Plan de relance de François Hollande de 1000 milliards pour l'Europe : ce qu’on peut raisonnablement en attendre politiquement et économiquement<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a lancé "un agenda pour la croissance et le changement en Europe".
François Hollande a lancé "un agenda pour la croissance et le changement en Europe".
©Reuters

Comme un soufflé qui retombe

François Hollande, après s'être concerté avec les autres chefs d'Etat sociaux-démocrates, a communiqué "un agenda pour la croissance et le changement en Europe" au président du Conseil européen Herman Van Rompuy. Il y détaille cinq grandes orientations.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Dans son "agenda pour la croissance et le changement en Europe", François Hollande détaille cinq propositions phares. Comme on pouvait s'y attendre, il mise sur une politique économique orientée vers la croissance pour relancer la croissance intérieure, et faire baisser le chômage des jeunes.  Sur les questions énergétiques, François Hollande souhaite faire la synthèse entre compétitivité et lutte contre le dérèglement climatique. L'agenda porte également un plan de maîtrise des flux migratoires. 

Politique de relance et plan de lutte contre le chômage

Le diagnostic

Nicolas Goetzmann : "L'objectif est de garantir une politique budgétaire équilibrée au niveau de la zone euro et de débattre des conséquences des décisions nationales sur l'ensemble de l'Europe, afin notamment d'éviter que les politiques de compétitivité menées simultanément ne prolongent la situation de faible inflation, pesant d'autant sur les efforts de désendettement."

Ce qui frappe avant tout dans cette déclaration est que François Hollande accuse sa propre politique de ne pas donner de résultats. Parce que la politique de compétitivité, c’est bien celle qu’il prône depuis 2012 avec le CICE (crédit impôts pour la compétitivité et l’emploi) et le pacte de responsabilité en 2014.

Mais le nouveau diagnostic effectué est correct selon moi. Une telle politique de compétitivité, menée de façon simultanée à l’échelle européenne est une machine à déflation qui alimente la crise plus qu’elle ne la résout. Les efforts réalisés du côté des dépenses annihilent totalement les bienfaits de la politique de l’offre. Il fallait bien s’en rendre compte un jour ou l’autre.

Le plan

Nicolas Goetzmann : Selon Lemonde : " La France propose un programme d'investissements à cinq ans, en mobilisant les ressources publiques européennes et nationales ainsi que les ressources de l'épargne privée et les grands investisseurs. " (…) " Ce plan est estimé à 2 % du produit intérieur brut, soit un montant d'environ 240 milliards d'euros par an, ce qui représenterait 1 200 milliards en cinq ans. Ces investissements se concentreraient dans cinq secteurs : infrastructures, recherche, énergie, formation des jeunes et santé. "

Il y a ici une imprécision. Parce que 2% du PIB européen représente 194 milliards d’euros et non 240 milliards (sur la base des dernières données trimestrielles fournies par la BCE). Sur une durée de 5 ans, cela représente quand même une différence de 230 milliards soit un écart de 20%. Mais en raisonnant sur une base de 200 milliards par an, il est déjà clair qu’il s’agit du plus grand plan de relance proposé en Europe depuis l’entrée en crise. A l’échelle de la France, cela représente 40 milliards d’euros tous les ans, soit 200 milliards. Fini de rire.

Sur la méthode, il n’y a pas de mystère, il s’agit de relance keynésienne, c’est à dire d’une relance par la dette. Ensuite, François Hollande peut argumenter sur le comptage ou non de ces montants dans le calcul du déficit, cela ne changera pas le résultat autrement que par de la pure cosmétique comptable. Le résultat c’est plus de déficits et plus dettes. Selon la lettre rédigée par l’Elysée, ces montants seront consacrés aux infrastructures, à la recherche, à l’énergie, à la formation des jeunes et à la santé. Sur cet aspect, il n’y a pas grand-chose à dire, « peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse », et les secteurs évoqués peuvent tout à fait être considérés comme étant prioritaires. Au final, le fait est qu’un plan de relance de 2% du PIB signifie simplement que le Président souhaite que le niveau de dépenses puisse croître de 2% par an.

Un diagnostic et un plan ; tout semble bien parti, mais un gros point noir ressort de ce qui est proposé par François Hollande et ce en dehors de toute considération politique car il est bien évident qu’un tel plan ne correspond pas du tout aux souhaits d’Angela Merkel. Et ce point noir est l’inefficacité d’un tel plan de relance sur le moyen-long terme.

Le vice caché qui invalide l’efficacité du plan à moyen-long terme

Nicolas Goetzmann : En imaginant que le plan soit validé au niveau européen, ce qui reste encore improbable, voici ce qui devrait advenir. En augmentant le niveau des dépenses de 2% par an, il est logique de considérer que le niveau d’activité économique se gonflera de 2% par an tout au long du programme. La croissance sera soutenue, des emplois seront créés, tout ceci va théoriquement dans le bon sens.

Mais il y a un écueil de taille, un écueil qui semble même insurmontable : La Banque centrale européenne. Car ce que le Président n’a pas l’air de vouloir comprendre, comme d’autres avant lui, c’est que le niveau d’activité de la zone euro est sous la tutelle exclusive de la BCE. Pour être concret, voici la situation actuelle : la BCE anticipe une croissance de 1% pour 2014, de 1.7% en 2015 et de 1.8% pour 2016. Elle attend également une inflation de 0.7% pour 2014, de 1.1% en 2015 et de 1.4% pour 2016. La BCE a agi le 5 juin dernier dans le but de permettre à l’inflation de revenir à un niveau plus proche de 2% en 2016 (son mandat évoque le moyen terme). Pour la BCE, le niveau de dépenses au sein de la zone euro est donc satisfaisant aujourd’hui. , ce niveau correspond à son mandat.

Donc, si les états européens s’entendent pour relancer l’activité à hauteur de 2% tous les ans, la BCE va commencer par revoir ses anticipations de croissance mais aussi ses anticipations d’inflation à la hausse. Et c’est là que le bât blesse, parce que des révisions à la hausse des prévisions d’inflation entraineront de facto une réaction de la BCE. Parce que son mandat lui interdit une inflation supérieure à 2% sur le moyen terme. Sa réaction sera donc de resserrer l’étau monétaire pour contracter le niveau d’activité économique afin de ne pas permettre un tel dérapage de l’inflation. Et Flop, le plan de relance. A court terme, le plan de redressement distillera ses effets, mais après la réaction de la BCE, le résultat est que le multiplicateur fiscal sera égal à 0.

C’est exactement ce qui s’est déroulé en 2011 lorsque Jean Claude Trichet est venu rehausser les taux d’intérêts directeurs suite aux différents plans de relance budgétaires mis en place au niveau européen en 2009 et 2010. La BCE n’aime pas l’inflation et elle n’aime pas non plus que les Etats viennent jouer sur son pré carré, c’est à dire sur le niveau d’activité (le niveau de dépenses). Et la réalité en Europe, c’est que c’est bien la BCE qui a eu le dernier mot pour le moment. Les mêmes causes entraineront les mêmes effets si la BCE n’est pas mise au pas. Le résultat est que la dette supplémentaire devra tout de même être remboursée, mais que les effets seront annihilés par la BCE. On aura bien le flacon (la dette) mais pas l’ivresse.

Pour remédier à un tel phénomène, il suffit de modifier les statuts de la BCE, et de lui demander de soutenir elle-même l’activité. Avec un tel plan, c’est l’ivresse, tout en évitant le flacon de la dette. C’est le choix qui a été fait par le Royaume Uni et par les Etats Unis, et son efficacité n’est même plus à démontrer.

Politique européenne de l'énergie

François Hollande dit vouloir une politique énergétique qui concilie la lutte contre le dérèglement climatique et la compétitivité, et instituer "un programme européen de financement des économies d'énergie".

Christian Harbulot : La politique énergétique de l’Europe ne doit pas se résumer à un catalogue de bonnes intentions dont les éléments de langage relèvent de la communication. La phrase de François Hollande sur la conciliation entre la lutte contre le dérèglement climatique et la compétitivité ne relève pas d’une vision stratégique mais de l’énoncé d’un principe moralisateur, certes respectable, mais pas au niveau des enjeux énergétiques du moment. Les pays membres de l’Union Européenne sont divisés sur une question vitale qui se pose aussi bien en termes de dépendance que de choix de filières. Ils se sont montrés pour l’instant incapables de s’unifier sur une position concertée et constructive. Chacun joue sa carte à l’image de la position spécifique de l’Allemagne qui a signé un traité bilatéral sur le gaz avec la Russie. Si François Hollande s’assumait en tant que vrai politique, il mettrait les vrais problèmes sur la table et plaiderait pour un changement de posture stratégique. L’Europe ne peut se consolider en faisant l’impasse sur la réalité de plus en plus conflictuelle du monde qui nous entoure. La négation de cet état de fait est aussi grave que la négation du réchauffement climatique. En faisant du Hollande, le Président de la République tourne le dos à ses responsabilités historiques sur le besoin prioritaire de garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Europe.

Maîtrise des flux migratoires

François Hollande se prononce dans cet "agenda politique" pour la "création d'un corps de garde-frontières européens". Interrogé par la rédaction d'Atlantico à ce sujet, un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur a rappelé qu'une telle institution existait déjà. Il s'agit de l'agence Frontex, basée à Varsovie, qui rassemble une quarantaine d'officiers européens chargés de coordonner la surveillance des côtes. Leur efficacité est simplement limitée par un manque de moyens .

Un "choc de simplification" pour les institutions

Stéphane Rozès : Il pourra éventuellement séduire ainsi sa majorité, mais pas les Français dans leur ensemble, y compris de gauche. Prises une à une, ces priorités recueillent l'assentiment d’une majorité de citoyens. Mais le sujet n'est pas là. En effet l’ensemble du dispositif proposé par François Hollande risque de ne pas imprimer véritablement les représentations des Français sur l’Europe. Cela s’explique par le fait que cette initiative, louable au demeurant, n’est pas précédée d’une vision de l’Europe. Même si elle est juste sur le fond, elle ne fera pas bouger les lignes, ni au plan français, ni au plan européen, parce que les Français se défient, non pas de l’idée européenne, mais des politiques européennes telles qu’elles sont menées. Je ne parle pas seulement des politiques économiques et sociales, il semble que l’évolution de l’Europe ne corresponde pas à un dépassement des peuples européens. Les Français ne peuvent guère s’approprier des mesures, même s’ils sont d’accord avec elles, tant qu’elles ne sont pas insérées dans une vision qu’a la France de l’Europe. Or pour le moment, dans ce que propose François Hollande, on ne distingue pas de vision. Le risque est que cette initiative soit perçue comme un catalogue de mesures.

Que pense l’Allemagne d’Angela Merkel de ces orientations ?

Stéphane Rozès : Pour faire bouger les allemands, il faut partir de l'imaginaire allemand, et non de celui des pays du sud. J’entends par là que les Allemands placent l’effort salvateur comme étant ce qui les rassemble, et ce qui devrait aussi rassembler les Européens. Or les demandes formulées par François Hollande risquent d’être perçues par les Allemands comme un manifeste des pays du sud, et donc entretenir leur idée selon laquelle certains pays feraient des efforts, et d’autres non. On ne peut donc pas envisager de faire évoluer l’Allemagne sur ses positions. Certains demandes pourront  être intégrées dans la politique européenne, mas pas de manière significative car la réorientation des politiques européennes ne peut être acceptée en tant qu’émanation des pays du sud, dont la France serait le porte-voix ; elle ne peut être justifiée qu’à partir de la capacité de l’Allemagne à assumer sa puissance politique liée à son hégémonie économique, et donc la capacité d’ouvrir une nouvelle frontière en Europe. On ne peut faire bouger les Allemands que si on leur propose une renaissance de l’Europe dont les politiques économiques sont des moyens, et non la finalité.

Au plan européen, qu'est-ce que cela révèle du positionnement de François Hollande au sein des socio-démocrates ? Quel rôle lui attribuent-ils ?

Stéphane Rozès : Ils lui attribuent le rôle de la France. Il n’est pas vraiment question de François Hollande en tant que personne, c’est simplement que rien ne peut se faire sans la France. A juste titre François Hollande, comme autrefois Nicolas Sarkozy, utilise l’importance symbolique de la France en Europe. Là où Nicolas Sarkozy agissait comme s’il existait un couple franco-allemand, Angela Merkel ayant la finesse d’esprit de le laisser faire croire que les deux pays parlaient d’égal à égal, François Hollande est plutôt un joueur de Go : il excelle dans la capacité de faire jouer différentes dimensions. Son but n’est en rien de reprendre la main sur un Matteo Renzi qui aurait été trop actif à son goût, cela ne correspond pas à sa psychologique.

Quel risque prend-il à être dans l'effet d'annonce ?

Stéphane Rozès : Il peut faire bouger les lignes légèrement, mais l’impact sera décevant, car dans le fond le déclin européen provient de ce que la gouvernance et les politiques de l’UE ne sont pas adaptées au génie européen.  On ne peut donc pas aborder les questions institutionnelles et économiques comme étant des questions qui seraient acceptables, en ayant fait l’économie auparavant de ce que seraient les positions politiques d’une renaissance européenne. De la même façon qu’en 1989 il ne fallait pas élargir avant que d’avoir approfondi, je pense qu’il n’est pas possible de remettre une pièce dans la machine, avec des demandes déjà faites dans le passé, qui certes se justifient plus aujourd’hui avec la montée de l’extrême droite et du populisme, mais en l’absence de vision. Cette absence provient du déficit de dénonciation et de compréhension de ce qui fait le génie européen et sa spécificité dans la globalisation. On se centre alors sur des questions institutionnelles et politiques qui apparaissent comme des rapports de force entre des puissances économiques et politiques dans une Europe des Etats, et non fédéral, qui joue au détriment des pays du sud, la France étant au milieu des deux.

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