ABCD de l’égalité ou mallette pédagogique, même combat : pourquoi les "rééducations du peuple" sur le genre ne fonctionneront jamais<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement a décidé de continuer son opération de (ré)éducation des enfants à l'égalité femme-homme.
Le gouvernement a décidé de continuer son opération de (ré)éducation des enfants à l'égalité femme-homme.
©Reuters

Mallette d'Orwell ?

Benoît Hamon a présenté le lundi 30 juin le contenu de son "ABCD de l'égalité", devenant au passage "mallette pédagogique", afin que les enseignants transmettent dès la rentrée prochaine les valeurs d'égalité entre filles et garçons.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : En remplaçant les ABCD de l'égalité par une mallette pédagogique, le gouvernement décide de persévérer dans son opération de (ré)éducation des enfants à l'égalité femme-homme. Une telle approche a-t-elle jamais porté ses fruits ?

Michel Maffesoli : La rééducation voire même l’éducation quand elle tend à la rééducation est une méthode totalitaire. Qu’il s’agisse de l’inquisition et de l’obligation faite aux impies de se convertir, de l’obligation faite aux prêtres de prêter serment à la déesse Raison, de l’enrôlement des jeunes filles et jeunes gens dans les  mouvements de jeunesse nazis ou staliniens, le résultat est le même : une torture qui mène à la révolte et au renversement du pouvoir.
Bien sûr, il y a loin d’une “mallette” à l’embrigadement dans les “Hitlerjugend” ou les Pionniers ; il n’empêche, il faut toujours se méfier des tentatives de rééducation conduites par la puissance étatique.
La Norvège, longtemps pionnière dans ce domaine s'est finalement détournée de la théorie du genre après que plusieurs études ont montré l'incapacité des politiques qu'elle avait mise en place à venir à bout des comportements genrés.T. Diseth, professeur à l'université d'Oslo a notamment démontré que les garçons et les filles montraient une préférence pour les jouets assimilés à leur genre dès l'âge de 9 mois.
Jean-Paul Mialet : A ma connaissance, il n’y a pas de pays où l’on a véritablement éduqué ou rééduqué les enfants à l’égalité homme-femme. Mais il y a un peu partout en Occident un autre regard porté sur le rôle des hommes et des femmes dans la société, et ce regard influence certainement le comportement de l’environnement des enfants : parents, famille, enseignants. Sans qu’on leur en fasse la leçon, les enfants d’aujourd’hui ne sont plus élevés comme du temps de Freud et je doute qu’ils aient la même représentation de l’homme et de la femme. Seule la Norvège, me semble-t-il, a mis en place dans certaines écoles un véritable programme éducatif.
Et le but de ce programme n’est pas d’éduquer les enfants à l’égalité homme-femme mais plutôt d’éradiquer toute différence entre le masculin et le féminin. Cela conduit  à n’employer que des jeux neutres et des pronoms neutres. Je ne crois pas que nous ayons suffisamment de recul sur ce programme d’éducation à  la non-différence, mais il me parait vertigineux. Ces enfants  que l’on veut conditionner à éliminer toute différence seront bien confrontés à des dissemblances naturelles ! Devront-ils se contraindre à ne pas remarquer que les mains des filles sont plus fines et que les garçons courent plus vite ?

De quelles études scientifiques sérieuses dispose-t-on dans ce domaine ?

Michel Maffesoli : Je ne suis pas scientifique et ne pourrai vous répondre sur la question des préférences des petites filles pour les poupées et des petits garçons pour les camions de pompiers. 
Je pense en revanche et ma position est plus philosophique que scientifique qu’une société qui ne reconnaît plus le primat de la nature, qui pense que l’homme est totalement maître de ce qu’il est, y compris de la détermination des différences entre féminin et masculin est une société paranoïaque. Cette croyance dans la toute puissance de l’homme, maître et possesseur de la nature est ce qui nous a conduit il est vrai aux belles réalisations de l’époque moderne, mais également aux pires dévastations.
Dans la culture judéo-chrétienne, Dieu créa l’homme et la femme “à son image” ; vouloir modeler garçons et filles à l’image d’un humain homogène et sans aspérités relève de la même conception. Je ne sais pas ce que disent les études statistiques sur les pourcentages respectifs de filles et de garçons qui préfèrent jouer aux Playmobil château des fées ou château des chevaliers, mais je pense que garçons et filles ont besoin d’images et de jeux pour exprimer leur part masculine et leur part féminine et qu’il n’est pas bon que les adultes veuillent intervenir dans ce processus.  
Jean-Paul Mialet :Avant d'aborder directement le sujet des études de genre, on peut évoquer le cas de la Norvège qui est allée très loin dans une politique volontaire d’élimination des différences entre hommes et femmes, comme en atteste l’exemple pédagogique que je viens de citer,  a dû reculer en constatant que ses efforts changeaient peu la donne. Au final, 90% des infirmiers restaient des femmes, et 90% des ingénieurs, des hommes.
Devant cet échec à transformer les choix, elle a alors décidé de supprimer les subventions à l’Institut gouvernemental pour les études de genre. En fait, malheureusement,  les études de genre ont été monopolisées par des sociologues, des philosophes et des historiens. Pour ces observateurs lointains du sujet humain, il est aisé de conclure que les hommes et les femmes sont des produits culturels : nul doute que la société pèse un grand poids dans la représentation que l’on se fait d’un homme et d’une femme et des rôles qu’ils peuvent avoir.
Par exemple, il y a une trentaine d’années seulement, aurait-on accepté qu’une femme conduise un bus ou un taxi ? Ces rôles étaient traditionnellement réservés aux hommes, le féminin s’accommodant mal de la mécanique. Toutes les études culturalistes dénoncent les préjugés culturels dans lesquels sont enfermés les hommes et les femmes et elles sont vivifiantes car elles permettent  à chacun des deux sexes de définir plus librement sa place.
Toutefois, dans l’exploration comparative des hommes et des femmes, d’autres études constatent des différences.  A  l’inverse des "déconstructions" culturelles, ces recherches sont plutôt des études naturalistes. Diseth à Oslo, Baron-Cohen à Londres, sont des médecins pédo-psychiatres : ils affirment que les différences entre garçons et filles se marquent très tôt, avant 9 mois.
Léonard Sax, à Washington, est biologiste et psychologue : il constate également des différences précoces et durables entre les enfants des deux sexes et s’alarme de la volonté d’occulter la distinction entre filles et garçons. Il rapporte que des chercheurs de Yale ont constaté que même des petits singes mâles choisissent plus volontiers des jouets de garçon comme le camion : selon lui les petites filles seraient plus intéressées par la texture et la couleur d’un objet, les garçons par son mouvement. Bien d’autres recherches indiquent des différences entre filles et garçons ; dans l’ensemble elles sont donc plutôt le fait de biologistes qui les expliquent par des différences hormonales ou cérébrales.
Loin de ces positions biologiques, une féministe américaine, Carole Gilligan, philosophe et psychologue, attribue aux femmes une disposition particulière pour l’implication dans la relation humaine. Cette thèse est rejetée par celles qui craignent que l’on borne à nouveau les femmes aux soins et à l’univers domestique, laissant à l’homme les tâches nobles.

Comment expliquer que, malgré tout, la lutte contre les inégalités femme-homme reste en France bâtie sur des logiques qui nient ces résultats ?

Michel Maffesoli : Nous souffrons actuellement d’une fracture entre ce dont les enfants ont besoin et ce qu’on leur propose. Ceci peut expliquer pour une large part l’importance des échecs scolaires. En effet, notre système scolaire est construit sur le modèle de l’éducation : l’enfant n’est rien et il faut le tirer (educare) pour qu’il atteigne la taille adulte. Et ceci de divers points de vue : celui des savoirs, dont on bourre les jeunes têtes, sans souci de leur apprendre à penser, mais aussi et de plus en plus d’un point de vue moraliste : les faire correspondre à un modèle. Que ce modèle ne soit plus celui, traditionnel de l’homme chasseur et de la femme gardienne du foyer n’empêche pas qu’il s’agit d’un modèle. L’homme égalisé comme la femme égalisée dessinent un modèle imposé à l’enfant considéré comme un page blanche sur laquelle l’adulte peut dessiner ce qu’il veut.
Tout autre serait une conception de l’apprentissage qui s’appuyerait sur l’initiation : il ne s’agit alors pas d’amener l’enfant à correspondre à une image attendue, mais de l’accompagner pour qu’il advienne ce qu’il est.
Cette différence de conception me semble bien plus importante que la frontière qui sépare ceux qui défendent un modèle traditionnel homme/ femme et ceux qui lui opposent un modèle d’humanité indifférenciée.Plutôt que de vouloir sans cesse modeler, rééduquer, imprimer sa marque idéologique sur les enfants, réfléchissons à ce que serait une initiation, c’est à dire une intégration progressive dans la communauté adulte. 
Jean-Paul Mialet :L’inégalité des hommes et des femmes a été entretenue pendant de nombreux siècles par une société qui donnait à l’homme la suprématie. Il était légitime d’aspirer à une égalité entre hommes et femmes : ce n’est finalement rien d’autre que l’extension à la différence des sexes de l’élan démocratique qui caractérise la société moderne. Le problème est qu’aujourd’hui on redoute que toute différence soit interprétée comme une inégalité infériorisante.
Toute inégalité est comprise comme une différence entre un plus et un moins, et en ce cas, qui a plus, qui a moins ? Dès lors, toute différence doit être bannie. L’égalité doit se faire dans l’identité. Mais l’identité n’est plus une égalité, elle est une confusion. L’égalité devrait se concevoir dans la différence. Elle est une égalité de droits entre des individus – hommes et femmes -  qui peuvent avoir des tempéraments et des motivations distincts. Elle n’est pas une uniformisation stérilisante.

Faut-il en déduire que toute lutte contre les inégalités femme-homme est vouée à l'échec ou qu'on ne s'attaque pas aux bonnes et pas avec les bonnes méthodes ? Comment faudrait-il alors procéder ? Comment faire la part des choses entre inégalités naturelles et inégalités culturelles ?

Michel Maffesoli : Il existe bien sûr des différences naturelles. Elles ne sont pas toutes construites : certains enfants sont beaux, d’autres le sont moins, certains sont doués pour les mathématiques ou la musique, d’autres pour le football ou l’humour. Ce qui est culturel, c’est bien sûr la classification de ces qualités les unes par rapport aux autres. Notre école est inégalitaire, car elle ne valorise que certaines qualités : intellectuelles et scientifiques plutôt que manuelles et imaginatives. Elle construit des inégalités, parce qu’elle ne sait pas rechercher chez l’enfant ses compétences, ses capacités, ce qu’il peut être. 
S’attaquer aux inégalités, c’est reconnaître les différences et permettre à chacun d'exprimer au mieux ses compétences.
Jean Paul Mialet : La lutte contre les inégalités hommes femmes traque les préjugés : ce qu’elle appelle les stéréotypes de pensée qui aboutissent toujours à inférioriser les femmes. Mais il y a hélas un préjugé qu’elle n’évite pas : celui de croire que toute découverte d’une différence ne peut qu’alimenter la volonté de notre société phallocratique de maintenir les femmes dans leur condition d’opprimées. Dès lors elle ne s’appuie pas sur un débat scientifique mais sur des partis pris idéologique, à la manière de la pensée marxiste. Cela peut à l’extrême conduire à des attitudes totalitaires, comme ces tentatives de (ré)éducation norvégienne. Il est indispensable que les recherches très utiles et passionnantes qui sont réalisées dans l’exploration comparative des hommes et femmes, à tous les niveaux - sciences humaines comme sciences du vivant -, puissent être débattues de façon neutre, sans arrière-pensée idéologique, comme n’importe quel sujet scientifique.
Le malheur est que ce sujet ne peut toutefois jamais être parfaitement neutre : la recherche est toujours menée par un homme ou une femme. Ainsi il y a chez tous les chercheurs,  en quelque sorte, conflit d’intérêt : on appartient à un camp ou un autre. L’homme et la femme ont néanmoins un grand besoin l’un de l’autre et tout ce qui peut leur permettre de mieux se comprendre – mutuellement comme respectivement – les aidera à mieux vivre ensemble. Ces recherches doivent donc être poursuivies et elles amèneront certainement à d’autres découvertes utiles pour optimiser les interactions nature/culture dans les deux sexes. Dès à présent, encore une fois, de grands progrès ont été faits et aucun des deux sexes ne vit avec les mêmes contraintes que par le passé.

Comment les rôles doivent-ils en conséquence se répartir entre puissance publique et sphère privée sur un tel sujet ?

Michel Maffesoli : Je l’ai dit et je le répète : la puisance publique, je préfère dire les pouvoirs publics, réservant le terme puissance à la dynamique populaire, donc les pouvoirs publics doivent avoir le rôle le plus restreint possible en matière d’éducation. L’intervention des pouvoirs publics dans des problèmes de ce type risque toujours de dégénérer. Mais il faut aussi constater que cette distinction entre public et privé, entre sphère publique et sphère privée est dépassée. Il est clair que les “mallettes de genre” n’ont aucune influence comparées aux magnifiques images de la publicité, aux divers héros des jeux, bref à l’imaginaire tel qu’il se déploie dans la société contemporaine.
Or cet imaginaire est relativiste : c’est-à-dire qu’il met en relation diverses conceptions de ce que sont hommes et femmes par exemple et qu’il les relativise les unes par rapport aux autres. La “vérité sur le genre” est plurielle, elle n’est ni du côté de la défense des rôles traditionnels de l’occident judéo-chrétien, ni dans l’hystérique volonté de vouloir gommer les différences. Et au fond les enfants n’ont pas besoin des adultes pour le savoir, l’univers bigarré dans lequel ils baignent le leur montre bien. 
Jean-Paul Mialet : Faut-il consacrer à ces questions un enseignement spécifique dès les premiers moments de l’école ? Les enfants n’ont-ils pas d’autres priorités dans les connaissances à acquérir ? L’égalité des hommes et des femmes commence par le respect qu’ils se témoignent entre eux, et ce respect s’apprend davantage par l’exemple qu’avec des leçons scolaires. On sait que les leçons de conduite sont volontiers contre-productives. Ce qui est appris à l’école est ennuyeux. De plus, il est bon si l’on veut jouer les "grands", de ne pas en tenir compte ou même de faire le contraire. N’oublions pas non plus, en faisant preuve de naïveté, combien les enfants entre eux sont très attentifs aux différences : ils se montrent volontiers cruels pour ceux qui sont différents, par une sorte de réflexe identitaire qui vient renforcer une identité encore en construction, donc fragile.
Vouloir nier des différences qu’ils observent  en permanence dans la cour de récréation ne peut mener qu’à des faux semblants, à un déni qui fait craindre de dangereux retours de manivelle. C’est aux parents, c’est à l’entourage de guider les enfants vers le respect de la différence en leur en donnant le goût, la curiosité et en les préservant de la crainte que représente l’autre, celui  (ou celle) qui n’est pas soi. Et c’est à la culture de véhiculer un véritable  esprit de tolérance – qui ne va pas sans l’acceptation du débat - et non le paradoxe d’une tolérance dogmatiquement imposée.

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