.

Christophe Colera

Christophe Colera

Christophe Colera est sociologue et anthropologue.

Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008 et Les tubes des années 1980 (Cygnes, 2013)

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Atlantico : Le topless Tour est un nouveau phénomène à la mode sur les réseaux sociaux. Même Miley Cyrus s'y est mise. Il s'agit de poser en topless devant des paysages. Comment ce phénomène a t-il été lancé et développé ? Comment expliquer son ampleur à travers la planète ? 

Christophe Colera : Le Topless Tour a été lancé par trois filles Olivia Edginton, Lydia Buckler et Ingvild Marstein étudiantes en danse et musique au conservatoire de Greenwich qui ont commencé cette série de photos topless en Norvège en décembre 2012. Le mouvement tire profit de deux tendances. Premièrement celle du "selfie" plus ou moins érotique dans divers hauts lieux de la planète qui met à la fois en valeur le corps de celui/celle qui pose, le lieu photographié, la symbiose entre les deux. En Chine par exemple il existe un artiste officiel, Ou Zhihang, qui s’est spécialisé dans la pose nue devant des endroits emblématiques de son pays . Deuxièmement la mode du topless dans l'espace public depuis trois ou quatre ans (qui n'a rien à voir avec l'ancienne mode du bain de soleil topless des années 1990), une mode qui a été préparée par divers mouvements des années 2000 : les campagnes de photos topless de diverses stars pour le dépistage du cancer du sein, la campagne "Bara bröst" des féminines suédoises pour le droit à être topless dans les piscines, le "sexterrorism" des Femen... Tout cela a préparé le terrain autour d'ailleurs de discours contradictoires visant des objectifs opposés : tantôt pour valoriser la dimension maternelle des seins, tantôt sa dimension érotique, tantôt pour mettre en valeur sa fragilité, tantôt sa force, tantôt pour le présenter comme une spécificité de l'identité féminine et un vecteur de son affirmation, tantôt pour créer l'image d'une identité entre topless masculin et féminin.

Pourquoi se lancer dans un tel projet autour du topless ?

Ces étudiantes américaines semblent avoir eu assez spontanément l'idée de cette mise en scène de leur jeunesse en jouant sur cette image de la générosité du beau corps féminin qui apaise les tensions et amène la paix au monde (la campagne américaine "Bearing witnesses" des femmes nues contre la guerre d'Irak en 2003 avait déjà joué sur cette connotations). Les trois filles y ajoutent une référence intelligente quoique subliminale aux médecines parallèles, à la pensée énergétique voire ésotérique quand elles disent "nous ouvrons notre poitrine et notre cœur au monde", ce qui pour les habitués de la médecine traditionnelle asiatique ou énergétique peut aussi signifier "nous ouvrons le chakra du coeur", ce qui est d’une grande implication existentielle.

Y a-t-il encore une liberté relative au topless à défendre ? 

Un anthropologue ou un sociologue ne peut se prononcer sur cette question, neutralité scientifique oblige. Il est clair en tout cas que la forme du sein féminin résulte probablement de la sélection sexuelle comme la taille du pénis masculin ou les couleurs des mâles chez les oiseaux - elle n'est pas fonctionnelle pour l'allaitement. Donc elle participe du long travail d'érotisation mutuelle des corps. Cette dimension érotique ne peut se gommer, et, par conséquent, tous les tabous autour de la sexualité entourent nécessairement les seins, même quand on cherche à les présenter sous un jour strictement fonctionnel ou maternel.

Paradoxalement, les femmes choisissent de cacher leurs seins en posant de dos dans un projet pourtant dénommé "topless tour". Cette pratique est-elle révélatrice d'un possible retour d'une plus grande pudeur en France ? 

Le topless de face a des inconvénients : trop frontal, il se prête à des jugements brutaux sur la taille, la forme des seins, des auréoles etc. et cela laisse peu de place à l'imagination. On peut penser que le topless de dos est privilégié pour moins choquer, et notamment pour dépasser la censure de certains réseaux sociaux. Le retour de la pudeur est général en Amérique du Nord mais aussi en Europe, dans l'esprit du respect de l'enfance, des minorités religieuses intégristes etc. La difficulté est qu'il est concomitant avec un besoin de "se montrer" et "d'assumer son corps". Le topless de dos peut passer pour une forme de compromis.

Le dos est-il devenu un nouvel objet érotique ? 

Le dos est sexué, et c'est un aspect que les peintres notamment ont mis en valeur à différentes époques, ainsi que les couturiers depuis quelques décennies avec leurs robes de soirée. Chez la femme il présente l'avantage de montrer sans montrer. Sa courbure montre dans la partie inférieure la cambrure des reins et la forme des hanches qui a toujours présenté les caractéristiques d'un "signal sexuel" comme on dit en éthologie animale, parce qu'elle est corrélée au taux d’œstrogènes et à la fécondité. Le tracé de la colonne vertébrale constitue une sorte de sillon entre la nuque et la partie "sous la ceinture" directement sexuelle. C'est donc comme un chemin qui désigne tous les signes de la puissance érotique de la femme sans les exhiber crûment. Ajoutons à cela que prise sous un certain angle la photo de dos peut aussi permettre de deviner les seins (s'ils sont volumineux, si le dos est un peu pris de biais). En outre elle peut aussi valoriser le volume des cheveux, qui, dans l'espère homo sapiens, joue aussi un rôle érotique important. On peut considérer le dos comme une épure de l'aura féminine. La recherche de l'épure pouvant fonctionner comme un temps de "re-concentration d'un regard" qui, après cette dispersé dans une surabondance d'images (une surabondance de topless frontaux, comme de nudités intégrales) a besoin de se "ressourcer" dans un monde plus suggestif, plus axé sur les signes, et plus ouvert à l'imagination.

Quel regard avons-nous sur le topless ? Est-il vu comme has-been ou sexy ? Y a-t-il des tabous associés ? 

Le topless revient de façon cyclique : dans les années 60 il était associé au premier féminisme (de masse), dans les années 1990 à des préoccupations esthétiques (le topless sur la plage) mais s'est heurté à des préoccupations de santé publique autour des seins. Aujourd'hui il participe davantage d'une volonté d'affirmation de la féminité, souvent sur un mode provocateur en choisissant des lieux inattendus (même sur le plan artistique : qu'on songe à la Marianne de la mairie de Quimper). Il se heurte aux tabous habituels qui entourent la nudité de parties du corps érotisées, même lorsqu'il prétend, comme je l'indiquais plus haut, ne défendre qu'une "égalité formelle" avec le "torse nu" masculin.

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