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Nafissatou Diallo : 
SOS opinion publique !
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Journal (télé) d'une femme de chambre

Contre-attaque médiatique de Nafissatou Diallo ces lundi et mardi dans Newsweek et sur la chaîne américaine ABC. Si le procès entre la femme de chambre et Dominique Strauss-Khan n'a pas encore commencé, les deux parties cherchent déjà à influencer l'opinion publique et le procureur.

André Kaspi

André Kaspi

André Kaspi, est agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire des États-Unis. Il a été professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de recherches d'histoire nord-américaine (CRHNA). Il a présidé notamment le comité pour l'histoire du CNRS.

 

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Atlantico : Pourquoi Nafissatou Diallo a-t-elle décidé de s’exprimer à ce moment précis et non avant ?

André Kaspi : Pendant deux mois, cette femme de chambre a gardé le silence. Elle était cachée, nous ne connaissions pas son visage et nous n’avions jamais entendu sa voix. Ce n’est pas un hasard si elle prend la parole aujourd’hui. Cela tient essentiellement au fait que se déroule, le 1er août, une audition, prévue devant le juge, qui pourrait aboutir au rejet de la plainte déposée par la femme de chambre et par conséquent à la relaxe de Dominique Strauss-Kahn. C’est donc une bataille que livre l’accusation pour essayer d’obtenir la tenue d’un procès et de mettre toutes les chances de son côté.

Sans compter que dans le système américain, il existe deux sortes de procédures : la procédure criminelle, qui doit être décidée par des jurés, qui vont se prononcer suivant un doute raisonnable. Et la procédure pénale, qui elle, en revanche, ne suppose pas exactement les mêmes conditions. Elle permet à la plaignante d’obtenir des dommages et intérêts. Deux affaires sont en cours. Dans le cas de l’accusation, il s’agit de mettre le plus d’atout possible de son côté. Autrement dit, de faire pression sur le procureur pour que l’affaire continue et qu’elle aboutisse à une décision favorable, au moins sur le plan civil.

Le fait qu’elle se soit exprimée dans les médias change-t-il la donne ?

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le procureur, le « District Attorney », est élu par le peuple. Cela veut dire qu’en 2013, Cyrus Vance va de nouveau solliciter les suffrages de ses électeurs. Ces derniers, à New-York, sont composés en partie par un électorat noir et un électorat féminin. Ce qui veut dire, que lorsque Cyrus Vance va se lancer dans sa campagne, il devra tenir compte de l’évolution de l’opinion. Les groupes de pression composés par les organisations noires ou féministes ont précisément pour but de rappeler à Cyrus Vance, que s’il veut être réélu, il doit donner satisfaction à ces groupes de pression.

Actuellement, l’affaire n’est pas simplement mise sur le plan judiciaire, elle également placée sur le plan politique et cela tient essentiellement à la manière dont la justice est organisée aux États-Unis. Par ces interventions dans les médias, la femme de chambre met la pression sur le procureur. Cela sert en même temps à préparer l’avenir, c’est-à-dire la stratégie de l’accusation, à la fois sur le plan pénale, si un procès à lieu, et sur le plan civil sur lequel un débat va vraisemblablement se tenir.

Il est évident que le but de cette opération est de remuer l’opinion publique, de montrer que l’affaire n’est pas terminée, d’indiquer que, sur un certain nombre de points, il subsiste des hésitations, des incompréhensions, quand ce ne sont pas des malentendus. Par exemple, sur la conversation que Nafissatou Diallo a eue avec ce détenu d’une prison d’Arizona, qui semble être son mari, du moins sur le plan religieux. Cet échange a eu lieu dans une langue africaine qui se rapproche du peul. Il a fallu que les détectives américains procèdent à une traduction qui a abouti à cette phrase de la femme de chambre : « Je sais ce que je fais. » Evidemment, ses paroles l’accusent. Cela montre qu’elle a préparé un complot et qu’elle veut attirer DSK dans son complot. Or, Nafissatou Diallo explique aujourd’hui que ses paroles n’ont pas bien été traduites et qu’elles ne correspondent pas à la réalité de ses propos. Cela nécessite de réfléchir davantage sur la manière de mener l’enquête.

Ses déclarations en public ont pour but de rappeler que même si elle a été accusée de tous les péchés du monde, et en particulier d’être une prostituée à temps partiel, c’est peut-être parce que les médias sont passés d’un extrême à l’autre. Dans un premier temps, ils ont soutenu la femme de chambre et ont abattu DSK. Puis dans un deuxième temps, ils ont retourné leur veste et ont exonéré DSK et ont abattu la femme de chambre.

La question qui se pose est de savoir si cette affaire va devenir l’élément essentiel de l’actualité de l’été. On se trouve dans une situation où les deux protagonistes ne peuvent pas donner de véritables certitudes quant à ce qu’il s’est passé. L’un dit le contraire de l’autre, il est évident que nous nous retrouvons dans une situation insoluble.

La bataille des médias, en complément de la bataille judiciaire, est-elle un phénomène habituel aux États-Unis ?

Cela dépend. Dans la plupart des affaires, l’opinion publique n’est pas d’une grande nécessité, que ce soit pour des affaires criminelles, de drogue ou de grand banditisme. Lorsqu’il s’agit d’affaires plus médiatiques, avec des personnes célèbres, en somme lorsqu’il s’agit d’un débat qui touche directement l’opinion public, il est évident que nous allons plus ou moins nous retrouver dans la même configuration que pour l’affaire DSK.

Il existe par ailleurs un point particulier dans cette affaire : l'opposition d'un homme blanc, riche, puissant et étranger à une pauvre femme noire, qui gagne difficilement sa vie et qui a menti, ce qui constitue un crime aux Etats-Unis, pour réaliser le rêve américain. Ce sont deux situations complétement opposées. Ce sont surtout les éléments fondateurs d’une affaire qui passionne le public. Plutôt qui les passionnaient puisqu’il n’est plus certain que cela continue à beaucoup intéresser le public américain.

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