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Laïcité : l'absurde polémique
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Attention, sujet inflammable

Le Conseil d’État a confirmé ce mardi que les collectivités locales peuvent, sous certaines conditions, intervenir en faveur des cultes. Sa décision a provoqué des réactions souvent enflammées. Décidément, le sujet prête facilement à la controverse en France.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Le Conseil d’Etat – la plus haute juridiction administrative en France – a rendu ce mardi cinq arrêts relatifs à la « laïcité », par lesquels il confirme que les collectivités locales peuvent, sous certaines conditions, intervenir en faveur des cultes. La presse, en quête de sensationnalisme au cœur de l’été, a relevé que ces « arrêts décisifs » allaient « faire date »[1], comme s’il s’agissait d’un évènement majeur du droit français. Le Parti Radical de Gauche s’est dit « très inquiet des brèches ouvertes ». Tout cela est excessif.

La jurisprudence du Conseil d’Etat s’inscrit dans la continuité du droit français

La laïcité repose sur deux principes : la séparation des Églises et de l’État d’une part, la liberté de culte d’autre part. Elle est principalement, mais pas uniquement, régie par la loi du 9 décembre 1905.

En matière de lieux de culte, si « la République (…) ne subventionne aucun culte », ce principe est appliqué de manière souple et de multiples solutions existent en droit et en pratique pour en permettre la construction[2] : les collectivités peuvent garantir des emprunts[3] et consentir des baux pour de longues durées portant sur des terrains, à un loyer modeste[4]. S’il y a eu des débats sur le montant de ces loyers, il était admis qu’ils pouvaient être modiques : c’est ce que le Conseil d’Etat vient de confirmer. Par contre, il été aussi évident qu’une municipalité ne pouvait pas construire une salle pour la donner à un culte : en toute logique, le Conseil d’Etat condamne cette pratique de la ville de Montpellier[5].

On savait aussi que des motifs d’intérêt général pouvaient, par exemple, justifier la reconstruction d’un presbytère[6]. Dans cette logique, le Conseil d’Etat a expliqué lundi qu’un « but d’intérêt public communal » pouvait autoriser le financement d’un bien destiné à un lieu de culte (l’orgue de la commune de Trélazé, ou l’ascenseur de la Basilique de Fourvière[7]).

Les interventions sont donc possibles et multiples : la laïcité a toujours connu une application souple – peut-être plus qu’aux Etats-Unis d’ailleurs. Le Haut Conseil à l’Intégration le soulignait en 2000, « lalaïcité n’est pas une notion dont le contenu se serait figé il y a un siècle : elle se nourrit des évolutions de la société, des attentes du corps social comme des exigences de l’Etat de droit ».

Tous ces points étaient connus. Le rapport Machelon commandé par Nicolas Sarkozy en 2005 ou le rapport public du Conseil d’Etat en 2004 les soulignaient déjà. Le mérite des arrêts de ce mardi 19 juillet est de confirmer ces interprétations et d’harmoniser, au plus haut niveau de juridiction, ces solutions.

Les commentaires emportés témoignent d’un manque de sang-froid sur la laïcité

Mais en matière de laïcité, décidément, il faut croire qu’il existe un concours de réactions disproportionnées. On le savait déjà de la part des partis politiques, gauche et droite confondus.

Aujourd’hui, la presse surenchérit. En abordant la question de la laïcité de manière trop subjective et passionnée, elle semble manquer de recul. La laïcité mérite moins d'idées préconçues et plus d'attention objective, pour notre intérêt collectif.



[1]           La Croix, Le Conseil d’Etat précise les contours de la loi de 1905 ; Le Monde, Avec cinq arrêts décisifs, le Conseil d’Etat valide l’approche libérale de la laïcité et de la liberté religieuse

[2]           Il faudrait aussi mentionner les dérogations fiscales en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe d’habitation et de taxe locale d’équipement

[3]           Articles L.2252-462 et L.3231-563 du code général des collectivités territoriales

[4]           Article L.1311-265 du code général des collectivités territoriales qui porte sur les baux emphytéotiques administratifs (BEA) avec des associations cultuelles. Cette solution a été adoptée pour construire par exemple la cathédrale d’Evry, les synagogues de Sarcelles, Créteil, Marseille, Nîmes, La Rochelle ou encore les mosquées de Lyon, Marseille, Montreuil, Belfort, etc.

[5]           Jugement du Tribunal administratif de Montpellier du 30 juin 2006, confirmé par la Cour administrative d’appel de Marseille le 21 décembre 2007

[6]           Conseil d’Etat, 16 mars 2005, Ministre de l’outre-mer

[7]           C’est d’ailleurs ce qu’avait dit la Cour administrative d’appel de Lyon, 26 juin 2007, Fédération de la libre pensée

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