Réformes budgétaires et structurelles, Bruxelles avance ses propositions : où en serions-nous si nous avions toujours écouté la Commission ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Commission européenne présente ce lundi 2 juin ses recommandations de réformes budgétaires.
La Commission européenne présente ce lundi 2 juin ses recommandations de réformes budgétaires.
©Reuters

Oui, j'écoute

La France est l'une des plus mauvaises élèves de l'Union européenne sur les questions touchant au budget, au chômage et à la libre-concurrence. Mais faire du suivisme européen est-il la bonne solution pour réformer le pays ?

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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François Beaudonnet

François Beaudonnet

Après avoir été en poste à Bruxelles, François Beaudonnet est désormais correspondant à Rome pour France 2. 

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Atlantico : La Commission européenne présente ce lundi 2 juin ses recommandations de réformes budgétaires et structurelles pays par pays pour les Etats membres de l’UE. Plusieurs points du pacte de stabilité ont été assouplis au fil des ans, notamment en 2005. Où en serions-nous si nous avions suivi les recommandations de la Commission européenne ces dernières années ? La situation économique serait-elle meilleure ?

Nicolas Goetzmann : Il est déjà important de rappeler que les recommandations faites par la Commission n’ont pas de caractère contraignant pour les Etats. Ces recommandations sont faites sur la base du travail réalisé par les 600 personnes de la DG ECFIN, la Direction Générale des affaires économiques et financières, qui rapporte au commissaire aux affaires économiques et monétaires, le finlandais Olli Rehn.

Au regard des recommandations faites ces dernières années, il apparait clairement que celles-ci ont pu avoir une influence importante dans les politiques mises en place en France. La TVA sociale, la réforme des retraites, l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi sont autant de mesures qui ont pu s’inspirer des recommandations faites par la commission européenne.

Ces recommandations ne prennent pas réellement en compte la réalité politique de chaque Etat. Les économistes de la DG ECFIN font en ce sens un travail qui peut être qualifié de "hors sol", puisque les mesures envisagées ne tiennent pas compte du contexte politique. Lorsqu’un dirigeant voit ces recommandations arriver sur son bureau, il va devoir trouver le moyen politique de les appliquer.

La situation économique ne serait pas forcément meilleure si la France avait tout mis en place, notamment en ce qui concerne la réduction des dépenses. De l’aveu même de certains économistes de la DG ECFIN, les modèles utilisés pour la réduction des dépenses publiques se sont avérés erronés, notamment en ce qui concerne le multiplicateur budgétaire. La Commission estimait dans ses modèles antérieurs qu’un euro économisé sur la dépense publique ne générait qu’un effet récessif de 0.3. Fin 2013, un rapport a estimé que ce chiffre est finalement plus proche de 0.5 à 1, voire même largement supérieur pour le FMI. Ce qui implique que même la commission a pu se rendre compte que les efforts réalisés par certains Etats ont été trop marqués, et destructeurs de croissance. Il s’agit ici de la fameuse politique d’austérité.

François Beaudonnet : C’est difficile de le dire, d’autant que la Commission européenne est souvent accusée de libéralisme à outrance. Par exemple, elle est pour la concurrence permanente dans tous les secteurs or on voit que dans certains cas ça ne marche pas. La concurrence ne doit pas être un dogme. La commission répète qu’il faut ouvrir à la concurrence tout ce qui concerne les réseaux en France (énergie, rail), mais on a vu que cette concurrence, si elle peut avoir tendance à faire baisser les prix, peut créer un oligopole, donc une entente sur les prix, comme on a pu le voir sur le secteur des télécoms. De plus, le rôle de la Commission est de fixer les grands caps et normalement elle ne doit pas aller trop loin dans les détails des réformes. Ce qui est certain c’est que la France est un pays d’Europe qui ne fait pas de réforme. C’est pas nouveau. Et s’il y avait des réformes plus courageuses qui avaient été faites sur ces cinq dernières années, quel que soit le gouvernement, l’économie française, j’en suis sûr, serait dans un bien meilleur état.

En 2002, la Commission avait émis des recommandations à l'Allemagne sur les problèmes structurels du pays. Dans quelle mesure les réformes mises en place sous Schröder se sont inspirées de ces recommandations visant à mettre en place une politique de l'offre ? Les effets ont-ils été bénéfiques ?

Nicolas Goetzmann : Au début des années 2000, l’Allemagne était l’homme malade de l’Europe. A cette époque (2002), la Commission européenne estimait que l’Allemagne souffrait de problèmes structurels et notamment de dysfonctionnements majeurs sur le marché de l’emploi. De ces recommandations vont naître les désormais célèbres réformes Hartz, du nom de leur auteur, Peter Hartz. Ces réformes vont être le socle de la politique de modération salariale en Allemagne, et découlent directement des recommandations de la Commission européenne. Le problème est que ces réformes ont contribué à totalement déséquilibrer l’ensemble de l’Union, et ont rendu nécessaires des ajustements partout ailleurs lorsque la crise est intervenue. L’ironie est que la Commission veille aujourd’hui à ce que l’Allemagne ne dépasse pas un excédent supérieur à 6% du PIB, ce qui est pourtant déjà le cas. Mais cet excédent n’a été rendu possible que par les recommandations de la Commission européenne en 2002. Ce type de réformes conduit l’ensemble de la zone à se livrer à une compétition sauvage par le biais de la modération salariale, ce qui évidemment n’est pas sans lien avec les résultats des élections européennes. Dans une telle compétition, il n’y a en réalité pas de gagnants, il suffit de regarder les effets sur l’ensemble de la zone euro : 11.8% de chômage.

Un des principaux points évoqués par la Commission européenne est la lutte contre le chômage, où la France doit prendre des mesures "radicales", avait estimé la Commission l'année dernière. Qu'aurait dû faire la France depuis des années selon la Commission pour enfin inverser la courbe ? Ces préconisations étaient-elles adaptées à la situation ?

Nicolas Goetzmann :Depuis de nombreuses années la Commission demande à la France de réformer son marché du travail. Les différences de protection entre CDI et CDD ont créé une dualité génératrice de profondes inégalités entre des salariés protégés et des salariés plongés dans une situation de précarité, et d’incertitude. La réforme qui pourrait être ici envisagée serait de passer au contrat unique, permettant de donner les mêmes protections à chacun, et de ne pas désavantager, par exemple, les jeunes. Les conditions de protection des CDI sont si strictes qu’elles sont un réel obstacle à l’embauche pour les jeunes, voilà pourquoi le taux d’embauche en CDD progresse d’année en année.

La Commission a également pu pointer le niveau record du salaire minimum en France, ayant pour effet d’exclure les personnes les moins qualifiées du marché du travail en France.

De telles réformes sont nécessaires en France, mais la Commission ne perçoit les problèmes économiques de la France que par le biais d’une politique de l’offre. L’écroulement de la demande en Europe doit être pris en compte, et seul un rétablissement de cette demande permettra de mettre en place les mesures ici préconisées, pour qu’elles puissent atteindre leur plein potentiel.

François Beaudonnet : Ce que dit la Commission c’est qu’il faut une réforme du marché du travail plus ambitieuse encore que ce qui avait été entrepris. La Commission souhaite plus de souplesse, ce qui peut-être entendu comme plus de précarité. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose, donc restons très prudents là-dessus.

Par ailleurs, les mesures recommandées l'année dernière étaient bien radicales. Voici le commentaire de la Commision "radicales au vue de l’aggravation nationale du chômage notamment en mettant en œuvre rapidement et complètement l’accord interprofessionnel conclut avec les partenaires sociaux" et il est ajouté qu'il faut "faire plus contre la segmentation du marché de l’emploi et réformer le système d’indemnisation du chômage pour que celui-ci encourage de manière adéquate le retour au travail". Est-ce qu’il faut faire en sorte que le chômage soit plus dégressif plus rapidement ? Il y a en tout cas toute cette polémique sur le fait qu’on est le seul pays d’Europe qui verse les allocations chômages les plus élevées pour les cadres qui touchaient de gros salaires. Je crois que là-dessus il faut être assez prudent parce que ça concerne pas beaucoup de monde au final. Enfin, il faut améliorer le service public du Pole Emploi, mais ça ce n’est pas nouveau et même ceux qui y travaillent pensent que ça pourrait s’améliorer, donc il n'y a rien de révolutionnaire.

La Commission préconisait l'année dernière de poursuivre ses efforts de discipline budgétaire en ramenant son déficit en dessous du seuil de 3 % d'ici à 2015. Quelles sont les mesures préconisées par la Commission à ce sujet et celles effectivement mises en place par la France ?

Nicolas Goetzmann : La première mesure envisagée par la Commission afin de réduire les dépenses publiques en France est la simplification administrative. Cette recommandation est en train de trouver une réalité avec le projet de réforme territoriale. Puis, le système de retraite qui est également pointé du doigt. Ici, il est clair que la France dépense bien plus que ses partenaires de l’Union. Il n’est pas besoin d’aller chercher les causes très loin, l’âge de départ effectif à la retraite en France est de 4 ans inférieur à la moyenne, et ces 4 années pèsent lourds dans les comptes de la nation. Le système de santé français est également perçu comme étant une piste sérieuse d’économie, notamment sur le rapport coût efficacité.

Ce qui est frappant ici, c’est de constater que les recommandations de la Commission ont une réelle influence en France, car les 3 pistes sont revendiquées par le Gouvernement actuel.

Par contre, et comme j’ai pu l’évoquer plus haut, il est probable que la commission revoit à la baisse ses demandes d’économies puisque les efforts réalisés pour baisser les dépenses ont un impact plus lourds sur la croissance que ce la Commission ne pensait auparavant. Même si le rapport de Jan Int’ Veld évoquant les erreurs de la Commission sur le multiplicateur a été publié sous le nom de l’auteur sans "tampon" de la commission elle-même, bien qu’il soit intégré à la DG ECFIN.

François Beaudonnet : C’est sur ce sujet que le décalage entre la Comission européenne et la France est le plus important. Les recommandations sont de deux ordres. Cela porte sur le déficit et puis sur la trajectoire économique. Est-ce qu’on va dans la bonne direction ? Est-ce qu’il n’y a pas trop de différences avec les autres pays ? Ce sont ces questions qui priment. Concernant le déficit, la Commission européenne estime que la France n’a pas fait assez. La France continue à dépenser beaucoup trop pour ses services publics. Il y a une très grosse dépense d’argent inutile avec des redondances entre les régions, les départements, l’Etat, etc. La Commission estime que, à l’inverse de beaucoup d’autres pays qui ont fait des économies importantes, la France n’y arrive pas et je crois que c’est un problème de fond. La Commission ne demandait pas, pour réduire le déficit,d’augmenter les impôts. Elle demandait de baisser les dépenses. Il y a là une certaine constance puisque c’est une demande qui revient depuis trois ans et c’est vraisemblablement ce qu’on va nous demander cette année. La France a fait quelques efforts, mais cela ne suffit pas et c’est bien inférieur à ce qu’ont fait d’autres pays et pas uniquement l’Espagne qui avait le couteau sous la gorge, mais même des pays comme la Grande-Bretagne. Ces pays ont fait beaucoup plus de réformes de leurs économies. Mais attention, je ne sais pas si c’est une exemple parce s’il faut ensuite diminuer les services publics dans les hôpitaux ou dans d’autres secteurs vitaux, ce qui n'est pas forcément une bonne chose. Si moi je vais dans un hôpital en France demain et que je ne suis pas soigné ou mal soigné, je ne suis pas certain que je serais content. La demande de la Commission européenne va être celle-ci : tout en gardant un niveau de service public satisfaisant, il y a des économies à faire.

La Commission s'inquiète de la perte de marché des entreprises françaises depuis des années et appelle à améliorer l'esprit d'entreprise. Comment se fait-il que la France soit toujours à la traîne sur ce sujet de même que la réforme du système fiscal français, jugée trop complexe et pas assez efficace ?

François Beaudonnet : Aucun gouvernement n’a réussi à faire les réformes nécessaires. Il n’y a aucun gouvernement qui n’ait pris le risque. Jean-Marc Ayrault avait dit un moment qu’il allait le faire. Maintenant il est parti et il ne l’a pas fait et ce n’est donc plus une priorité actuellement. La fiscalité c’est un sujet à la fois très sensible et en même temps personne ne le fait. Or, il faudrait une remise à plat. On en entend parler depuis des années et pourtant personne n’a osé le faire parce que ce pays est difficilement réformable. Tous les gouvernements ont peur de se retrouver avec des manifestations d’envergure, des blocages, etc. Il suffit de voir ce qui se passe quand on touche la profession de taxi ce qui se passe, pour comprendre que le gouvernement a peur pour tout le reste.

Ce qui est problématique sur les entreprises, c’est que la fiscalité française change tout le temps. C’est une spécificté française. Dans d’autres pays, vous pouvez vous intaller en tant qu’entrepreneur et vous serez à peu près certain que dans les cinq ans qui viennent il n’y aura pas de changement majeur sur la fiscalité. En France, la visibilité est à six mois, voire trois mois. Ca change tout le temps. Je pense que les entreprises étrangères voulant s’implanter en France accepteraient  de payer une fiscalité plus élevée car, comme on le sait, il y a en France beaucoup de bonnes choses, l’éducation est très bonne, les réseaux de transports sont globalement bons, les services publics fonctionnent bien et les hôpitaux sont de qualité, et c’est important quand on veut s’installer dans un nouveau pays. Donc les entreprises sont prêtes à ça. D’ailleurs, il suffit de jeter un œil ailleurs en Europe, au Danemark par exemple, il y a des taux de prélèvements fiscaux qui sont très élevés et malgré tout les entreprises viennent car on sait que ça ne va pas bouger. En France, ça bouge tout le temps. Il n’y a aucune visibilité et les entreprises ce qu’elle veulent c’est de pouvoir prévoir et en France on peut jamais prévoir.

Nicolas Goetzmann : Concernant le système fiscal, la Commission pointe effectivement un problème d’inefficacité de l’impôt en France. C’est le nombre pléthorique de niches fiscales qui est ici dans le collimateur. Les taux de L’IS et de L’IR sont également perçus comme contreproductifs, car dissuasifs. La Hausse de la TVA effectuée en janvier 2014 était également préconisée par la Commission, dans le même sens que la TVA sociale de Nicolas Sarkozy.

Ce qui permet de voir que dans un sens, la problématique politique en France est que les partis de gouvernement mettent en place les recommandations de la Commission, quel que soit le bord politique. En résulte une confusion légitime pour les électeurs par rapport aux annonces faites en période électorale.

Ce qui en ressort est que les seules "réformes" qui ont véritablement une valeur sont les réformes qui portent sur l’orientation européenne. Les critères de Maastricht, le rôle de la BCE dans la croissance sont ici essentielles. Car si ces points la ne changent pas, il n’y a, en effet, pas grand-chose d’autre à faire que d’appliquer ce qui est recommandé par la Commission. Ces réformes ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, elles ne sont que l’application des critères actuels. Et les critères actuels font totalement l’impasse sur le problème de la demande qui existe aujourd’hui en Europe, et seule la politique de l’offre est prise en compte. Par contre, dès que le problème de demande sera traité, ces recommandations me semblent parfaitement valables.

L'une des recommandations récurrentes concerne la demande de concurrence accrue dans le secteur des services et de certaines industries de réseau (électricité, gaz, ferroviaire...). A ce sujet, quelles auraient été les conséquences visibles pour la France en cas d'ouverture plus importante du marché ?

François Beaudonnet : Je suis mitigé. Je ne suis pas certain que le fait de prendre un train allemand ou espagnol plutôt qu’un train français ferait changer les choses. Il est vrai que les tarifs de la SNCF sont très élevés par rapport aux avions des compagnies low cost. Est-ce que ça aurait véritablement fait baisser les prix ? Peut-être. Mais ensuite il faut voir la qualité du service. Par exemple, dans le secteur des télécoms, aujourd’hui quand vous avez un problème sur une ligne fixe traditionnelle, c’est très compliqué de se faire dépanner. C’était beaucoup plus simple avec un seul opérateur téléphonique. Je ne dis pas que tout était parfait, mais l’ouverture a créé énormément d’inconvénients. Est-ce que l’économie française irait beaucoup mieux parce qu’il y a de la concurrence sur le rail ? Je ne sais pas.

Nicolas Goetzmann : Que ce soit la Commission, le Rapport Gallois de 2012, la rapport Attali durant le mandat de Nicolas Sarkozy, ce sont toujours les mêmes points qui sont évoqués. La faible concurrence dans certains secteurs, des situations monopolistiques, de nombreuses barrières à l’entrée pour certaines activités etc… il n’y a ici aucune surprise. La défense des intérêts de chacun est ici bien plus un enjeu politique qu’économique, en ce sens que chaque catégorie visée est prête à en découdre d’une manière ou d’une autre pour préserver une situation avantageuse. Mais ces secteurs sont identifiés, l’inaction n’est donc qu’un choix politique délibéré.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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