Les Américains ont-ils été incapables de gagner une véritable guerre depuis 1945 ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les Américains ont-ils été incapables de gagner une véritable guerre depuis 1945 ?
©DR

Looser ?

Possédant - et de loin - l'armée la plus puissante du monde, les Etats-Unis ont pourtant du mal à remporter des victoires militaires totales.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les interventions militaires américaines les plus couronnées de succès, et à l'opposée celles aujourd'hui considérées comme des défaites ?

François Géré : On peut considérer qu’il y a eu trois catégories de bilan : les échecs retentissants, comme au Vietnam, les succès, ou le succès comme la première guerre du Golfe au Koweit, et une troisième situation plus ambiguë, interprétable d’une manière ou d’une autre. L’intervention en Afghanistan ne peut pas véritablement être considérée comme une victoire ou une défaite, elle illustre donc une catégorie d’échec, de résultat mi-figue mi-raisin. Les Américains peuvent dire qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu. Il y a aussi des sous-catégories, où certaines missions n’ont pas trouvé de solution, où plane un goût d’apaisement à l’ombre d’un conflit éventuel comme en Corée. En 1950 les Etats-Unis sont intervenus contre les communistes du nord de la Corée, et sont parvenus à établir une ligne de démarcation mais depuis 1950 la situation est stationnaire. Peut-on parler d’une victoire ? Non, comme on ne peut pas appeler cette intervention de vraie défaite.

Les Américains ont souvent été confrontés à ce genre de bilan. Même la Seconde Guerre mondiale ne peut pas être vraiment classée dans les victoire du fait, quand même, d’un éclatement de l’Allemagne entre alliés et soviétiques qui a duré plus de 40 ans. De manière générale, une guerre doit-être appréhendée sur le long-terme.

Il y a un problème fondamental aujourd’hui pour les Etats-Unis, depuis le 11 septembre 2001, c’est qu’aucun gouvernement n’est parvenu à formuler une doctrine stratégique sur le long terme, qui soit capable de rendre compte de la situation sur le terrain. Il y a aussi un écart croissant entre la réalité sur le terrain et l’appréciation des responsables politiques pour mener à bien leurs objectifs.

Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis disposent de l'armée la mieux équipée et la plus puissante du monde. Pour quelles raisons ne réussit-elle pas remporter les conflits où elle est engagée ? 

Les Etats-Unis disposent en effet d’une force militaire colossale, ce qui leur permet toujours de remporter les combats les opposant à une armée régulière. On l’a vu en Afghanistan et en Irak. Mais dans un deuxième temps, ils n’ont pas réussi à profiter des avantages conquis. Politiquement en Irak, les Américains avaient toutes les cartes en mains pour faire ressurgir une stabilité. Mais 3 ans après leur retrait, la situation s’est belle et bien effritée. Et le fait d’envoyer des drones ou des consultants militaires ne résoudra absolument pas la situation. Non,  les Etats-Unis sont revenus au point de départ, à la première étape purement militaire, ils ont reculé d’une case. Les Américains savent vaincre militairement, mais sont incapables de tirer parti de la victoire, ce qui est en soi un échec.

Quelle est la raison de ce décalage systématique au sein de l’Etat major ? Y aurait-il une éviction de la CIA dans le processus de prise de décisions ?  Comment les Américains pourraient-ils s’inspirer des interventions mandatées par l’ONU, opposant souvent une armée occidentale et un pays culturellement éloigné ?

Le but de l’armée américaine, sa conception même est éloignée de ce type de préoccupation. Sa priorité est avant tout de pouvoir frapper à n’importe quel moment et n’importe où dans le monde n’importe quel adversaire. Il y a de très bonnes analyses de terrain réalisées par les services de renseignement américain, mais elles ne se transmettent pas au commandement qui lui est là pour écraser l’ennemi. La perception fine que les Français peuvent avoir avec les Etats africains n’existe pas pour eux, ni en Afrique, ni au Moyen-Orient. Cet écart culturel fait que les militaires américains ont des procédures d’intervention qui peuvent-être considérées comme irrespectueuses envers les populations.

L'opinion publique n'admet plus de mort parmi les civils. Les bombardements aériens sont désormais accolés au terme de "frappe chirurgicale". En quoi la contrainte du zéro mort a-t-elle pu être problématique dans les ambitions de conquêtes américaines ?

Les pays occidentaux sont de plus en plus opposés à ce que leurs propres soldats soient exposés au danger. On cherche donc tous les moyens technologiques pour faire en sorte qu’il n’y en ait pas, et cela passe par une robotisation des affrontements. Mais en réalité cela ne résout rien. Les occidentaux s’enferment dans une stratégie qui épargne la vie des civils. Dans une guerre de guérilla, croire qu’un drone puisse faire la différence entre un terroriste d’Al-Qaida ou un berger est complètement illusoire, au point que les dommages collatéraux se chiffrent aujourd’hui en plusieurs milliers de morts.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !