Deux en un
Le choc Sarkozy : et maintenant qu’attendre de la bataille de com’ qui s’ouvre avec la bataille judiciaire ?
Mis en examen pour "trafic d'influence", "recel de violation du secret professionnel" et "corruption active" dans la nuit du 1er au 2 juillet, Nicolas Sarkozy a décidé de porter cette bataille judiciaire sur le terrain médiatique en accordant une interview à TF1 et Europe 1. Que peut-il gagner à ouvrir ce nouveau front ? Quelles armes les différents protagonistes de cette affaire auront-ils alors intérêt à dégainer ?
Rodolphe Bosselut
Rodolphe Bosselut est avocat à la cour. Il intervient régulièrement dans les médias.
Eric De Montgolfier
Arnaud Mercier
Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.
Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).
Patricia Chapelotte
Patricia Chapelotte est directrice générale d’Hopscotch Décideurs, Présidente du club Femmes d’Influence et Présidente et créatrice du Prix de la Femme d’Influence. Experte en communication d’influence, elle est engagée pour l’entrepreneuriat et pour la cause des femmes
Les trois motifs de mise en examen retenus par les juges d'instruction Claire Thépaut et Patricia Simon à l'encontre de Nicolas Sarkozy sont lourds : "trafic d'influence", "recel de violation du secret professionnel" et "corruption active". Quels éléments et preuves la justice devra-t-elle produire pour justifier ces motifs ? En quoi cela s'avèrera-t-il plus compliqué que si le seul "trafic d'influence" avait été retenu ?
Rodolphe Bosselut : Ce sont des chefs de mise en examen lourds, visant des infractions graves. Il me semble qu'ils ne sont fondés que sur la base d'écoutes téléphoniques que Nicolas Sarkozy et les autres personnes mises en examen entendent combattre et contester avec véhémence.
En effet des écoutes téléphoniques évoqueraient des liens privilégiés entre l'avocat de Nicolas Sarkozy et un magistrat pour avoir des informations sur un dossier, informations qui auraient été échangées contre un appui de la promotion dudit magistrat. En l'état actuel on croit comprendre que c'est uniquement par déduction au regard desdites écoutes téléphoniques que l'accusation soutient l'existence d'une corruption active et d'un trafic d'influence.Si les seules preuves sont les écoutes, alors le dossier est assez fragile.
Eric de Montgolfier :Je vous avoue que je n'aperçois pas le côté compliqué. Il s'agit d'un chemin ordinaire. Il faut rassembler ce qui devant un tribunal pourra servir de preuves. On les réunit souvent à partir d'éléments concrets. Dans cette affaire, il est question d'interception téléphonique en Paul Bismuth (alias Nicolas Sarkozy) et son avocat. C'est le point de départ de cette procédure, après il faudra mettre du concret derrière ces mots. Je pense que c'était l'objet de la garde à vue de l'ancien chef de l'Etat et de son avocat.
- >>> Voir aussi l'analyse de l'entretien livré à Europe 1 et TF1 : "Sarkozy : quelle stratégie pour sauver son image ?"
Que penser des méthodes d'enquête qui ont permis d'aboutir à cette mise en examen ?
Rodolphe Bosselut : Elles sont contestables et il est probable qu'elles soient très contestées par la défense, puisqu'a été mis en place en 2013 un système d'écoutes téléphoniques pour établir a posteriori la réalité de faits qui se seraient produits en 2007 s'agissant du financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Donc des écoutes ont été mises en place six ans après les faits supposés, pour obtenir des indices quant à l'éventuelle violation des règles du financement politique. On constate donc une forme de détournement procédural de la mesure des écoutes judiciaires, pour obtenir, 7 ans après les faits, des éléments d'une infraction ancienne. C'est une technique qui s'apparente à celle des "filets dérivants", en espérant la pêche miraculeuse.
L'une des deux magistrates en charge de cette affaire, Claire Thépaut, a été membre du syndicat de la magistrature et n'a pas hésité à dire le mal qu'elle pensait de la politique menée par Nicolas Sarkozy dans le cadre d'un reportage diffusé sur le site Mediapart. Sans contester l'indépendance d'esprit de cette juge, quelle importance ces faits vont-ils pouvoir revêtir quant à la suite de la procédure ? Nicolas Sarkozy a, lors de son interview, beaucoup insisté sur ce point... Son avocat demandera-t-il que l'affaire soit confiée à d'autres magistrats ? Avec quelles conséquences, notamment vis-à-vis de l'opinion ?
Rodolphe Bosselut : Cela peut poser la question d'une éventuelle requête en suspicion légitime de la part de Nicolas Sarkozy, qui peut considérer que la juge ne présente pas à ses yeux toutes les garanties d'impartialité. Avec toutes les réserves qui s'imposent, c'est une possibilité.
>>> Pour mémoire, le Syndicat de la magistrature a fait les gros titres en avril 2013 lorsqu'Atlantico a révélé l'existence d'un "mur des cons" dans ses locaux. Pour en savoir plus : Une justice impartiale ? Manifestement, pas pour un certain nombre de juges du Syndicat de la magistrature qui ont leur mur des cons... et “Mur des cons” ou “Cons du mur” : cette vanité qui consiste à considérer que la Justice pourrait se satisfaire d’un simulacre d’impartialité
Au vu des lours motifs de mise en examen retenus, la justice ne prend-elle pas des risques en créant de fortes attentes dans l'opinion ?
Rodolphe Bosselut : La judiciarisation de la vie publique bat son plein. Aujourd'hui le secret de l'instruction est une vaste fumisterie, il n'existe plus. La réplique de Nicolas Sarkozy sera certes judiciaire, mais elle devra être aussi médiatique. De ce point de vue-là le système est déséquilibré, puisque, par la simple évocation de la mise en examen, on procède à une mise en accusation publique sur laquelle il est difficile de se défendre. Sauf à invoquer le bénéfice de la présomption d'innocence, ce qui n'a pas l'air d'intéresser grand monde.
Le mis en examen est dans une posture délicate puisqu'il est tenu à un secret de l'instruction qui le restreint dans sa faculté à se défendre publiquement. On constate de fait une mise au pilori public par le simple fait de communiquer sur la mise en examen. D'une certaine façon le mal est fait, car restera dans l'esprit des gens le fait que Nicolas Sarkozy a été mis en garde à vue, mis en examen pour des faits très graves, et de toute façon cette instruction ne verra pas son aboutissement avant plusieurs mois, sinon plusieurs années.
Eric de Montgolfier : La justice restera sourde aux attentes de l'Opinion. C'est la meilleure chose qu'elle puisse faire. L'Opinion n'est pas une voix unanime qui s'élève pour demander justice. Ce sont des gens qui demandent justice et qui pour certains ne veulent plus de Nicolas Sarkozy et qui espèrent que les juges feront le travail que la politique ne parviendrait pas à faire. Et d'autres conservent de l'estime lui et espère que cela ne sera pas terni par sa mise ne cause pénale. Mais je ne crois qu'il puisse y avoir une opinion publique unanime sur ce dossier. Et de manière générale, la justice ne devrait pas écouter l'opinion publique, cette prostituée qui tire le juge par la manche.
Le temps judiciaire est long alors que la bataille de l'opinion se fait au jour le jour. Comment chacune des deux parties pourraient-elles s'y prendre pour alimenter ou réfuter l'accusation de corruption sur le long terme ? Afin de mener cette bataille de la communication, les forces en présence seront-elles contraintes de violer régulièrement le secret de l'instruction ? Quel type d'informations auraient-elles intérêt à divulguer et quels types de délit cela pourrait les contraindre de commettre ?
Rodolphe Bosselut : C'est une bataille qui prend plusieurs formes. Sur le plan judiciaire les avocats de Nicolas Sarkozy vont certainement contester la mise en examen, les écoutes, et peut-être même la mesure de garde à vue. Sur le plan médiatique, après avoir subi une telle avalanche d'annonces, il est très difficile de prétendre revenir dans le jeu politique en étant ainsi "lesté". Une issue favorable est parfaitement possible, mais une fois encore, le mal est fait au travers de ces annonces.
La personne mise en examen peut, pour assurer la défense de ses intérêts, faire valoir des éléments issus de la procédure, mais elle ne peut pas communiquer de pièces. Elle peut communiquer sur des éléments du dossier, sans les donner physiquement, ce qui constitue toute l'hypocrisie du système. Les fuites que l'on retrouve dans la presse rendent inégal le combat, puisque ces dossiers d'instruction ne sont pas toujours menés à décharge. On a donc souvent une vision biaisée du dossier. Par exemple, lorsqu'au début de cette affaire on a évoqué le contenu de ces écoutes, l'ensemble de ces dernières n'a pas été mentionné. N'ont été divulgués que les enregistrements préalablement sélectionnés par les enquêteurs comme étant des éléments laissant à penser qu'une infraction avait été commise. Les lecteurs n'ont eu à connaître qu'une sélection des enquêteurs, à charge. Il est possible que dans leur ensemble ces écoutes soient moins accablantes qu'elles ne l'ont été présentées. Mais c'est une chose contre laquelle il est difficile de se battre. Peut-être que si les éléments étaient donnés dans leur entièreté, ils ne délivreraient pas le même sens.
Eric de Montgolfier : Le secret de l'instruction, je ne crois pas qu'il en existe encore beaucoup. Il n'a pas résisté à tous les empiètements qui se sont succédé. Ce qui me gêne dans cette idée de violer, c'est que le secret de l'instruction n'est que partiellement violé.Si l'on met à la disposition de l'opinion publique l'intégralité du dossier, on verrait que comme dans tous les dossiers, il y a des éléments pour et des éléments contre. Ce qui est dangereux c'est que chacun laisse sortir la partie qui l'arrange, qui conforte sa thèse. Seuls les accusés ont un intérêt. Il n'y a pas de victime dans cette affaire. Pour un juge il n'y a pas de bataille médiatique. Le problème est de parvenir à la vérité et non pas d'avoir raison.
Cette mise en examen met-elle définitivement à mal le retour en politique de Nicolas Sarkozy ou pourrait-il réussir à tirer son épingle du jeu ? Comment pourrait-il s'y prendre ?
Arnaud Mercier : En politique et surtout en France, il n'y a jamais rien de définitif. Il existe des pays dans lesquels une faute morale équivaut à une sorte d'arrêt de mort politique. Ce n'est pas le cas de la culture française. En ce qui concerne Nicolas Sarkozy et cette affaire en particulier, deux choses peuvent le sauver. D'abord, une partie de l'opinion est furieuse contre François Hollande et préfèrerait voir Nicolas Sarkozy revenir au pouvoir, même avec ses casseroles. Par ailleurs, cette affaire repose aussi sur des écoutes téléphoniques qui n'avaient pas été demandées dans le cadre délimité. Il est donc assez facile de plaider le complot politique.
Rodolphe Bosselut : Son retour est compliqué. On pourrait imaginer que la posture de la victime d'un acharnement judiciaire pourrait lui valoir une forme de popularité, mais je ne le crois pas. On le voit bien, à mesure que les annonces s'enchaînent, sa cote de popularité s'érode.
Etant donné les lourds motifs retenus par les juges, Nicolas Sarkozy n'en sortirait-t-il pas grandi politiquement si elles ne parviennent pas à prouver sa culpabilité ? N'est-il pas finalement le mieux placé pour gagner cette bataille de l'opinion ?
Arnaud Mercier : La barre est effectivement assez haute et dans ce genre de cas, cela ne peut faire qu'entériner la théorie du complot. Nicolas Sarkozy peut peut-être gagner la bataille de l'opinion mais du point de vue des militants, c'est moins sûr. Ces derniers ont des doutes qu'ils n'avaient pas auparavant. Avant c'était le champion incontesté, celui pour lequel on a organisé un Sarkothon car le grand méchant Conseil constitutionnel avait annulé les comptes de campagne. Par ailleurs, aujourd'hui Nicolas Sarkozy a des rivaux au sein de son propre parti. Rivaux qui n'ont pas envie de plaider sa cause et que cela arrange bien.
Rodolphe Bosselut : Sur le terrain de la communication, il aurait intérêt à se concentrer sur le judiciaire, pour ne revenir en politique qu'une fois qu'il aura fait la preuve du caractère abusif de ces accusations. Il en ressortirait sans doute auréolé de ce l'acharnement judiciaire qu'il dénonce. Il est plus difficile de se lancer dans un retour politique sans avoir soldé ces difficultés-là. Il lui faudra sans doute attendre les environs de 2017, et c'est là que le bât blesse.
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