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La bourse, esclave des rumeurs
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Cercle vicieux

L'erreur du Daily Mail sur la Société Générale a un un tel retentissement car les acteurs des marchés financiers ne demandaient qu'à la croire.

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer est professeur à HEC et expert européen des marques

Il est l'auteur de Rumeurs : Le plus vieux média du monde (1987, rééd. 2010, Points), Luxe oblige (avec Vincent Bastien, Eyrolles, 2008) et vient de sortir Réinventer les marques ( Editions Eyrolles, 2013) dans lequel il consacre un chapitre aux personnages-marques, et analyse l'exemple de David Beckham.

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ATLANTICO : Comment expliquer un tel emballement boursier autour de simples rumeurs ?

Jean-Noël Kapferer : La bourse ne fonctionne que sur des rumeurs. C'est une anticipation. L'anticipation est par définition impossible, donc chacun pense détenir ce que l'on appelle un tuyau. Le tuyau n'est que la version technique de ce que l'on appelle une rumeur. On est donc dans un système qui ne fonctionne que sur des rumeurs, que l'on appelle au pire "informations d'initiés" - c'est répréhensible - et au mieux "tuyau" ou "confidence".

A partir du moment où l'on place l'argent des autres, on est obligé de faire des hypothèses, et ces hypothèses sont d'autant plus fortes qu'on a le sentiment d'avoir une information d'initié.

Comment en est-on arrivé à la crise actuelle et à la chute vertigineuse du cours de la Société Générale ? C'est tout simplement parce que le monde vacille. Les gens pensent que tout va aller de mal en pis. Nous sommes dans un mini krach, et la notion de krach implique que cela ne se finisse pas en deux jours. Il y a un climat d'attente du pire qui consiste à se demander qui est le prochain sur la liste, après la Grèce, l'Espagne et l'Italie. Il y a donc une méfiance sur la France, et non sur l'Allemagne ou la Scandinavie. Deuxièmement, on sait que certaines banques françaises sont fragiles. L'aspect paroxystique des rumeurs actuelles ne fait que traduire cette attente du pire.

Il ne faut pas oublier qu'il y a énormément d'argent en circulation qui cherche à se poser quelque part. Les fonds de pensions ou de retraites sont gérés par des gestionnaires qui sont là pour que cet argent rapporte. Or, en situation de crise, tout devient particulièrement volatile. Ils sont particulièrement sensibles au moindre bruit en période de crise, à la fois pour se réinvestir et se désinvestir.

La rumeur qui aurait mis le feu aux poudres vient d’une publication, le Daily Mail, qui ne fait pas autorité en matière d’information financière. Pourquoi cet enchaînement ?

Le Daily Mail a sorti son info le dimanche, et la crise n'a pas eu lieu ce jour là. Il y a même eu un démenti entre les deux. La vraie question est que les gens s'attendaient au pire lundi matin. A force de leur expliquer que le système est cassé, que la croissance est stoppée, que la note des Etats-Unis a été baissée, on donne le sentiment de la fin d'un monde.

La Société Générale n'est pas une banque anodine. C'est la banque du trader Kerviel. La rumeur ne s'est pas articulée sur la BNP ou sur le Crédit Agricole, mais sur une banque qui a désormais mondialement la réputation de ne pas très bien surveiller ce que les gens faisaient chez elle, et d'avoir perdu quelques milliards.

Il m'est arrivé de rencontrer une star française sur laquelle courait une célèbre rumeur, que je ne nommerai pas. Elle me dit : "Je sais qui a lancé cette rumeur sur moi". Ce à quoi j'ai répondu : "Cela n'a aucune importance. La vraie question est de savoir pourquoi les gens l'ont crue".

La direction de la Société Générale a pris la parole pour nier les rumeurs. Est-ce efficace ?

Ne pas s'exprimer aurait été criminel. Cela va rassurer une partie des gens qui ont gardé leurs actions, et ça ne va peut-être pas rassurer les autres, mais c'est un passage obligé.

Comment ce contexte de rumeur pourrait-il s'éteindre ?

Il faudrait qu'il y ait un signal très fort. Or, pour l'instant, ils vont tous dans le même sens. La Grèce va de mal en pis, on ne sait pas ce qu'il va se passer en Italie, ... Il n'y a pas de signal de reprise économique ou d'un espoir. Nous sommes dans une phase où chacun joue son rôle en expliquant que tout va bien se passer. Je n'ai pas fait l'analyse de ce qui s'écrivait en 1939, mais je suis sûr qu'il y avait des gens qui expliquait que tout allait s'arranger.

On a très peu d'indicateurs économiques positifs. Cela irait sans doute mieux si la croissance repartait aux Etats-Unis. Malgré leur dette, ils restent une locomotive du monde.

Nous sommes dans une situation où tout le monde freine car on ne voit que des feux rouges. Il faudrait qu'ils repassent au vert. Mais les politiques ne peuvent pas le décider. A moins de donner l'impression qu'il y a vraiment un pilote dans l'avion. Qu'il s'agisse du discours de Nicolas Sarkozy ou d'un autre, il s'agit toujours de "rassurer les marchés". Cela veut bien dire que les marchés dirigent, et qu'on ne dirige plus.

Il pourrait y avoir des signaux forts sur un plan institutionnel avec une gouvernance européenne. C'est au moment des grandes crises que les décisions européennes sont prises.

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