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Apocalypse now ! Vraiment ?
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Cher Gaspard Koenig

Notre contributeur Gaspard Koenig a prédit dans Atlantico la fin du monde tel qu'il a été formaté par l'Occident. Benoît Rayski a trouvé son article amusant. Mais il ne sait pas s'il doit en rire ou en pleurer.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Un jour, sur les murs du palais de Babylone, où festoyait le roi Balthazar, une main mystérieuse écrivit (Ancien Testament, Livre de Daniel) : « Mane, mane, tekhel, fares » (« Peser, peser, compter, diviser »). Cette phrase signait l'arrêt de mort du souverain babylonien. Et le lendemain Balthazar mourut, et son royaume avec. Sur le mur d'Atlantico, Gaspard Koenig a écrit lui aussi (et c'est signé, ce qui n'était pas le cas à Babylone) son « Mane, mane, etc. » pour annoncer – et aussi souhaiter – la fin de notre vieux monde. Son mérite est grand. En effet, les cavaliers de l'Apocalypse (Nouveau Testament) qui, eux aussi, sonnaient le glas pour la fin des temps, étaient quatre : lui, il est tout seul !

Le genre apocalyptique est, si l'on peut le dire dans ce contexte, vieux comme le monde. La Bible (Ancien et Nouveau Testaments réunis) en atteste. La grande peur de l'An Mil en témoigne. Et divers écrits des siècles écoulés le confirment, en particulier L'île aux pingouins d'Anatole France et le célèbre Déclin de l'Occident d'Oswald Spengler dans les années 30. C'est donc un genre qui traduit en général soit la peur de l'inconnu et du futur soit le désir farouche d'une punition des méchants. Un genre qui tire sa beauté – il arrive que ce soit beau – de son lyrisme mortifère. Simplement, ce genre là ne supporte que l'incantation prophétique. Gaspard Koenig – et c'est dommage pour lui – a voulu rationaliser, argumenter son cri. Le résultat est pathétique.

On apprend ainsi que plane sur notre monde l'ombre des « grandes jacqueries » (chômeurs, précaires, etc.)... S'y ajoute l'ombre du Rouge (travailleurs déclassés, étudiants désoeuvrés, etc.)... L'ombre des « guerres de religions », alors que s'avance une « foi invincible » (l'islam, je suppose). Mais les plus goûteuses saveurs de ce breuvage apocalyptique sont à venir. Gaspard Koenig évoque en effet une autre ombre bien plus effrayante : celle des « barbares d'extrême-orient » qui, « s'invitent à nos frontières ». Et enfin, « l'ombre des barricades », sans doute la plus belle à ses yeux, portée (là, je dois citer en entier) par « le peuple des villes chassé à leurs périphéries mais qui a gardé intacte sa fougue, son goût du sang, son rêve de justice ». Et il conclut, lyrisme oblige : « La Commune est devenue Cité » !!

Faut-il en rire ? Faut-il en pleurer ? Rions. Gaspard Koenig travaille dans une banque à Londres. C'est un poste d'observation qui souffre de quelques inconvénients. Il a certainement dans son bureau des ordinateurs qui montrent des Bourses en folie et des cours qui plongent. Il a à portée de son regard des magasins pillés, des maisons incendiées par des voyous « rêvant de justice ». Il y a effectivement là de quoi faire vaciller les esprits les plus aguerris. Mais le monde est grand, très grand. Il faut sortir de la banque. Et par exemple regarder vers l'Est, la Pologne (j'y suis actuellement), la République tchèque, la Hongrie, les pays baltes, l'immense Russie. Et là, on peut ouvrir les yeux sur une formidable vitalité. On travaille, on construit, on entreprend, on exploite bien sûr, et on y vit de mieux en mieux. Ce capitalisme là a toutes les qualités de sa jeunesse et, évidemment, tous les défauts de sa brutalité.

La « foi invincible » de l'islam ? Quelques pays musulmans plus quelques banlieues françaises ne sont pas la planète tout entière. Les Chinois, les Indiens, les Japonais, pour ne parler que d'eux, ça fait combien de milliards d'êtres humains ? Plus de 3, bientôt 4, qui vivent sans se préoccuper de savoir où se trouve la Mecque ! Et puisqu'il est question de religion, on pourrait noter qu'il y avait 500 000 jeunes catholiques à Madrid, que 3 ou 4 000 « Indignés » (Koenig les range parmi ceux qui donneront l'estocade à notre vieux monde) sont venus conspuer. Eux aussi, ces catholiques, comptent pour du beurre ?

Quant aux « barbares d'extrême-orient » (au secours, le « péril jaune » revient!), ils arrivent en effet chez nous. Ils portent des costumes trois-pièce, des attachés-case, sont munis d'un ordinateur et de plusieurs téléphones portables. Ils achètent tout ce qu'ils peuvent acheter : des bons du Trésor, des entreprises, des villes, des ports. Et ils sont simplement l'avant-garde d'un capitalisme triomphant, calqué sur le modèle du vieux monde dont M. Koenig se veut le fossoyeur éclairé.

Ne rions plus maintenant. Car il s'agit du « peuple ». Vous savez, ce « peuple » chassédes villes vers la périphérie... Ce « peuple » héritier, selon notre auteur, de la Commune de Paris ! Disons le tout de suite. Gaspard Koenig, pour les besoins de sa démonstration (à moins que – version charitable – il se soit laissé emporter par son élan) confond le peuple et la populace. Karl Marx, qui savait des choses, utilisait pour qualifier cette catégorie d'individus le terme « lumpenproletariat ». Une masse déclassée, désoeuvrée, acculturée, qui dans les années 30 grossissait les rangs des SA hitlériens et qui, plus près de nous, fournit les principaux effectifs des Pasdarans d'Ahmadinedjad. Ils vont terrasser le vieux monde ? Mais non ! Une fois pillés les magasins, ils rentreront chez eux...

Apocalypse now ? No, not now... Mais il est inévitable que certains en aient peur. De tout temps, les bourgeois ont eu des frayeurs. Et leur peur se déclinait de trois façons. Soit ils tiraient sur les pillards et les émeutiers pour protéger leur sacro-sainte propriété. Soit ils faisaient l'autruche en attendant que la bourrasque se calme. Soit, quand le vent leur paraissait souffler trop fort, ils trouvaient des vertus insoupçonnées aux adversaires de l'ordre établi et, énamourés, accompagnaient la bourrasque.

Gaspard Koenig, de son propre aveu, est un bourgeois, ce qui n'est en rien une tare ou une infamie. Il n'est manifestement pas haineux, et donc il ne tirera pas. Il est lucide, ce qui ne fera pas de lui une autruche. Il a donc choisi la troisième attitude. Si ça peut lui procurer un sommeil réparateur... Dors, camarade Koenig, le vieux monde est toujours devant toi. 

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