Record de chômage en France, quasi plein emploi américain et britannique : 1929-2008, la répétition d'une erreur française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le chômage progresse toujours en France
Le chômage progresse toujours en France
©Reuters

Bis repetita

En refusant perpétuellement de débattre des questions qui fâchent, la France se retrouve confrontée à ses démons des années 30. Alors que Royaume-Uni et États-Unis sortent de la crise en utilisant des moyens souvent jugés "illégitimes", l'Hexagone reste à l'arrêt, ancré dans ses certitudes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Au cours des 6 derniers mois les Etats-Unis ont créé 1,4 millions d’emplois, le taux de chômage atteint 6,1% et se tient à un niveau proche du plein emploi estimé à 5,4%. Le Royaume-Uni avance sur les mêmes bases, la main d’œuvre totale s’est accrue de 929.000 personnes au cours de la dernière année et le taux de chômage y est de 6,5%. Le nombre de personnes ayant un emploi bat un nouveau record à 30,6 millions. Les deux pays sont sortis de la crise. De l’autre côté la France affiche des résultats opposés; le taux de chômage n’en finit plus de grimper à 10,1% et le nombre de demandeurs d’emplois inscrit son plus haut historique à 5 millions de personnes pour les catégories A, B et C. La croissance n’est plus qu’un lointain souvenir. Ces divergences entre pays sont si fortes, si abruptes, qu’il reste à en comprendre les origines.

La contradiction fondamentale entre les pays anglo-saxons, et ici la France, est la nature du débat économique au sein de l’opinion. Alors que le jeu français consiste à passer son temps à évoquer des problèmes budgétaires, les Etats-Unis et le Royaume-Uni débattent de leur situation monétaire. Deux approches aux résultats opposés. Et cette manie française à ne percevoir l’économie que sous l’angle des déficits ne date pas d’hier. 

En 1955, Marguerite Perrot, attaché de recherches au CNRS publiait un étonnant ouvrage intitulé La monnaie et l’opinion publique (Cahiers de la fondation nationale des sciences politiques. Armand Colin) ayant pour objectif d’analyser les comportements de l’opinion dans une France confrontée à la crise des années 30. Le constat de l’auteur y est alors sans appel :

« Pourquoi la politique de déflation a-t-elle été aussi docilement acceptée par l’opinion française ? C’est que les experts financiers et tous ceux qui fondaient leur opinion sur le bon sens et l’expérience, préconisaient une compression des dépenses publiques et une déflation des prix comme étant la seule politique économique qui fut conforme aux principes fondamentaux de la science financière et aux lois naturelles de l’économie. Des difficultés financières passées, l’opinion croit tirer des enseignements définitifs. Le ton volontiers sentencieux que prennent les journaux français lorsqu’ils traitent des problèmes économiques, semble pasticher La Bruyère : « Depuis plusieurs millions d’années que la civilisation existe, on a toujours entendu dire qu’on ne réalisait pas l’équilibre en faisant du déficit et que pour ne pas se ruiner, il ne faut pas dépenser plus qu’on a. Ainsi en ont décidé de tout temps l’arithmétique, le bon sens, et la sagesse des nations » (Réveil économique 7 octobre 1936) »

Il n’est ici pas nécessaire de rajouter un mot. L’analogie avec la période actuelle n’est pas fantaisiste; jamais depuis les années 30 la France n’aura été aussi proche de la déflation. 1930-2010 ; le discours est identique. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, M. Perrot poursuit :

« C’est cette conformité à la sagesse des nations qui a longtemps fait croire au public français qu’il suffisait de réaliser l’équilibre budgétaire et de diminuer son train de vie pour voir revenir la prospérité. La politique de déflation paraissait dictée par le bon sens alors que la politique de Roosevelt de lutte contre la dépression était sévèrement critiquée comme « contraire à toutes les données de l’expérience et à toutes les idées économiques ».

Car de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, les choses se passent différemment. Le Royaume Uni quitte l’étalon or en 1931, les Etats Unis feront de même le 5 juin 1933. Les deux pays voient leur situation économique s’améliorer rapidement à l’inverse d’une France qui ploie sous les effets de la rigueur puis de la déflation Laval de 1935. 

Cette dimension monétaire de la crise des années 30 est bien connue dans les pays anglo-saxons, vision consacrée en 1963 par le monumental ouvrage de Milton Friedman et Anna Schwartz A Monetary History of the United States.

« L’effondrement monétaire de 1929 à 1933 n’était pas l’inévitable conséquence de qui avait été fait précédemment. Il a été le résultat de politiques (monétaires) poursuivies au courant de ces années. Pourtant, les politiques alternatives qui auraient pu stopper la débâcle monétaire étaient déjà disponibles. Bien que la FED proclamait poursuivre une politique accommodante, elle a en réalité poursuivi une politique excessivement restrictive » 

Friedman et Schwartz ont pu mettre directement en cause l’attitude des autorités monétaires américaines entre 1929 et 1933. Ces dernières sont jugées responsables de la crise des années 30. Les Etats Unis comme le Royaume Uni ont su accepter leur erreur initiale et réagir. La France n’y est pas parvenue. Comme le confirme M. Perrot :

« Toute préoccupation un peu nouvelle de la politique monétaire était par cela même condamnable. (…) Si l’opinion anglaise et l’opinion américaine plus réalistes, se sont laissées aisément convaincre des avantages matériels qu’apporteraient un changement de politique économique, l’opinion française soucieuse de logique plus que d’observation du monde extérieur a mis très longtemps à confronter ses croyances et la réalité. » (…) « La seule habileté des pouvoirs publics était de couvrir une politique de déflation, qui risquait fort d’aggraver encore le marasme économique, de la jolie formule de la « chasse aux abus », slogan bien ancien mais qui donne à l’opinion publique des satisfactions toujours nouvelles » (…) « C’est réserver aux tenants des théories traditionnelles le privilège exclusif de la raison alors qu’il s’agissait plutôt de paresse intellectuelle de la part des doctrinaires. (…) » « L’expérience de plusieurs générations, les enseignements de la science économique, le bon sens le plus élémentaire ont semblé mis au défi par les politiques économiques anglo-saxonnes. (…) Ce dogmatisme est tel qu’il n’y a rien d’autre à faire devant la crise économique que d’attendre que les évènements donnent raison aux principes traditionnels ». 

L’erreur française a duré jusqu’en 1936, et le changement n’a été rendu possible que par la contrainte, non par un choix. De ce fait, les moralistes de l’économie n’ont jamais accepté leur défaite intellectuelle. Et l’erreur peut ainsi se répéter à nouveau, sous nos yeux et sous l’angle européen. Friedman et Schwartz avaient pourtant prévenu :

« S’il y a une chose en laquelle nous pouvons être confiants, c’est de la capacité de l’histoire monétaire à réserver des surprises à ceux qui en suivront les développements futurs, surprises que les étudiants et les hommes d’état ignoreront à leurs risques et périls ».

Si les Etats Unis et le Royaume Uni ont su sortir de la crise, c’est qu’ils ont pu sortir du conformisme, qu’ils ont appris de leur passé, appris de leur erreurs et appris de la réalité. La France qui « pense » en semble incapable, figée dans un attachement dégoulinant au bon sens près de chez vous et à ses certitudes moralistes sur les questions économiques. Car si la crise de 1929 était de nature monétaire, la crise de 2008 n’en est que l’aimable répétition.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

6 ans après la crise de 1929, l'économie avait bien mieux récupéré qu'elle n'est parvenue à le faire depuis 2008 : le match Hollande-BlumLa BCE envisage de se lancer dans le Quantitative Easing sauf que ce n’est (toujours) pas la politique monétaire dont l’Europe a besoinRéformes budgétaires et structurelles, Bruxelles avance ses propositions : où en serions-nous si nous avions toujours écouté la Commission ?1929, 1973, 2008 : la fin d'un certain type de capitalisme, point commun des trois grandes crises économiques

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !