Atlantico : Selon des sources internes au milieu de la finance française, l'hémorragie des cadres vers Londres n'aurait jamais été aussi importante. Quels facteurs permettraient d'expliquer ce phénomène ?  

Diane Segalen et Violaine Amigues : L'industrie des services financiers vit actuellement un bouleversement profond au niveau mondial, avec la montée en puissance de réglementations contraignantes. Par ailleurs, les grands opérateurs concentrent leurs ressources dans des "hubs" et Londres est le centre financier européen qui attire les cadres des pays continentaux. 

Pascal de Lima : Selon moi, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Tout d'abord, il y a un facteur conjoncturel : l'Angleterre s'en sort bien en ce moment d'un point de vue croissance économique et emploi. Nul modèle n'est parfait mais disons que de plus en plus l'Allemagne et la Grande-Bretagne font figurent de modèle (sans compter la dette publique pour l'Angleterre). Ensuite, les marchés financiers, et ceci n'est pas un scoop, sont plus développés, peut-être mieux acceptés, notamment grâce à l'anglais, langue universelle. Ces marchés sont dérégulés malgré une réflexion récente sur la question des prises de risque excessives des traders de banque d'investissement (cf. le récent rapport Vickers) et l'idée d'une séparation des activités de banque d'investissement et de banque de détail. Mais tout cela reste dans les salons. Troisième facteur, certains mastodontes bancaires favorisent la stabilité des débouchés sur les marchés financiers. Enfin, on trouve à Londres des stratégies et des performances efficaces du monde de la banque-finance en général. 

S'agit-il d'un mouvement de rejet de l'environnement français ou la City s'est-elle montrée particulièrement active en matière de recrutement ? 

Diane Segalen et Violaine Amigues :La France présente le désavantage d'avoir un droit social instable, des charges plus élevées et une fiscalité dissuasive pour les hauts revenus. Les salaires dans les banques étant de surcroît "capés", il est plus intéressant pour les institutions financières et les banquiers d'être basés à Londres. Les banques anglo-saxonnes s'allègent dans tous les pays continentaux et se renforcent en central. 

Pascal de Lima : Les recrutements sont importants car les perspectives d'enrichissement sont conséquentes. Les raisons sont d'abord économiques, ce qui soulève aussi un problème moral qui est que la France forme des financiers très compétents qui vont utiliser leurs compétences ailleurs. On ouvre de nouveaux Master II pour aller s'exporter ensuite. De plus, il est évident que l’ambiance générale en France est nauséabonde. Pas uniquement dans la France d'en haut mais aussi et surtout dans la France moyenne et d'en bas qui déteste ce milieu et avec qui il est quasiment impossible de discuter dès que vous avez une cravate...

Qu'est-ce que Londres apporte que Paris n'offre pas ou plus ?

Diane Segalen et Violaine Amigues :Londres est une place internationale, où les investisseurs du monde entier se regroupent, toute géographie et tout type depuis les fonds souverains aux family offices. Il y a un brassage intense de toutes les nationalités et l'accès à des opérations internationales plus grosses. Restent en France les opérations régionales.

Pascal de Lima : D'abord les contraintes administratives sont faibles, la taxation est plus faible, le dynamisme et l’espoir sont plus grands. Londres, quelque part, est un passage obligé pour tout étudiant ou surtout tout financier qui voudrait devenir trader. La City c'est la deuxième ou troisième plus grande place mondiale financière. Et les rémunérations n'ont rien à voir avec celles de la France pour un même poste. Les inégalités se sont certes accrues ces dernières années. Mais le thème des inégalités ne fait pas vendre. Londres préfère miser sur le turn over des futurs riches.

Y a-t-il un profil type ? Peut-on constater des différences de motivations et de conditions une fois sur place selon les niveaux de hiérarchie ?

Diane Segalen et Violaine Amigues :Que ce soit sur les marchés de capitaux, la gestion d'actif, la banque d'affaire, le mouvement est général, à tous les niveaux de séniorité. Les clients "corporate" eux mêmes se relocalisent à Londres, les avocats et autres conseils suivent également leurs clients à Londres.

Les financiers partis travailler à Londres reviennent-ils en France au bout de quelques années ? Sommes-nous aujourd'hui dans cette tendance, qui fait de Londres un passage obligé dans une carrière, ou leur départ prend-il désormais un caractère beaucoup plus définitif ?

Diane Segalen et Violaine Amigues :La typologie des candidats au retour est simple : ceux qui veulent se rapprocher de leur famille ou les petits entrepreneurs qui apportent leur savoir faire international au marché "small cap" des ETI. Heureusement, il y en a quelques uns. Ou les retraités qui profitent de leur maison secondaire. Un segment d'avenir pour la France : le service à la personne !

Pascal de Lima : Oui en général, on ne reste pas. Mais c'est normal. Non seulement on ne reste pas mais en plus il faut savoir que la France n'a pas un taux d'expatriation plus élevé que la moyenne des pays de la zone euro. En revanche il y a une petite poussée de fièvre sur cette question de la City et des départs vers la City londonienne de financiers français. Le phénomène en soit n'est pas inquiétant. D'une certaine façon c'est une fuite de cerveaux, mais d'une autre façon, s'ils reviennent, c'est aussi des compétences acquises à l'étranger qui peuvent être bénéfiques pour la France. Nous sommes bien en libre circulation des hommes dans l'Union européenne et il n'y a pas lieu de s'en inquiéter à moins qu'une autre crainte latente n'existe. Mais il faut alors la préciser.