La défense mais pas que... Petit inventaire des coupes budgétaires à la fois lâches et dangereuses projetées par le gouvernement (et celles par lesquelles on pourrait les remplacer)<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour remplir l'objectif de 50 milliards d'économies, le gouvernement s'apprête à effectuer d'importants resserrages budgétaires
Pour remplir l'objectif de 50 milliards d'économies, le gouvernement s'apprête à effectuer d'importants resserrages budgétaires
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Renoncement

Pour remplir l'objectif de 50 milliards d'économies, le gouvernement s'apprête à effectuer d'importants resserrages budgétaires. La Défense risque d'être la plus mise à l'épreuve, mais est loin d'être la seule. Problème : derrière le souci de réduction des dépenses, les retours de bâtons risquent d'être douloureux, et très peu constructifs.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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>> Les coupes budgétaires dans le domaine militaire <<

1 - Baisse importante des effectifs de l'armée de Terre

François Géré : L’armée de Terre est engagée dans un certain nombre d’actions extérieures. L’opération Serval au Mali devait d’ailleurs se terminer, et on voit que ce n’est toujours pas le cas. La situation en Centrafrique est aussi difficile, et vient se greffer maintenant la question du Nigéria et de Boko Haram qui déborde aussi sur le Cameroun.

Or, dans ce contexte difficile, l’armée de Terre prévoit de supprimer, d’ici 2019, 34 500 postes. Et cela, c’est ce qui est prévu dans le cadre de la seule loi de programmation militaire, sans ce que Bercy va vouloir rajouter. Ce que recherche le ministère du Budget, c’est d’atteindre les 50 000  suppressions. Si ce scénario se réalise, nous n’aurons tout simplement plus les effectifs nécessaires pour les missions extérieures.

Très concrètement, cela veut dire dès 2015 la fin de l’opération Sangaris en Centrafrique, une opération Serval au Mali qui ne pourra pas continuer très longtemps, et arrêt de toute nouvelle opération. Donc, pas de possibilité d’encadrer une action au Nigéria avec les alliés africains. Plus question aussi de s’occuper de la Libye dont le sud est une zone refuge pour des trafiquants de toute sorte. C’est exactement le contraire de l’action annoncée par le Président de la République.   

Cela fait des années maintenant – depuis 1994 pour être précis – que la Défense sert de variable d’ajustement quand on ne sait plus où trouver de l’argent au nom de la réduction des déficits. Et depuis vingt ans aucune solution n’a été trouvée. La question n’est plus de savoir combien d’hommes il faut avoir, mais plutôt de savoir si ces suppressions ont un sens.

2 - Frein à la modernisation de la dissuasion nucléaire

François Géré : Le blocage de la force de dissuasion sous-marine signifie de conserver la tête nucléaire M51, c’est-à-dire l’arsenal déjà existant, sur encore dix ou quinze ans, plutôt que de songer à son renouvellement. Cela n’aura pas un impact immédiat – dans un premier temps notre potentiel nucléaire militaire gardera son côté dissuasif – mais le problème est que dans le secteur de la dissuasion nucléaire et des missiles balistiques, il est inconcevable de prendre des retards sur quinze ans par rapport à des pays qui, eux, se modernisent. La Russie par exemple est en train de remplacer son missile balistique par un arsenal avec des capacités de pénétration supérieure. La France n’a certes jamais prétendu avoir autant d’armes nucléaires que les Russes, mais il faut avoir en particulier la compétence technique permettant de rester dans la même cour que ceux qui continuent d’évoluer.

3 - Report des achats de matériel aérien et naval

François Géré : La Marine aura moins de bâtiments. Le ministre Jean-Yves Le Drian a déjà réduit le nombre de frégates multi-missions (FRMM), les deux dernières livraisons prévues ont été annulées. Quant aux commandes déjà construites, que ce soit la Marine ou l'armée de l'Air, on peut échelonner les livraisons. Cela pèse d’ailleurs lourdement en termes d’emplois sur le tissu industriel car ces équipements sont de fabrication française. Cette politique va en outre accroître l’écart de notre potentiel militaire avec le reste de l’Europe. Ces dernières années, de nombreux pays n’ont pas hésité à augmenter leur budget de Défense de 15%. Les Russes sont même montés jusqu’à 30% de hausse. L’écart se creuse, l’armée russe qui était en 2007 assez grossière et mal équipée, s’est modernisée de manière remarquable, en achetant des technologies en partie françaises. Si cette dynamique continue, il y aura un écart de potentiel entre une Europe dont les capacités de Défense vont se défaire et une Russie qui démontre qu’elle est capable de se déployer efficacement. 

>> Les coupes budgétaires dans le domaine économique et social <<

1 - Le report des dépenses d'investissements pour les hôpitaux

Philippe Crevel : Les hôpitaux français enregistrent pour un très grand nombre d’entre eux un déficit qui s’est fortement accru avec la réduction du temps de travail. A défaut de pouvoir revoir la carte des hôpitaux, les pouvoirs publics ont opté pour leur paupérisation à travers le lissage des dépenses d’investissement. La lenteur de l’équipement des hôpitaux en IRM en est la meilleure preuve. Le choix du rationnement des soins génère sans nul doute des économies mais au prix d’une dégradation de la qualité de soins. Il en a été de même avec le numérus clausus dans certaines spécialités comme en particulier l’ophtalmologie. Cette pratique est très dangereuse car après des années de reports des investissements ou de goulots d’étranglement, le coût de la remise à niveau sera très élevé.

Jean-Michel Rocchi : Du point de vue économique le comportement de l'Etat français est incompréhensible car il privilégie quasi systématiquement les dépenses de fonctionnement (le mauvais déficit) par rapport aux dépenses d'investissement (le bon déficit). Les effectifs de la fonction hospitalière ne baissent pas.

Effectivement il vaudrait mieux investir et avoir des plateaux modernes et une rationalisation des établissements.
Mais en fait les considérations sont électoralistes. Contrairement aux tenaces idées reçues, l'Etat contribue très peu à la croissance car ses dépenses d'investissement sont très faibles. 

2 - Le démantèlement d'une partie des effectifs de direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) chargée du contrôle sanitaire et des pratiques commerciales

Philippe Crevel : Le Ministère de l’Economie des Finances est, depuis de très nombreuses années mis à contribution notamment au niveau des effectifs, pour la réduction des dépenses publiques. Les gouvernements ont ainsi taillé dans les dépenses de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Or, cette direction s’est vue confier des missions de plus en plus importantes qu’elle n’a plus les moyens d’assumer. Les économies ainsi réalisées génèrent des surcoûts en termes de non-respect des règles de concurrence et en termes de fraudes. La France est un des pays où la concurrence au niveau de la distribution est faible. De ce fait, la diminution des moyens de la DGCCRF constitue peut-être une bonne nouvelle pour les distributeurs mais certainement pas pour les consommateurs.

Jean-Michel Rocchi : Jean-Michel Rocchi : Il faut réduire les effectifs de la fonction publique de la DGCCRF mais aussi supprimer une multitude de comités Théodule dont Hadopi. Il faut aussi réduire les effectifs de tous les concours administratifs afin de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraite. Les effectifs de la fonction publique d'Etat ne baissent pratiquement pas surtout si l'on considère les transferts de compétence aux collectivités territoriales :

Dans une optique internationale (Chiffres OCDE de 2008) nous avons :
- 50 fonctionnaires pour 1 000 habitants en Allemagne (les salaires représentent 7% du PIB)
- 70 fonctionnaires pour 1 000 habitants aux Etats-Unis (soit plus que les pays latins : Italie, Espagne, Portugal)
- 90 fonctionnaires pour 1 000 habitants en France (les salaires représentent 12% du PIB)
Que les inconditionnels de la bureaucratie se rassurent on peut encore faire pire (160 pour 1 000 en Norvège et 110 pour 1000 en Finlande).

3 - Baisse des prestations sociales, familiales et des retraites (exceptées celles des plus modestes)

Philippe Crevel : Depuis deux ans, les familles sont mises à contribution avec le plafonnement du quotient familial, à travers le gel des allocations. Les pensionnés sont passés de l’âge d’or des retraites à celui des ardoises en tout genre. Les prestations sociales représentent un tiers du PIB. Certes, l’Etat n’a pas d’autres solutions que de limiter les prestations sociales en tentant de ne pas toucher au minima. Cette politique a pour conséquence de peser sur la consommation et la croissance. Elle aboutit à créer des failles dans le tissu social. Par ailleurs, les gouvernements, en taillant dans le vif, sont contraints d’ajuster de manière irrationnelle, au coup par coup, les impôts ou les prestations. Les dernières annonces de Manuel Valls visent ainsi à effacer le gel du barème de l’impôt sur le revenu qui avait permis d’accroître le nombre de redevables à l’impôt sur le revenu.

Jean-Michel Rocchi : C'est inéluctable. Il n'y a plus de croissance nous n'avons plus les moyens de financer un système trop généreux qui n'était viable que pendant les trente glorieuses. Depuis quarante ans le pseudo modèle social français est une pompe à déficit financé par de la dette. Il faut progressivement revenir sur ces dépenses, tant qu'une croissance réelle et durable ne permettra pas de les financer. L'Etat Providence a été l'origine d'un Léviathan dont on sous estime le danger lié à son pouvoir excessif. L'Etat a trop de pouvoir il faut les réduire. Frédéric Bastiat dans ses "Harmonies économiques" était visionnaire "N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième."

4 - Baisse de la dotation aux collectivités locales

Philippe Crevel : Les concours financiers représentent une poche de plus de 100 milliards d’euros par an. Le Gouvernement de Manuel Valls a décidé de réaliser une économie de 11 milliards d’euros qui s’ajouteront aux deux milliards réalisés en 2014. Cette politique a comme limites que les collectivités locales doivent financer les transferts de charges réalisés par l’Etat, routes nationales, dépenses sociales (insertion, RSA, enfance…). De ce fait, les collectivités n’ont comme solutions que d’augmenter les impôts ou de réduire les investissements. Or, elles sont, aujourd’hui, à l’origine de 75% des investissements publics. En revanche, du fait que l’Etat conserver le pouvoir normatif, leurs marges de manœuvre au niveau des dépenses sociales sont faibles.

Jean-Michel Rocchi : La baisse de la dotation aux collectivités locales est d'un point de vue économique injuste mais bien évidemment une solution de facilité pour les administrations centrales car cela permet d'atténuer leurs propres efforts.
Les collectivités locales ont une grande part de responsabilité dans la gabegie publique ces dernières années cela les forcer à être moins dispendieuses. par ailleurs elles vont enfin devoir être obligées d'exercer un réel contrôle sur le bien fondé des aides et lutter contre les fraudes plus importantes au plan local en raison des faibles contrôles.
La baisse de la dotation aura au moins un mérite forcer les collectivités territoriales à arrêter de créer en permanence des postes :

5 - Réduction de 20% des crédits dévolus à l'apprentissage en 2014

Philippe Crevel : L’apprentissage fonctionne mal en France et cela depuis des années. Avec la formation professionnelle, c’est un point noir récurrent. La réduction des économies pourrait se justifier si dans le même temps une véritable réforme structurelle était conduite, si les entreprises prenaient, en la matière, leur responsabilité…la France ne compte pas suffisamment d’apprentis qui ne sont pas valorisés à leur véritable valeur. Il en est de même avec la formation professionnelle qui aspire des milliards d’euros pour des résultats décevants.

Jean-Michel Rocchi : La baisse des crédits à l'apprentissage est une très mauvaise idée. La théorie économique (notamment celle du capital humain du prix nobel Gary Becker) assimile avec justesse les dépenses d'éducation en investissements  c'est à dire qu'à moyen et long terme c'est un facteur de croissance, par ailleurs le taux de chômage demeure inversement proportionnel au niveau d'éducation. Considérons enfin qu'une économie en mutation implique des adaptations de la main d'oeuvre (notion d'employabilité) . Au niveau global en matière d'apprentissage nous sommes très en retard sur nos voisins allemands, c'est l'explication d'une petite partie du différentiel  de chômage entre nos deux pays. S'agissant de l'enseignement supérieur l'apprentissage est un grand succès. Le gouvernement réfléchit à élargir l'apprentissage (sous conditions) aux chômeurs, c'est une très bonne idée. Il ne faudrait pas baisser les crédits mais même les augmenter pour financer cette excellente idée.
Par contre le fonctionnement dispositif étato-soviétique de la formation en France pourrait être amélioré, on pourrait faire à l'évidence mieux pour moins cher. Mais ce n'est pas cela qui est en jeu dans ce que propose apparemment le gouvernement. Prendre le risque de toucher au gruyère de la formation c'est s'attaquer à des lobby et toucher à des financements d'associations et autres dont certaines sont des soutiens du présent gouvernement.

6 -  Limitation du crédit impôt recherche

Philippe Crevel : Le crédit d’impôt recherche est le yo-yo de l’impôt sur les sociétés. Les gouvernements passent du durcissement à l’assouplissement en quelques mois. La France est un des rares pays à consentir un effort fiscal aussi important à la recherche. Pour autant, elle n’en tire pas beaucoup de bénéfices du fait de l’instabilité des règles qui dissuadent les entreprises, notamment étrangères, d’investir. A la limite, il faudrait limiter le crédit mais en assurer la pérennité et surtout le simplifier. Aujourd’hui, il fait le bonheur des cabinets de conseil en réduction de coûts.

Jean-Michel Rocchi : Ce n'est pas une bonne idée, mais en France la légende des "cadeaux faits aux entreprises" est bien ancrée dans les esprits, on oublie que les impôts sur les sociétés dans l'hexagone sont largement supérieurs à la moyenne des pays de l'OCDE et à nos principaux partenaires économiques.

7 - Réduction des personnels dévolus aux services fiscaux

Philippe Crevel : D’un côté, l’Etat demande toujours plus de résultats aux services fiscaux afin de lutter en particulier contre la fraude fiscale tout en réduisant leurs moyens. Il faut savoir que le coût de la lutte contre la fraude augmente avec sa complexification croissante. En réalisant quelques économies, l’Etat se prive de moyens pour atteindre ses objectifs ambitieux. Certes, les technologies de l’information génèrent des gains de productivité mais il se peut qu’à un moment que les services fiscaux soient contraints de faire des impasses sur certaines fraudes. L’égalité devant l’impôt n’est plus réellement assurée car certains services fiscaux ont été décimés.

Jean-Michel Rocchi : Il existe des impôts non rentables à recouvrer (comme l'ISF) il faut les supprimer. Il faut réduire le personnel des services fiscaux ce qui est possible car la productivité en France est très faible (le coût de recouvrement est élevé) les syndicats sont naturellement contre ils préfèrent faire rêver sur les recettes en provenance des paradis fiscaux nous sommes dans la fantasmagorie idéologique des "200 familles" et du "grand soir"
La réalité est cruelle mais le déni plus confortable :


Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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